jeudi, décembre 26

Bloquer les aéroports de Liège et d’Anvers comme l’ont fait les activistes de Code Rouge pour dénoncer la pollution des avions? C’est se tromper de cible, estiment Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre Jean Gol et Jolan Vereecke, avocat et conseiller spécial du président du MR.

Il y a une dizaine de jours, plus de 1.200 personnes appartenant au mouvement activiste « Code Rouge » se sont introduites dans des zones privées des aéroports de Liège et d’Anvers, les ont occupées, interrompant ainsi une partie de leurs activités et se sont rendues coupables de dégradations diverses. La justification des organisateurs est la suivante : « Le secteur de l’aviation est désastreux pour le climat et la biodiversité. (…). Tout cela alors que 80 % de la population mondiale n’a jamais pris l’avion et que seulement 1 % est responsable de la moitié des émissions de l’aviation. Il est grand temps de mettre l’industrie de l’aviation au pas et d’opérer un virage à 180 degrés, en donnant la priorité aux personnes et à la planète ».

Qu’en penser ? Tout d’abord, il est mensonger d’affirmer que le secteur de l’aviation serait « désastreux pour le climat et la biodiversité ». C’est assurément un secteur d’activité qui exerce un impact sur l’environnement. Mais c’est aussi le cas de l’agriculture, du commerce, de l’industrie, du transport et, en définitive la quasi-totalité des secteurs d’activités économiques. A ce compte-là, les « héros climatiques » de Code Rouge devrait investir tous ces secteurs simultanément et 365 jours par an pour les « mettre au pas ». Par ailleurs, cet impact, quoique réel et regrettable, n’est, non seulement, pas « désastreux » mais on n’a pas attendu Code Rouge pour le diminuer graduellement et cela depuis très longtemps. L’aviation est en effet l’un des secteurs – si pas « le » secteur – où les progrès de décarbonation les plus spectaculaires ont été enregistrés ces dernières décennies.

Qu’on en juge. D’abord, les avions sont devenus beaucoup plus efficients au niveau énergétique. En effet, depuis 1960, les progrès dans la conception de appareils et des moteurs ont permis de faire baisser de 82 % la consommation de carburant par siège. Par ailleurs, l’utilisation de l’espace disponible a été optimalisée : aujourd’hui, on dénombre 20% d’avions en moins dans le ciel de Bruxelles qu’il y a 20 ans mais 30% de passagers en plus. Ceci est dû au doublement du nombre moyen de passagers par avion (on était autour des 75 passagers par avion en 2000 et on est à près de 140 maintenant).

Ce qui progresse également de manière phénoménale, c’est le découplage entre le trafic aérien et les émissions de CO2. Associés à l’amélioration des opérations et des infrastructures, des progrès continus ont permis, pour les appareils transporteurs de fret, de diviser par 2 les émissions de CO2 par passager/tonne-kilomètre depuis 1990, et ont ainsi évité l’émission de 11 Gt (11 milliards de tonnes de CO2 depuis 1990). C’est d’autant plus remarquable que le trafic aérien mondial a cru dans des proportions extraordinaires : de 2000 à 2018, il est passé de 1 milliard 670 millions de passagers à 4 milliards 230 millions de passagers par an. Soit une augmentation de 153% de ce même trafic. Mais, loin de correspondre à 153% d’émissions de CO2 en plus, cela s’est traduit par une augmentation de « seulement » 28,5% d’émissions. Le découplage est à l’œuvre.

N’est-ce pas 28,5% de trop ? Evidemment ! Le but est bien de passer à 0% d’émissions de CO2 en 2050. Dans ce secteur et dans tous les autres. Mais pas en décidant de clouer les avions au sol et en « mettant au pas » ce secteur. Comment ? Par l’innovation. En construisant « l’avion vert ». Boeing et la NASA ont récemment investi 1,2 milliards dans l’avion vert. La société SAFRAN, basée en Wallonie et construisant la majorité des moteurs de l’aviation civile, a mis plus de 100 ingénieurs sur le coup ! Par « avion vert », on ne doit pas comprendre ici un objet fantasmatique mais un ensemble de projets technologiques qui, séparément, permettent de progresser vers la décarbonation : des matériaux plus légers et plus résistants, des fuselages plus aérodynamiques, des ailes mieux conçues, du SAF (Sustainable Aviation Fuel), etc.

Le transport est une activité vitale pour notre économie. Graduellement, on passera à des carburants de synthèse totalement neutres en carbone. C’est le projet de l’e-fuel : un carburant qui brûle comme le carburant actuel mais fabriqué à partir d’hydrogène (n’émettant pas de CO2 pour sa fabrication) et de CO2 (capturé). Et de l’énergie verte (d’origine renouvelable ou nucléaire) pour réaliser la synthèse via la réaction de Sabatier. Le CO2 émis pour le brûler est compensé par le fait qu’il a été synthétisé à partir de CO2 capturé à la sortie des usines. Il est donc neutre en carbone. Evidemment, la diminution du stock total de CO2 sur terre sera obtenue par d’autres stratégies mais l’e-fuel est ce qui permet au transport dans tous les domaines où l’électrification n’est pas possible (véhicules lourds, cargos, avions, etc.) de ne pas émettre plus de CO2 que celui qui a été capturé pour le réaliser. Il faudra évidemment un peu de temps pour rendre le processus totalement neutre et, surtout, en diminuer le coût de fabrication. Mais c’est une révolution qui est en cours. N’en déplaise à Code Rouge et à ses mensonges.

L’aviation réservée à une élite ? Autre mensonge. Assurément, une minorité seulement de la population mondiale voyage dans les airs. Mais elle augmente chaque année grâce aux vols low-cost. Est-ce une régression que de permettre à des passagers d’origine modeste d’aller revoir la famille demeurée sur un autre continent ? Par ailleurs, ce secteur fait vivre des dizaines de milliers d’employés faiblement qualifiés et leur famille en Belgique. L’aéroport de Charleroi représente 7.900 emplois (directs, indirects, induits et catalytiques), celui de Liège près de 11.000 et celui de Bruxelles près de 64.000 rien qu’en emplois directs et indirects. Et Code Rouge « oublie » également que la mondialisation libérale – qui, depuis plus d’un siècle fait circuler les biens, les hommes et les idées – ne serait jamais développée avec la même vitesse et dans de telles proportions sans le secteur de l’aviation. La mondialisation a permis de faire passer 55% de la population mondiale vivant, en 1950, en dessous du seuil de pauvreté (1,9 $ par jour) à moins de 9% aujourd’hui… Donc, oui, l’aviation profite aux plus pauvres de la planète.

Les caravanes défilaient sur les routes de la soie, les caravelles sillonnaient les océans. Aujourd’hui les avions glissent le long des Gulf Streams. L’aviation a fait du monde un village. C’est devenu l’un des principaux vecteurs du commerce, lequel, comme chacun sait a toujours rapproché les peuples et démantelé les préjugés. En définitive, manifester contre ce secteur n’est-ce pas se tromper de cible ? N’est-ce pas le fait de personnes qui, comme tout un chacun, bénéficient de cette mondialisation qu’ils dénoncent ? Quelle doit être notre vraie cible ? L’objectif est-il « zéro émission » ou « zéro vol » ? Il faut décarboner notre économie et non – n’en déplaise aux catastrophistes – le découplage n’est pas un mythe : selon le dernier rapport du GIEC de 2022 (chapitre II du volume III), 67 pays ont amorcé un découplage relatif, 23 pays ont réussi un découplage absolu entre PIB et leurs émissions territoriales et 14 pays ont réussi un découplage absolu entre leur PIB et les émissions imputables à leur consommation. Et la situation s’améliore chaque année. Œuvrer authentiquement à la transition, ce n’est pas dépenser du temps, de l’énergie et de l’argent (des autres) pour des symboles mensongers. C’est, bien plutôt, travailler dans quantité de domaines pour accélérer la décarbonation et rendre effectif le découplage. Plus de temps à perdre. 2050, c’est demain !

Par Corentin de Salle, Directeur scientifique du Centre Jean Gol et Jolan Vereecke, Avocat et conseiller spécial du président du MR

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