vendredi, décembre 12

Depuis son arrivée à la Défense, Theo Francken enchaîne les sorties viriles et les avertissements contre Moscou, au risque de fracturer le paysage politique. Ses détracteurs dénoncent une posture dangereuse, tandis que son cabinet invoque une simple lecture réaliste de la menace.

Le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, a exprimé jeudi soir ses inquiétudes sur la capacité européenne à se défendre face à une potentielle offensive de la Russie. Le Néerlandais, invité à Berlin pour un débat sur la sécurité, opte pour une position relativement mesurée et diplomate: «Nous devons tester la Russie, afin de voir s’ils souhaitent réellement la paix en Ukraine. L’Union européenne et les Etats-Unis vont se mettre d’accord sur un plan de paix. Il faudra voir si les Russes l’acceptent. C’est ça le test.»

De son côté, Theo Francken (N-VA), ministre de la Défense, semble suivre sa propre route et effectuer ses propres tests diplomatiques. Pas question d’entrer dans des discours mesurés à la sauce européenne, il préfère réagir aux propos du secrétaire général de l’Otan en gainant les muscles: «L’Otan dispose d’une doctrine nucléaire et d’un dispositif de dissuasion efficace. Nous renforçons considérablement nos forces à la frontière orientale. Les Russes n’entreront pas si facilement. Ils rencontreront une forte résistance», confie le nationaliste flamand à la VRT.

Une position que Ludivine Dedonder, députée socialiste et ancienne ministre de la Défense sous la Vivaldi, juge dangereuse: «Quand on occupe la fonction de ministre de la Défense, la première responsabilité est de protéger la population. Cela suppose de la retenue. On peut penser ce que l’on veut, mais on ne s’exprime pas n’importe comment sur la Russie, encore moins dans un contexte international aussi fragile. Peu après cette séquence, une cyberattaque vise directement le Service général du Renseignement et de la Sécurité. Les hackers ont laissé un message très explicite recommandant au ministre de ne plus tenir de tels propos. On n’agite pas le pays, on le protège. On agit, on ne s’agite pas

Ce n’est ni la première ni la dernière sortie aux «allures guerrières» du ministre de la Défense. Theo Francken a enchaîné ce qui est tantôt jugé comme des provocations, tantôt comme un narratif de séduction pour certains députés, qui parfois se lassent de l’image d’un «homme fort», presque «masculiniste». A noter qu’aucun des députés interrogés ne remet en question la nécessité d’investir dans la Défense, seuls les montants sont contestés, ni ne vont à l’encontre du ministre ou de l’Otan dans leurs qualifications de l’invasion russe en Ukraine, ou de la menace que représente Poutine pour l’Europe.

Des sorties «musclées»

Quinze jours après sa nomination à la tête de la Défense le 3 février 2025, le nationaliste flamand décrit le portefeuille de la Défense comme un «job de rêve» dans le contexte de guerre en Europe.

Le 21 février 2025, Théo Francken décrit publiquement un scénario d’invasion russe d’un Etat membre de l’UE et présente la dissuasion militaire comme seul rempart crédible: «Si la Russie peut proclamer une victoire en Ukraine et que les Etats-Unis se retirent partiellement d’Europe, Poutine peut se dire «j’attaque les Etats baltes ou un autre Etat membre européen», ce qui mènerait à une guerre dans l’Union européenne.»

Ludivine Dedonder y voit «un enfant qui a toujours joué à la guerre. Certains généraux, en apprenant sa nomination, ont dit très clairement qu’ils le jugeaient dangereux. Et cela s’est entendu dans les rangs. Beaucoup de militaires m’ont confié leur malaise

Fin octobre dernier, Theo Francken occupait déjà le devant de la scène internationale avec une sortie bien plus musclée, qui a choqué jusqu’à l’ex-président russe Medvedev. Lors d’une interview donnée au média flamand De Morgen, ce dernier affirmait ne pas craindre des frappes russes sur la Belgique: «Car ils frapperaient le cœur de l’Otan, et alors nous écraserions Moscou. Poutine sait aussi que s’il joue avec l’arme nucléaire, on rayerait Moscou de la carte et la fin du monde serait proche.»

Moi, provocateur?

Côté cabinet du ministre, on réfute toute exagération, narratif politique quelconque, prônant plutôt la tête froide et la lucidité de Theo Francken: «La réalité est là. Que doit faire monsieur Francken face à la menace russe? Notre ligne a toujours été d’obtenir la paix par la force. Nos intentions ne sont pas de provoquer pour provoquer, mais de communiquer sur des faits. Il y a des milliers de soldats américains à la frontière européenne, cela montre qu’il faut prendre une invasion russe au sérieux. Theo Francken n’exagère pas, il se base sur des faits, il n’a pas d’intentions guerrières, ni de ton martial particulier, mais une vision juste des événements. Nous sommes suivis par les autres cabinets du gouvernement. Personne ne se plaint des positions du ministre de la Défense, au contraire.»

En coulisse, c’est une autre vision qui semble émerger. Une complainte publique venant d’un membre du gouvernement fédéral a été faite à l’encontre du ministre, par le biais de Vanessa Matz, (Les Engagés), ministre de la Fonction publique. Une critique interne au gouvernement qui survient en janvier 2025, quand Ludivine Dedonder, a été une nouvelle fois visée par une «remarque» de Theo Francken. Celui-ci la qualifiait de «Blanche-Neige qui attend son prince et le baiser qui va la réveiller», pour dénoncer «une Belgique passive face à la menace russe». Cette dernière a jugé cette sortie de «sexiste et machiste. On est face à des mâles en quête de virilité qui ont trouvé un modèle, Trump, ils ne se sentent plus. Mais à un moment donné trop de testostérone ça vous bousille les neurones

«Lui, sexiste? Complètement!»

Ludivine Dedonder, ancienne ministre de la Défense, ne mâche pas ses mots à l’égard de celui qui lui a succédé. «Est-il masculiniste ou sexiste? Complétement!» La députée socialiste connaît bien son successeur, le côtoyant régulièrement lors des commissions de la défense lorsqu’elle était ministre. Celle-ci se souvient des remarques de Theo Francken à son encontre: «Une nuit, on me rappelle au Parlement pour une question sur le contingent militaire. Il ne me parle pas du tout de cela. Il se lance dans un discours pour affirmer qu’une ministre de la Défense ne peut pas porter de baskets. A quatre heures du matin. C’était d’un sexisme hallucinant.»

Puis, elle énumère l’épisode de la photo postée sur les réseaux sociaux en 2020: «Le premier jour de ma nomination, il publie une photo de moi avec mon chien, mort depuis quatre ans, en insinuant que cela résumait la ministre de la Défense. Ensuite, on m’a reproché de ne pas avoir fait mon service militaire, alors que cette question n’avait jamais été posée à mes prédécesseurs masculins. Toutes ses interventions attaquaient ma personne. Pas ma politique. Enfin si, les deux, disons.»

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