mercredi, novembre 13

«Quatre secteurs tuent au moins 7.000 personnes par jour en Europe», relève l’OMS, à savoir les industries fossile, du tabac, de l’alcool, et alimentaire. Le biologiste danois Nicklas Brendborg fait le point sur la quatrième d’entre elles.

Le tabac, l’alcool, les aliments ultra transformés et les combustibles fossiles sont partiellement ou entièrement responsables de 2,7 millions de décès chaque année dans l’ensemble de l’Europe, ressort-il d’un nouveau rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le document parle de «tactiques trompeuses» pour influencer les politiques. Des stratégies que le célèbre biologiste danois Nicklas Brendborg tâche de décrypter.

Bienvenue à l’ère des superstimuli

«Nous sommes constamment manipulés par les plus grandes entreprises mondiales qui utilisent ce que l’on appelle des superstimuli», relève-t-il. Il s’agit de versions artificielles de stimuli qui attirent naturellement les humains, afin de rendre les humains dépendants. «Ce n’est pas la faute du consommateur, affirme le biologiste. L’industrie utilise les connaissances en biologie humaine pour manipuler nos instincts.»

Cela place les acheteurs dans une situation bizarre où, d’un côté, ils savent que grignoter est une mauvaise habitude, mais ils ne peuvent toujours pas y résister. Plusieurs facteurs jouent un rôle à cet égard.

1. Seul contre des milliers de personnes

L’alimentation industrielle est conçue pour manger le plus possible, explique Brendborg. Les fabricants font tout ce qu’ils peuvent pour manipuler la régulation naturelle de l’appétit et emploient des milliers de personnes pour cela. «Tout est optimisé, jusqu’à la couleur, la texture et le son. Les entreprises produisent des milliers de variantes de chaque produit et utilisent des méthodes scientifiques avancées pour tester la réaction des souris et des humains. À chaque fois, ils évaluent si un petit changement l’a rendu un tant soi peu plus attractif que le précédent. Certains fabricants de produits alimentaires utilisent même des scanners cérébraux pour étudier comment la nourriture nous affecte.»

La nourriture industrielle est conçue pour appuyer de manière anormalement forte sur tous les boutons du système de récompense du cerveau. Elle joue sur la préférence naturelle des humains pour le sucre, le gras et le sel, le désir de variété et l’appétence pour des stimuli de plus en plus forts.

Un exemple: autrefois, une glace au goût «normal» de vanille ou de chocolat suffisait à chatouiller la langue. Aujourd’hui, les fabricants comme Ben & Jerry’s lancent une variante de glace avec de la sauce caramel, des morceaux de chocolat et de la pâte à biscuits. Trois superstimuli pour le prix d’un.

2. Les chips, des armes massives de marketing

Brendborg donne un autre exemple: les chips. «Comme toutes les autres entreprises, le fabricant de chips cherche à gagner de l’argent. Votre esprit, votre volonté et de votre sentiment de satiété représentent ses plus grands ennemis. Si vous laissez les chips dans le placard, il faudra plus de temps avant d’en acheter de nouvelles. C’est également le cas si vous n’en mangez qu’une poignée à chaque fois, parce que vous êtes rassasié ou parce que vous vous arrêtez à mi-chemin du sac, de part votre volonté. Des sentiments que doit combattre le fabricant de chips.»

Certains producteurs investissent énormément pour cela, assure Brendborg. «Les plus grands disposent de parcs de recherche partout dans le monde. Des chercheurs hautement qualifiés, qui reçoivent des milliards d’euros, y travaillent pour optimiser les chips, les biscuits et les plats cuits au four à micro-ondes, comme s’il s’agissait de médicaments vitaux ou d’armes avancées. Ils répondent à des questions telles que: quel est l’équilibre parfait entre gras et sucre? Qu’est-ce qui stimule le plus l’appétit, l’E620 ou l’E621? Les chips doivent-ils être d’un jaune légèrement plus foncé? Et ainsi de suite.»

3. Même le poulet frais du magasin contient du sel ajouté

Brendborg critique également la concentration en sel dans cette alimentation industrielle: «Vous et moi consommons suffisamment de sel pour couvrir les besoins physiologiques d’un petit village. Mais cela n’est pas dû au peu de sel que nous saupoudrons sur nos aliments. La majeure partie que nous consommons provient d’aliments transformés. Tout comme le sucre, le sel se cache dans tout. Il peut y avoir autant de sel dans le fromage, la viande et le pain que dans un sac de chips. Il se cache même dans des aliments non transformés, où il est secrètement ajouté pour les rendre plus attrayants.»

Pour le biologiste danois, le pire exemple est celui du poulet frais: «On pourrait penser que le poulet a simplement été emballé et mis au réfrigérateur. Mais les producteurs de poulet utilisent souvent une technique où de l’eau salée est injectée dans la viande, ce qui fait augmenter son volume. Cela améliore également le goût, car l’eau s’évapore lorsque vous rôtissez le poulet et il reste beaucoup de sel.»

4. Les aliments au restaurant sont parfois encore pires que ceux industriels

Oui, la restauration rapide est à l’origine de notre épidémie d’obésité. Mais selon Brendborg, cette fixation sur le fast food permet à d’autres secteurs de l’industrie alimentaire d’échapper facilement aux critiques.

«La plupart des gens pensent que manger au restaurant est plus sain que dans une chaîne de restauration rapide. Du moins, c’est ce que j’ai moi-même pensé. Après tout, dans un restaurant, il y a principalement de la nourriture verte dans votre assiette et la nourriture semble généralement moins grasse. Mais ironiquement, il s’avère que les repas au restaurant ont tendance à être plus caloriques que les repas de restauration rapide.»

Brendborg explique: «Les restaurants occidentaux, tout comme les chaînes de restauration rapide, se livrent une concurrence féroce. Bien sûr, vous ne gagnerez pas cette compétition si vous économisez des calories. Si les restaurants veulent que les clients viennent plus souvent, ils doivent rivaliser sur tous les aspects du goût, par exemple avec l’utilisation de grandes quantités de graisses. Cela est particulièrement évident dans les énormes quantités de beurre et d’huile utilisées dans les cuisines des restaurants.»

5. Les montagnards sont moins sensibles aux aliments industriels

Pourquoi l’État du Colorado, l’État le plus haut des États-Unis avec une altitude moyenne de 2.100 mètres au-dessus du niveau de la mer, est-il l’État où les Américains sont les plus minces? Ces deux éléments pourraient-ils avoir quelque chose à voir l’un avec l’autre?

Oui, et cela pourrait être dû au goût, estime le biologiste: «Vous avez probablement mangé quelque chose dans un avion et vous avez peut-être découvert que la nourriture n’avait pas si bon goût. Par exemple, une étude commandée par la compagnie aérienne Lufthansa a conclu que la sensibilité des papilles gustatives aux aliments sucrés et salés est inférieure de 30% à bord d’un avion. Les chercheurs ont également découvert que la pression atmosphérique et une faible humidité rendent les aliments moins odorants. C’est peut-être ce qui explique que les montagnards maintiennent plus facilement leur poids, parce que leur environnement les rend moins sensibles aux astuces utilisées par les fabricants de produits alimentaires lorsqu’ils préparent de la nourriture pour nous.»

Et maintenant, la solution

Brendborg n’a pas de solution idéale pour ce qu’il pense être l’un des plus grands défis de ce siècle, mais il propose quelques stratégies pour éviter d’être manipulé par les superstimuli de l’industrie:

Connaissances: Comprendre le fonctionnement du cerveau peut aider à en reprendre le contrôle. Il faut donc savoir comment les entreprises utilisent des superstimuli pour influencer le comportement, affûter son esprit critique et se demander si on a vraiment besoin de certains aliments. Par exemple: il est préférable d’acheter un guacamole fait maison, et non un préemballé.

Conscience: Il faut être conscient de ses habitudes et des stimuli qui influencent les consommateurs. Ceux qui grignotent par ennui devrait trouver un autre moyen de combattre ce sentiment.

Maîtrise de soi: Les consommateurs doivent se fixer des limites et pratiquer la maîtrise de soi. L’objectif: ne pas être tenté par des astuces marketing telles que le 1+1 gratuit. Pour certaines personnes obèses, les médicaments amaigrissants peuvent aider.

Moins d’exposition: Il faut réduire son exposition aux superstimuli. Une astuce: remplacer les biscuits, chips et autres cochonneries par des alternatives plus saines et savoureuses, comme des gâteaux faits maison.

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