Des drones et raids d’avions de chasse israéliens bombardent Beyrouth, la capitale du Liban, en réponse à des roquettes lancées vers Israël par des auteurs «non identifiés». Les Libanais dénoncent une violation du cessez-le-feu et craignent le retour d’une guerre ouverte.
Au Liban, la guerre ne s’est jamais vraiment arrêtée. Les bombardements presque quotidiens de l’armée israélienne sur des positions supposées militaires du Hezbollah ne laissent que peu de répit aux habitants. Le cessez-le-feu en place depuis le 27 novembre 2024 résonne comme une blague pour Hala, originaire de Nabatieh, grande ville du sud du Liban: «L’armée israélienne bombarde le sud en ce moment même. Ce cessez-le-feu ne se fait que dans un sens. Depuis le 27 novembre, il y a eu plus de 100 morts dans des frappes. La moitié des villages dans le sud sont vides. Je suis définitivement contre le lancement d’une deuxième phase de la guerre, mais accepter cette ignorance mondiale face au sud du Liban, c’est une guerre silencieuse qui continue, et ce n’est pas acceptable.»
Deux roquettes ont été tirées depuis le Liban vers Israël ce 27 mars. L’une a été neutralisée, l’autre s’est écrasée en territoire libanais avant d’atteindre sa cible. Un acte suffisant pour le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, pour menacer le Liban d’un retour à la guerre: «S’il n’y a pas de calme au nord d’Israël, il n’y en aura pas non plus à Beyrouth.»
Le Hezbollah a été tenu pour responsable de ces tirs ainsi que de ceux du 22 mars, quelques jours plus tôt. Mais la milice chiite libanaise, considérée comme terroriste par l’Union européenne, nie toute implication. «Nous respectons la trêve», communique dans la foulée la formation pro-iranienne. Une enquête est en cours au Liban pour connaître la source exacte des deux attaques successives vers Israël les 22 et 27 mars.
Menace mise à exécution
«C’est la panique à Beyrouth, raconte Hala. Les écoles ont fermé, les gens tirent en l’air dans la rue, et les populations du quartier sud commencent à quitter les lieux. C’est exactement le même scénario que pendant la guerre.» Le porte-parole de l’armée israélienne, Avichay Adraee, a lancé des appels à l’évacuation en vue de frappes imminentes sur Beyrouth: «A toute personne se trouvant dans le bâtiment identifié sur la carte et aux alentours, vous vous trouvez près d’une installation du Hezbollah. Pour votre sécurité et celle de votre famille, vous devez évacuer immédiatement et vous éloigner d’au moins 300 mètres.»
Au même moment, des avions de chasse israéliens survolent Beyrouth à basse altitude. «Pour moi, la guerre est revenue, confie Hala. La question n’est plus de savoir si les bombardements vont reprendre, mais quand.»
Ali Khalil, conseiller politique et professeur de relations internationales à la retraite, basé à Beyrouth, partage ce sentiment. Il est convaincu que le gouvernement israélien s’enfonce dans des démonstrations de forces pour faire plier le Hezbollah et obtenir des garanties de sécurité du pouvoir libanais. «C’est un jeu dangereux qui peut facilement dégénérer, prévient-il. La question n’est pas de savoir si Netanyahou veut relancer une guerre. Elle est toujours en cours. Mais dans un seul sens.»
Selon lui, «en menaçant directement la capitale, Israël franchit une ligne psychologique. Beyrouth avait jusqu’ici été relativement épargnée pendant le cessez-le-feu. Cette dynamique est en train de changer.»
A peine a-t-il le temps de commencer une autre phrase qu’il change de sujet brusquement:
«Il vient d’y avoir une frappe.» Quelques minutes plus tard, l’information est confirmée par L’Orient-Le Jour, principal quotidien libanais: un drone israélien a mené deux frappes dans la banlieue sud de Beyrouth. «Si là, on ne peut pas parler de violation du cessez-le-feu, alors je ne crois plus en rien», s’indigne le politologue.
Quelques dizaines de minutes plus tard, c’est au tour de l’aviation israélienne de frapper Beyrouth. Deux morts et une dizaine de blessés sont à déplorer. La dernière vague de frappes directes date de novembre 2024, tournant décisif dans la guerre entre le Hezbollah et Israël.
Cette banlieue de Beyrouth, bastion du Hezbollah, a été une des cibles privilégiées de l’armée israélienne lors de sa guerre avec la milice chiite. D’innombrables immeubles résidentiels avaient été touchés, certains réduits à l’état de ruine. Les frappes, menées en pleine journée, semaient la panique et des centaines de morts chez les combattant du Hezbollah comme chez les civils.
A mesure que les raids s’intensifiaient, les départs se sont multipliés. En quelques semaines, plus de 90% de la population avait quitté les lieux pour se réfugier dans les montagnes ou plus au nord du Liban. Les lignes électriques ont été endommagées, les écoles fermées, et de nombreuses routes secondaires bloquées par des gravats. La banlieue sud, habituellement animée, s’est peu à peu vidée, transformée en zone de silence et de crainte.
Cinq mois plus tard, alors que les avions israéliens reprennent leurs vols à basse altitude au-dessus de Beyrouth et que des appels à évacuer certains immeubles circulent à nouveau, la peur ressurgit. «Ils nous demandent de fuir. Mais pour aller où? On ne peut pas revivre ce qu’on a vécu en octobre», souffle Zeina, enseignante dans une école à moins d’un kilomètre du lieu soumis à un avis d’évacuation. Avec son téléphone, elle filme ses collègues qui tentent de garder leur calme, tandis que des enfants, déjà marqués par des mois de guerre, pleurent à l’idée que tout recommence. «On pensait que la trêve tiendrait un peu. Là, on revit le même cauchemar, mais en pire, parce qu’on sait à quoi s’attendre.»
Réponses diplomatiques
Pendant ce temps, la diplomatie s’active à Paris. Emmanuel Macron reçoit son homologue libanais Joseph Aoun pour discuter, entre autres, de la sécurité à la frontière syro-libanaise et libano-israélienne. Une visioconférence est prévue avec les dirigeants de la Grèce, de Chypre et de la Syrie. Le président français espère renforcer l’axe euro-méditerranéen et éviter que le Liban ne bascule à nouveau dans un conflit généralisé.
Le président libanais Joseph Aoun, avertit des évènement soudains, dit suivre la situation «minute par minute» depuis Paris et appelle la communauté internationale à mettre un terme aux «violations israéliennes» de la trêve.
De son côté, le président français Emmanuel Macron a jugé que les frappes israéliennes au Liban étaient «inacceptables» et «en violation du cessez-le-feu» et que, selon ses informations, les deux tirs du 22 et 27 mars ne sont imputables au Hezbollah.
Sur le terrain, les messages diplomatiques peinent à contenir les tensions: «Les acteurs régionaux savent que le Liban ne survivra pas à une nouvelle guerre. Mais cela n’empêche pas certains de flirter avec le chaos pour des gains politiques à court terme », affirme Ali Khalil. Avant d’ajouter: «Le président libanais a promis des réformes, un gouvernement est en place, la communauté internationale veut croire à un sursaut. Mais les sirènes de guerre couvrent difficilement les promesses politiques. A Beyrouth, le fracas des avions de chasse rappelle que tout peut basculer d’un instant à l’autre.»