Poussé par les pouvoirs publics, le déploiement des voitures électriques se poursuit en Belgique. Mais un frein majeur risque d’apparaître: la «coïncidence de la charge», ou le fait que trop de monde rechargera sa voiture en même temps. Explications.
Les voitures électriques et les Belges, ce n’est pas une folle histoire d’amour. Selon un récent sondage du CNCD, mené en collaboration avec Le Vif, 48% des personnes interrogées se déclarent opposées à la substitution du thermique par l’électrique. Si 27% des voitures vendues aujourd’hui (à l’issue du troisième trimestre 2024) sont 100% électriques (soit 7,4 points de pourcentage de plus par rapport à la fin 2023), c’est en réalité en grande partie grâce aux véhicules de société, ainsi qu’à un effet d’aubaine en Flandre. «La prime attribuée jusqu’à fin novembre 2024 par la Région flamande aux particuliers acquérant un modèle électrique de maximum 40.000 euros, a largement contribué à atteindre ce résultat», commente la Febiac. En parts de marché, les motorisations à essence restent en tête (42% des voitures vendues), tandis que les véhicules hybrides en tout genre se hissent en troisième position (25,1%).
Sans l’apport des voitures de société, la demande pour les motorisations électriques en Belgique connaîtrait probablement un marasme similaire à celui de l’Europe, incitant de nombreux constructeurs automobiles à prolonger la production de véhicules diesel et essence.
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Si le nombre de bornes de recharge continue à augmenter, un frein important subsiste quant au déploiement du réseau: les risques de surcharge.
Le réseau électrique basse tension est un entonnoir: si l’on y injecte trop de courant, ce débordement génère une surtension. Dans certaines rues, c’est ce qui conduit notamment au décrochage intempestif des onduleurs de panneaux photovoltaïques. Pour le placement de bornes de recharge, c’est exactement le phénomène inverse: quand elles se multiplient au départ d’un même circuit ou d’une même cabine, elles peuvent engendrer une sous-tension de tous les appareils qui y sont branchés. «Dans un sens ou dans l’autre, le réseau n’a initialement pas été conçu pour cela, précise Annabel Vanbéver, porte-parole du GRD Ores. La mobilité électrique pourrait à l’avenir devenir un problème si tout le monde recharge son véhicule au même moment, par exemple en rentrant du travail, et à pleine puissance.»
La «la coïncidence de la charge» ou l’embouteillage entre 17 et 20h
C’est ce que la communauté scientifique appelle «la coïncidence de la charge». «Même durant les pics de consommation, les charges ne sont historiquement pas coïncidentes, détaille Lionel Delchambre, chercheur à l’ULB. Les habitants d’un quartier n’allument pas tous leur four en même temps et consomment eux-mêmes parfois plus tôt ou plus tard. L’arrivée des voitures électriques change la donne, comme ce fut le cas avec les panneaux photovoltaïques. On peut s’attendre à une augmentation de la coïncidence si tout le monde recharge sa voiture au maximum de la puissance possible entre 17 et 20 heures.» Les GRD ne restent bien sûr pas inactifs face à ces défis. Ils investissent des milliards d’euros sur une base pluriannuelle pour renforcer le réseau, ouvrant les trottoirs et plaçant si besoin de nouvelles cabines. Mais ces interventions sont aussi coûteuses que chronophages.
En 2019, une étude commandée par Synergrid, représentant des gestionnaires de réseaux de gaz et d’électricité, avait dressé une première estimation des risques de sous-tension, en tenant compte de deux scénarios tablant sur 1,5 million de voitures électriques en 2030 et 5,7 millions en 2050. Dans celui aux conséquences plus limitées pour le réseau (une recharge plus lente, lissée durant la soirée ou la nuit et de 50% à domicile), l’étude identifie tout de même un risque de saturation pour 7% des circuits en 2030 et 14% en 2050. Dans le second scénario (une recharge plus rapide, principalement à domicile, concentrée dans les villes et les sous-régions à plus hauts revenus), la saturation pourrait affecter 11% des circuits en 2030 et 23% à 31% des cabines primaires et secondaires en 2050.
Conclusion: «N’attendons pas, comme ce fut le cas avec les panneaux solaires, que les premiers problèmes surviennent pour agir, souligne Pierre Henneaux, professeur spécialisé en réseaux électriques à l’ULB. Si on veut anticiper des effets en 2030, c’est dès maintenant qu’il faut s’accorder sur des règles claires à l’échelle régionale.»