vendredi, octobre 25

Le groupe palestinien est décapité après l’élimination de Yahya Sinouar. Mais il n’est pas définitivement anéanti, analyse le politologue Hasni Abidi. La balle est dans le camp de Netanyahou.

L’armée israélienne a éliminé les numéros un et deux de la direction politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh et Saleh al-Arouri, le leader des Brigades Ezzedine al-Qassam, sa branche armée, Mohammed Deif, et son chef à Gaza et concepteur du 7-Octobre, Yahya Sinouar. En plus de milliers de miliciens depuis le début de la guerre. Directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, le politologue Hasni Abidi explique les conséquences de cette répression sans précédent sur le Hamas.

Le Hamas est-il décapité? Pourra-t-il surmonter cette échec?

Le Hamas a subi un coup très dur. Le plus dur depuis sa création. La perte de Yahyah Sinouar dépasse celle de tous les autres dirigeants éliminés par l’armée israélienne. Il avait deux responsabilités de taille, la direction politique et la direction militaire. Il avait une légitimité importante. Il avait un certain charisme. Il était lui-même un réfugié. Il avait passé plus de 22 ans dans les prisons israéliennes. Il a géré le Hamas de main de fer. Il l’a aussi dirigé dans sa phase la plus critique, sous l’embargo israélien et les sanctions internationales. Il y avait peu d’argent, hormis celui qui rentrait au compte-gouttes de la part des organisations humanitaires. Malgré cette situation qui a laissé croire à Israël et à d’autres que la population de Gaza se révolterait contre le Hamas et contre Sinouar, rien de tel ne s’est produit. Ils ont continué à gérer l’enclave. Donc oui, l’état-major du Hamas et de sa branche armée a été décapité. Mais le Hamas n’a pas été anéanti définitivement. Depuis sa création, il a montré une capacité hors pair à se renouveler. Elle est due au fait que, de leur vivant, les dirigeants du Hamas préparent déjà la suite. Il existe une direction du Hamas officielle, publique, et une autre qui n’est pas connue, parce qu’ils savent que leurs responsables sont recherchés par Israël. On ne peut donc pas dire que le Hamas est enterré.

La mort de Yahya Sinouar facilite-t-elle ou complique-t-elle la libération des otages, et la fin de la guerre à Gaza?

C’est surtout une victoire pour Benjamin Netanyahou, en raison des enquêtes qui pèsent sur lui, et de la vulnérabilité de sa coalition. Eliminer deux chefs importants du Hamas en trois mois, Ismaïl Haniyeh le 31 juillet dernier et Yahyah Sinouar le 17 octobre, est une performance militaire que Netanyahou a aussitôt transformée en performance politique. Mais il ne veut pas la transformer en une réalisation politique pour Israël et pour la paix. Il avait affiché trois objectifs au lendemain du 7-Octobre: l’élimination de l’état-major militaire du Hamas et notamment Yahyah Sinouar, l’élimination de la direction politique du Hamas (NDLR: Yahyah Sinouar n’a été nommé chef politique du Hamas qu’après l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh) et le retour des otages. Aujourd’hui, on peut dire qu’il a réalisé les deux premiers objectifs. Il reste le troisième puisqu’une centaine d’otages sont toujours aux mains du Hamas et du Djihad islamique. C’est un piège. La balle est dans le camp de Benjamin Netanyahou. Mais on sait que le retour des otages ne passe pas par la pression militaire, mais par une négociation pour une trêve et leur libération. Benjamin Netanyahou n’en veut pas. Il a transformé l’élimination des chefs du Hamas en une victoire personnelle. Mais il refuse de passer à la deuxième phase, une trêve politique pour réaliser le troisième objectif, qui passe par l’allègement des souffrances des Gazaouis.

«Netanyahou ne veut pas transformer la performance militaire de l’élimination de Sinouar et Haniyeh en réalisation politique pour Israël.»

Au vu de la haine qu’inspirent aux populations palestiniennes et arabes les pertes humaines et les destructions causées par l’armée israélienne, est-ce aussi une victoire pour Israël à long terme?

Benjamin Netanyahou et l’armée israélienne sont en train de fabriquer de nouvelles générations qui ne porteront que de la haine à Israël. Par son profil, Yahya Sinouar témoigne de cette mémoire chez les Palestiniens. Il est né dans un camp de réfugiés. Il a grandi avec cette haine envers l’occupation. Aujourd’hui, une génération d’enfants palestiniens voient leurs parents et leurs proches périr sous les bombardements aériens, parfois brûlés vifs. Il est illusoire de croire à une génération de paix, ou à une région habitée par la prospérité et la paix, comme le dit Benjamin Netanyahou quand il parle de changer le visage du Moyen-Orient. Oui, il va en changer le visage, mais dans un sens hostile à Israël. Je suis inquiet pour les Israéliens, pour l’Etat d’Israël, qui a le droit de vivre en sécurité. Le prix de cette sécurité n’est pas très élevé. Il consiste à offrir aussi la sécurité à ses voisins qui sont les Palestiniens. Il est difficile de vivre en paix et en sécurité alors que ses voisins sont en situation précaire sur les plans économique et social, et sans perspective politique. C’est la différence entre Benjamin Netanyahou et Israël. Les Israéliens ne partagent pas les desseins sombres de Netanyahou, à savoir remporter des trophées sans se soucier de l’avenir des millions d’Israéliens, et aussi des millions de Juifs dans le monde parce qu’ils seront associés à la peine portée aux Palestiniens. C’est la raison pour laquelle il est important de revenir à une dynamique de paix pour au moins sauver ce que l’on peut encore sauver chez les Palestiniens.

Une nouvelle direction politique, qui puisse s’imposer aux militants du Hamas et de l’Autorité palestinienne, peut-elle émerger du camp palestinien?

Si les Palestiniens ont réussi à donner plusieurs dirigeants successifs à des organisations qui prônent la violence, ils sont aussi capables de produire des hommes de paix. On l’a vu lors des accords d’Oslo. C’est plutôt du côté israélien qu’il n’y a pas d’interlocuteur. Souvenez-vous du «plan Biden», présenté fin mai, qui offrait une perspective de paix. C’est Netanyahou qui l’a rejeté. L’Occident doit aussi se départir de cette culture de tutelle qui considère les Palestiniens comme immatures et incapables de produire des chefs. Yasser Arafat a eu le prix Nobel de la Paix. Et, après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, les gouvernements israéliens successifs l’ont considéré comme un terroriste. Si on leur donne l’occasion de voter, les Palestiniens pourront élire des personnalités, des femmes et des hommes, capables de négocier et de parler en leur nom.

«Les Israéliens ne partagent pas les desseins sombres de Netanyahou.»

Partager.
Exit mobile version