La ministre des Médias souhaiterait fermer la porte des réseaux sociaux aux adolescents de moins de 15 ans. Des réunions politiques auront lieu en ce sens. Pour ceux qui forment les jeunes à l’usage des réseaux sociaux, c’est un double risque.
En nommant Jacqueline Galant ministre des Médias, Georges-Louis Bouchez voulait «un bulldozer», quelqu’un qui n’y va pas avec le dos de la cuillère. La sortie de la bourgmestre (empêchée) de Jurbise ce mercredi matin en proposant d’interdire les réseaux sociaux aux jeunes de moins de 15 ans, imitant son homologue française Clara Chappaz, a confirmé son style. «On se rend compte qu’il y a de plus en plus de harcèlement et de cas dramatiques conduisant parfois jusqu’au suicide de jeunes enfants. On doit vraiment lutter contre ce danger», justifie la libérale, et de mettre également en cause les fake news qui prolifèrent sur les réseaux sociaux.
Ce chemin, l’Australie vient également de l’emprunter en prononçant une interdiction qui sera effective dès novembre prochain. L’annonce de Jacqueline Galant ne rend évidemment pas effective l’interdiction des réseaux sociaux pour autant en Belgique, d’autant plus que cette compétence relève du fédéral (alors que la libérale est ministre de la Fédération Wallonie Bruxelles) ou devrait plutôt être portée par Valérie Glatigny (MR) qui avait par ailleurs prononcé l’interdiction des smartphones dans les écoles en septembre dernier.
Réseaux sociaux: un outil à manipuler avec précaution, mais à manipuler quand même
Dans le secteur associatif, on a levé le sourcil, et on observe l’interdiction comme un détricotage d’un travail d’éducation permanente entamé au long cours, regrette Benoît Laloux, chargé de projet d’éducation aux médias pour l’ASBL Actions Médias Jeunes qui a pour but de former les élèves de la primaire à la secondaire sur les pratiques numériques notmment. «Couper les jeunes des réseaux sociaux signifierait une perte de sens pour nous. Les adolescents ne sont pas accros aux réseaux sociaux, mais bien aux relations sociales», et Instagram, Snapchat ou TikTok sont les meilleurs vecteurs à cet effet. «On sait très bien que les jeunes trouveront donc des moyens pour continuer à aller sur les réseaux sociaux malgré l’interdiction, complète Aude Lavry du conseil supérieur de l’éducation aux médias. On préfère donc développer leur esprit critique par rapport aux fake news et les responsabiliser» vis-à-vis de celles-ci et du cyberharcèlement.»
Ces derniers mois, les plateformes d’Elon Musk (X) ou de Mark Zuckerberg (Facebook et Instagram) ont pris un tournant encore plus anxiogène suite à la suppression de la modération et des outils de lutte contre les fake news, faisant de leurs plateformes des endroits un peu plus anxiogènes. Y interdire l’accès serait donc une double peine, observe Benoît Laloux, car l’interdit crée souvent l’envie chez les jeunes, qui seraient encore un peu plus exposés sans prévention adéquate.
Les jeunes vont sur les réseaux sociaux, et il y a fort à parier qu’ils feront des pieds et des mains si ceux-ci venaient à leur être interdits légalement, donc. Mais pour y faire quoi ? Selon une enquête menée par le CRéSam (Centre de Référence en Santé Mentale), 8% des élèves de troisième et quatrième primaire avouent s’être déjà moqués de quelqu’un en ligne. Environ 15% déclarent avoir été cyberharcelés.
Les jeunes sont conscients qu’il y a de la désinformation sur les réseaux sociaux et les fake news éveillent d’ailleurs souvent leur suspicion
Côté info, 58% des ados s’informent quotidiennement ou presque à travers des vidéos et publications sur les réseaux sociaux. 27% le font de temps en temps. C’est de très loin la source principale d’information de ce public dont seulement 18% regardent le JT quotidiennement, et 11% sur les applications d’actualité. «Les jeunes sont conscients qu’il y a de la désinformation sur les réseaux sociaux et les fake news éveillent d’ailleurs souvent leur suspicion, expose Benoît Laloux. Ce qu’on peut faire, c’est mettre l’accent sur l’analyse des sources, leur fiabilité et la diversification de celles-ci. (…) Dès la cinquième primaire, on installe les bons réflexes.» Pour Action Média Jeunes, cela se traduit par des ateliers participatifs dont les fruits sont visibles sur le long terme principalement, avec une culture de l’analyse et de la critique médiatique qui se développe malgré tout. «Quant aux adultes, on suggère plutôt de s’intéresser à ce que les jeunes font en ligne, mais aussi de laisser ces derniers y avoir un espace. Le tout est de garder une bonne distance.»
L’interdiction des réseaux sociaux : un défi technique, juridique, et politique
C’est déjà une originalité idéologique en soi, mais la fermeture des réseaux sociaux aux jeunes de moins de quinze ans demeure également un défi technique, juridique et politique auquel l’Arizona devrait se confronter.
Technique parce qu’en principe, depuis 2018 et l’introduction du RGPD, tout mineur de moins de 15 ans doit avoir l’accord de ses parents pour pléthore d’activités sur le net, dont l’accès aux réseaux sociaux notamment. Il va sans dire que dans les faits, c’est rarement le cas. Un contrôle de l’âge des mineurs implique une vérification de l’âge des utilisateurs majeurs, ce qui implique toujours beaucoup d’obstacles au niveau du règlement européen pour la protection des données. Si le contrôle ne passe pas la vérification de la carte d’identité, ou bancaire, souvent jugées trop faible, il se pourrait que des outils de reconnaissance faciale soient développés et boostés à l’IA pour reconnaître les traits d’une personne majeure. On s’enfonce un peu plus loin dans l’atteinte aux données privées.
Plusieurs pays comme le Royaume-Uni ou se sont d’ailleurs cassés les dents face à une telle complexité ou certains Etats américains sont dans l’attente d’une décision judiciaire suite à une action des plateformes, logiquement remontées face à une telle décision. D’autant plus que ces dernières réfutent avoir la charge de l’autorisation ou non de l’accès à leurs services. La question de la culpabilité, et donc de la sanction, lorsqu’un mineur s’inscrirait sur un réseau social doit donc aussi se poser.
Et puis, l’ambition de Jacqueline Galant pourrait également se heurter à des positions politiques de ses partenaires de coalition, et particulièrement ceux en charge de ces matières. En novembre dernier, la ministre en charge de l’Aide à la jeunesse au gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles a déjà dit le mal qu’elle pensait de l’interdiction prononcée en Australie et préférer la prévention. A l’échelon fédéral, Vooruit et le CD&V indiquaient pour leur part être favorables, estimant que les jeunes ne sont pas assez armés pour s’aventurer sur les réseaux sociaux. En revanche, la N-VA estime que cette interdiction n’est «ni réaliste, ni souhaitable» et préfère faire en sorte d’aider les parents à encadrer leurs enfants sur le net.