La réduction des primes en Wallonie et leur suspension à Bruxelles n’affectent pas que le portefeuille des ménages. Ces coupes pourraient aussi accroître le recours au travail au noir.
Pour une bonne partie de la classe moyenne, le nouveau régime wallon de primes Habitation, en vigueur depuis le 14 février dernier, ne finance même plus 20% de la plupart des travaux éligibles. Il ne faut pas être richissime, loin de là, pour tomber dans la catégorie de revenus la moins favorable, celle qui ne multiplie que par deux le montant de base, réduit de 60% en moyenne depuis la réforme. Cette catégorie concerne tout ménage dont le revenu annuel imposable globalement, figurant dans le dernier avertissement-extrait de rôle, dépasse 50.600 euros. Ce seuil correspond plus ou moins aux revenus d’un couple de deux travailleurs salariés, sans enfant, gagnant chacun un peu moins de 2.100 euros net par mois en 2025, estime l’économiste Philippe Defeyt pour Le Vif.
Des primes anecdotiques?
Des travaux d’isolation par l’extérieur? Les primes wallonnes couvriront 10 à 15% du chantier, au regard des prix actuels par mètre carré. Un traitement d’humidité ascensionnelle? Désormais, le soutien équivaut tout au plus à 6% d’un devis. Fixé à 50% du montant des travaux pour les deux catégories de revenus les plus élevées, le nouveau plafond d’intervention des primes semble donc résolument théorique. Conséquences directes: des entreprises de la construction constatent déjà un ralentissement du nombre de devis signés. Certains particuliers, eux, diminuent ou reportent les travaux de rénovation énergétique qu’ils prévoyaient d’effectuer. En Région bruxelloise, le coup d’arrêt est encore plus brutal, puisque les primes Renolution sont tout simplement suspendues, dans l’attente d’un nouveau gouvernement régional.
Plus insidieusement, ces différentes coupes risquent-elles d’inciter des clients et des sociétés à recourir au travail au noir, en vue de diminuer les coûts? «Il est généralement admis qu’une réduction de la TVA ou une augmentation des primes peut avoir un impact positif sur la diminution du travail au noir», expose Frédéric De Wispelaere, expert à l’Institut de recherche pour le travail et la société (Hiva) de la KULeuven, auteur d’une rare étude sur le travail au noir dans le secteur de la construction en Belgique. L’inverse est donc plausible également. Toutefois, les preuves empiriques sur le sujet restent limitées, nuance-t-il. «A ce jour, nous n’avons aucun indice permettant d’affirmer que la diminution des primes entraînera nécessairement une hausse du travail au noir», ajoute Jona Ceuppens, directeur général des services de l’inspection de l’Office national de sécurité social (ONSS).
«Quand on paie une entreprise au noir, cela veut dire qu’il n’y a pas de contrat et donc pas de garantie en cas de souci.»
Pour Pierre Cuppens, secrétaire général de la CSC bâtiment-industrie et énergie, le risque est cependant bien réel: «On l’entend de petites entreprises, de travailleurs et d’indépendant sans personnel, le travail au noir reprend de l’ampleur à cause de cela. Pour certains, ça devient presque une obligation, face aux devis de sociétés malhonnêtes.» De son côté, la fédération de la construction souligne la lourde pression fiscale sur les entreprises du secteur. «Quand, en tant qu’entrepreneur, on paie un ouvrier entre 36 et 40 euros et que ce dernier n’en reçoit que 10 à 12, on peut concevoir que certains essayent d’éviter cela, commente Hugues Kempeneers, directeur général d’Embuild Wallonie. Mais c’est évidemment quelque chose que l’on ne cautionne absolument pas.»
Même s’il est difficile de chiffrer le phénomène avec précision, le travail au noir n’a rien d’anecdotique. «Environ un cinquième de la richesse générée par le secteur de la construction, qui représente 5% du PIB, se compose d’activités qui se déroulent dans l’économie parallèle, notait Frédéric De Wispelaere dans son rapport, paru en 2020. Il s’avère également que sur la base des résultats de la dernière enquête Eurobaromètre sur le travail au noir, 16% des répondants belges admettent avoir acheté des biens ou des services dans l’économie parallèle au cours des 12 derniers mois. Dans ce groupe, 34% ont acheté ces biens et services pour des travaux de réparation ou de rénovation à domicile.»
Bien que les petits chantiers passent souvent sous les écrans radars de l’inspection, la fraude sociale au sens large reste assez courante. «Dans la construction, elle porte souvent sur des travailleurs occupés par des entreprises établies sur le papier dans d’autres pays européens, commente Jérôme Deumer, magistrat de presse à l’auditorat du travail de Liège. Il s’agit donc de problématiques de dumping social. Dans ces cas-là, les enquêtes visent à déterminer si ces travailleurs sont assujettis au bon régime de sécurité sociale, ou déclarés dans leur pays d’origine.» Dans le secteur de la construction, le taux de positivité de 3.236 contrôles effectués en 2024 atteint 34%, d’après les statistiques du Service d’information et de recherche sociale (Sirs), qui n’offrent qu’une photographie partielle de l’ensemble des inspections menées. Et 17% des contrôles identifient spécifiquement une infraction relative au travail au noir.
Des risques élevés
Censé coûter moins cher aux clients et aux entreprises, le recours au «black» fait fi des risques encourus de part et d’autre. «Une rénovation, c’est le chantier d’une vie, souligne Hugues Kempeneers. Quand on paie une entreprise au noir, cela veut dire qu’il n’y a pas de contrat et donc pas de garantie en cas de souci.» Les employeurs, eux, s’exposent à d’importantes amendes administratives ou pénales, à une éventuelle peine de prison, à la perte des avantages offerts par l’ONSS et au versement d’une cotisation de solidarité, visant à rectifier l’absence de déclaration des cotisations de sécurité sociale. «Il y a la possibilité, pour le ministère public, de requérir la confiscation de ce qu’on appelle les avantages patrimoniaux illicites, c’est-à-dire du gain résultant de ces infractions», expliqueJérôme Deumer.
Au-delà des considérations strictement financières, d’autres éléments sont de nature à dissuader le recours au travail au noir: en l’absence d’une facture en bonne et due forme, un particulier ne pourra pas valoriser les travaux effectués dans son bien en cas de revente. Ni dans le certificat PEB, ni dans le dossier d’intervention ultérieure (DIU), en principe obligatoire pour tous travaux effectués depuis 2001 par un entrepreneur.