mercredi, mars 26

Pour la chercheuse Jeanne Guien, la néophilie a servi à perpétuer un modèle économique consumériste impliquant de dépenser et de jeter toujours plus. Eloquent.

«Les deux mots les plus percutants à mettre dans un slogan sont GRATUIT et NOUVEAU. Vous pouvez rarement utiliser GRATUIT, mais vous pouvez presque toujours utiliser NOUVEAU, si vous faites suffisamment d’efforts», avait coutume de dire le publicitaire David Ogilvy. C’est cette obsession de l’apparence de la nouveauté, confiée au marketeur, qu’explique la docteure en philosophie et chercheuse indépendante Jeanne Guien dans un passionnant ouvrage, Le Désir de nouveautés.

«Le capitalisme européen s’est développé autour d’une prétention […]: celle d’inventer, d’innover, d’être à l’avant-garde de l’histoire», rappelle l’autrice. Ce «désir de nouveautés», la «néophilie», fut d’abord construit, pour les marchés européens, par des colons, négociants, commerçants et économistes dans un contexte de «commerce au loin», de prédation, et de légitimation des violences, notamment l’esclavage. Le café, le thé, le cacao, le sucre… bénéficièrent ainsi, pour être adoptés par l’élite européenne, de la vertu de l’exotisme. La néophilie fut ensuite entretenue par le machinisme et par l’innovation présentée tantôt «comme une force tranquille, le moteur d’un mouvement doux, constant et bénéfique», tantôt «comme une fatalité violente mais inévitable». L’innovation n’étant pas permanente, le capitalisme s’en remit aux effets de mode, suscités souvent artificiellement, et à la surconsommation par le consumérisme. C’est dans ce cadre qu’a été imaginée l’obsolescence programmée, portée à son paroxysme dans les produits jetables. A une époque où l’écologie était encore ignorée, ils ont été promus par leur aspect pratique, qui évitait la corvée de l’entretien, et par l’idée qu’il permettait à l’utilisateur d’être plus indépendant, alors qu’il le rendait en réalité plus dépendant du marché.

«Dans le modèle consumériste, la surproduction n’est pas vue comme une anomalie mais comme un bienfait.»

«Aujourd’hui comme hier, la néophilie sert à perpétuer un modèle économique insupportable: un modèle consumériste, où la surproduction n’est pas vue comme une anomalie mais comme un bienfait, impliquant de dépenser et jeter toujours plus, toujours plus vite», analyse, en conclusion de cette enquête riche en exemples et profonde dans l’analyse, Jeanne Guien, que l’on a plus de difficultés à suivre quand elle limite le désir de nouveautés à «l’outil du conservatisme et du laisser-faire».

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