Elisabeth Degryse et Adrien Dolimont sont ministres-présidents depuis cinq mois. L’une à la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’autre à la Région wallonne. Cette législature, pour eux, sera avant tout celle des efforts budgétaires, quitte à faire des mécontents. Entretien croisé.
Ce fut expéditif. A la mi-juillet, un bon mois à peine après les élections, des gouvernements se formaient en Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles. A leur tête, deux nouveaux ministres-présidents: Adrien Dolimont (MR) et Elisabeth Degryse (Les Engagés).
D’emblée, ils ont annoncé la couleur. Cela s’est confirmé lors d’une présentation conjointe de leurs budgets respectifs, en octobre. Les deux entités fédérées sont désormais soumises à un effort drastique, fait d’économies à tous les étages. L’objectif consiste à stabiliser le déficit dans un premier temps, pour retrouver l’équilibre budgétaire dans une décennie, à l’échelle des deux entités. L’opposition dénonce des coupes sombres et des mesures douloureuses pour les citoyens. Elisabeth Degryse et Adrien Dolimont, eux, y voient une impérieuse nécessité.
Le 11 juillet, Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez, vos présidents de parti, annonçaient la formation des coalitions Azur à la Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Un basculement était annoncé, les deux entités allaient changer, on ne les reconnaîtrait. Après quelques mois comme ministres-présidents, l’épreuve de la réalité s’impose-t-elle à vous?
Adrien Dolimont: Mais on ne les reconnaîtra plus. Ce qui nous mobilise, c’est la transformation. On veut avancer, mais il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Est-ce facile? Pensions-nous que ce le serait? Nous avons les pieds sur terre depuis le début. Ce ne sera pas un long fleuve tranquille. On ne le fait pas de gaieté de cœur, mais par nécessité. Ce que je veux, c’est une Région prospère. Il faut rassembler toutes les conditions pour y arriver. Or, notre situation budgétaire est telle qu’elle reste un élément central. Ce n’est pas pour rien que nous sommes tous deux en charge du budget. Nous aurions aimé, Elisabeth et moi, avoir plein d’argent à distribuer. Mais nous devons être responsables, placer les ressources aux meilleurs endroits et s’assurer que les deniers publics soient bien utilisés. Ça ne fait que cinq mois que nous sommes en place, nous avons quand même avancé sur de gros dossiers. La machine est lancée, il faut continuer, sachant que la législature est encore longue. Et puis changer les mentalités prendra du temps.
Elisabeth Degryse: On a cinq ans pour travailler. Adrien et moi-même n’avons pas accepté ce poste en nous disant que ces années seraient faciles, avec des politiques publiques qu’on pourrait facilement renforcer. Pourtant, nous l’avons accepté. Ce qui m’anime, ce sont les générations futures. On peut faire mieux avec l’argent public existant. C’est d’autant plus le cas à la Fédération Wallonie-Bruxelles, puisque nous n’avons aucun levier sur les recettes, qui vont s’amenuiser dans les cinq ans à venir. Par conséquent, seul un travail sur les dépenses est possible. Et ces dépenses restent essentielles, ce sont des politiques fondamentales pour tout un chacun, de la naissance à la fin de vie. Non, ce ne sera pas facile. Mais nous avons des retours positifs du terrain, de citoyens contents de voir qu’on prend les choses en main. Le message que tout le monde doit entendre, c’est «responsabilité».
Lorsque vous décrivez cette politique de la parcimonie, on devine que ce n’était pas le cas auparavant. Or, comme on vous le rappelle souvent, vous gouverniez déjà. Le MR récemment, le CDH précédemment.
A.D.: Il ne faut pas toujours regarder dans le rétroviseur. J’ai été ministre du Budget pendant deux ans, sous le précédent gouvernement, et nous avons commencé à infléchir la situation. Mais regardons la photographie de la situation actuelle. Si on continue comme ça, à un moment, des décisions s’imposeront à nous. Il faut vraiment s’en rendre compte.
«Il ne faut pas toujours regarder dans le rétroviseur. Regardons la situation actuelle.»
Quel est le risque? Comment le décririez-vous aux citoyens?
A.D.: Aujourd’hui, on dépense plus qu’on a de recettes. C’est vrai que nous avons des leviers fiscaux, à la Région, mais nous voulons travailler davantage sur les dépenses que sur les recettes. La fiscalité est suffisamment élevée. Cela fait des années qu’on fonctionne avec un train de vie au-dessus de nos moyens. Si demain on ne nous prête plus ce différentiel entre recettes et dépenses, des politiques devront être arrêtées du jour au lendemain. Là, on n’aura juste pas le choix, on sera au pied du mur, obligés d’expliquer des décisions douloureuses. Nous voulons revenir à une trajectoire plus responsable, précisément pour éviter ce scénario. Ça ne veut pas dire annuler la dette existante. Nous devrons toujours l’assumer. Ce que nous voulons, c’est atteindre une proportion raisonnable entre nos recettes et nos dépenses.
E.D.: Je ne pourrais mieux le dire. Lorsque chacun gère son propre budget, s’il a un souci, il a deux manières de procéder. Soit il gagne plus d’argent, soit il arrête certaines dépenses. Obtenir plus d’argent, ce n’est pas faisable, soit parce que ce n’est pas notre volonté politique (pour la Région wallonne), soit parce que ce n’est pas envisageable (pour la FWB). La seule option consiste à travailler sur les dépenses. On doit les limiter de manière concertée et sereine, pour éviter de se retrouver au pied du mur. Nous avons décidé que tout le monde devrait participer à l’effort. C’est ça, ou arrêter des politiques essentielles pour les citoyens, ce dont nous ne voulons pas.
A.D.: On a le mauvais rôle, mais c’est le meilleur modèle, à terme, pour assurer la prospérité. Si nous ne prenons pas aujourd’hui des décisions courageuses, la génération suivante n’aura aucune marge de manœuvre. Nous ne pouvons pas la sacrifier.
«Non, ce ne sera pas facile. Le message que tout le monde doit entendre, c’est “responsabilité”.»
Le MR et Les Engagés n’ont-ils pas remporté les élections sur cet argumentaire, entre autres? On peut considérer que c’est un mauvais rôle, que c’est courageux, mais aussi que les électeurs aiment entendre le discours du type «fini de rire, on resserre les boulons partout». N’est-ce pas devenu très audible?
A.D.: Les questions budgétaires comptent de plus en plus dans la sphère francophone. C’est le cas en Flandre depuis longtemps. Là, depuis toujours, c’est une question politique majeure, même dans une campagne communale. Ça l’est désormais du côté francophone. Le budget, ce ne sont pas juste des chiffres, c’est un levier d’action politique. Raison pour laquelle on veut faire les choix les plus percutants et efficients. C’est aussi pourquoi on insiste sur la culture de l’évaluation politique, en parallèle.
E.D.: La situation est tendue entre la population et le politique, avec ce sentiment permanent que les politiques ne font que se servir, servent leurs amis ou ne gèrent pas correctement. En campagne, puis à travers les Déclarations de politique régionale (DPR) et communautaire (DPC), nous avons tenu ce discours de responsabilité, avec nos sensibilités propres. L’argent public doit être bien utilisé, il faudrait que tout le monde prenne conscience de cet enjeu. C’est aussi une manière de retisser du lien avec les citoyens, les acteurs, les institutions, même si le travail n’est pas facile.
A.D.: Il faut aussi expliquer les limites de nos actions. On n’est pas des magiciens.
E.D.: Et on n’a pas des armoires pleines d’argent dans nos bureaux.
A.D.: On n’a rien retrouvé, en tout cas. Au contraire.
Dans l’immédiat, en 2025, le déficit se creuse encore, en raison des engagements du passé. Tout n’ira pas si vite.
A.D.: Vous savez, on s’occupe des entités fédérées. Moi, je suis très inquiet de ce qui se passe aussi au fédéral et qui peut avoir des effets en cascade. C’est dangereux. Tant qu’on est en déficit, on doit chercher des moyens sur les marchés. Notre perspective, comme celle des autres entités, a été mécaniquement dégradée en devenant une perspective négative (NDLR: par l’agence de notation Moody’s ). Il est temps que les choses s’accélèrent aussi au fédéral, qu’ils prennent le taureau par les cornes pour pouvoir converger vers une majorité. Avoir un gouvernement, évidemment pas à n’importe quel prix, devient assez urgent. Il faut se rendre compte de l’impact que l’inaction peut avoir sur les finances publiques au sens large.
Est-ce un appel aux présidents de parti? L’absence de gouvernement fédéral de plein exercice a-t-elle à ce point une répercussion sur votre action?
E.D.: Il y a deux choses. Un: le contexte global, qui impose de rentrer un budget et de répondre aux normes européennes. Si la Belgique ne remplit pas ses obligations, il y aura des sanctions, donc inévitablement moins de temps pour retrouver l’équilibre dans nos entités. Deux: on a besoin d’une vue claire sur les accords, parce qu’une série de décisions au fédéral pourraient avoir des conséquences directes sur nos budgets, donc sur nos politiques.
Un exemple?
E.D.: La coopération au développement. Une diminution importante de l’investissement au fédéral aurait un impact direct sur la coopération au développement des universités et des établissements d’enseignement supérieur. Moins de moyens provenant du fédéral remettraient en question des pans entiers des politiques de la FWB. Trouver de l’argent pour compenser ne serait pas simple, voire infaisable. On peut aussi évoquer la TVA sur le livre. Si elle passe de 6% à 8 ou 9%, ce sera une catastrophe pour les librairies. Voilà pourquoi nous avons besoin d’une vue claire et précise.
Le gouvernement wallon appelle les communes, particulièrement les grandes villes, à fournir de grands efforts. Voilà un domaine où tous les niveaux de pouvoir sont liés. En matière de pensions à charge des communes, par exemple, c’est au fédéral que se trouve sans doute la réponse.
A.D.: Les fameux quatre P, oui. (NDLR: pensions, police, pompiers, pauvreté). C’est clair, on espère que des éléments seront pris en compte aussi dans la négociation au fédéral. On le met en permanence sur la table, ce qui ne nous empêche pas d’avancer en parallèle sur l’accentuation des responsabilités à l’échelon des villes. Mais si on veut des solutions structurelles, des décisions devront émaner du fédéral. D’autres thématiques pourraient être citées. Je lis et j’entends des choses sur la recherche scientifique, par exemple, ou sur la réforme fiscale. Avec la loi spéciale de financement, celle-ci peut avoir des répercussions chez nous. Il faut être attentifs à ces éléments et éviter d’envoyer simplement la facture au suivant. Cela étant, nous prenons notre part de responsabilités. Nous ne les fuyons pas, même si on ne peut pas tout prévoir. Mais il est important que ce soit concerté, raisonnable et mesuré. Il ne faudrait pas qu’on nous ajoute des couches supplémentaires déraisonnables. Nos présidents de parti le savent, nous leur en parlons suffisamment souvent.
«Il faut éviter d’envoyer simplement la facture au suivant.»
On entend à chaque niveau de pouvoir qu’on n’est pas en mesure de faire plus, que les autres devront participer à l’effort. Le serpent ne se mord-il pas la queue?
A.D.: On n’attend pas que le fédéral se mette en place pour nous responsabiliser. Ce n’est pas du tout notre message. Nous faisons déjà des efforts énormes, compte tenu des budgets que nous gérons. On est en droit de demander que des efforts soient faits à tous niveaux, même si on connaît l’ampleur du déficit du fédéral et l’étendue du travail budgétaire qui en découle. Nous le demandons également aux villes et communes, ainsi qu’aux provinces. L’argent gratuit n’existe pas et il faut arrêter de toujours se tourner vers le pouvoir supérieur. On est souvent venu me trouver, typiquement en période de négociations, en me demandant «qu’est-ce que la Wallonie peut faire pour moi?» Moi je réponds «demandez-vous ce que vous pouvez faire pour la Wallonie».
C’est une formule de Kennedy, que vous ressortez régulièrement…
A.D.: Exactement. C’était pour les USA. Bon, c’est un peu plus petit chez nous, mais la logique est la même.
E.D.: La logique n’est pas de se renvoyer la balle. On est en place depuis cinq mois, on montre qu’on prend nos responsabilités. On a besoin que la démonstration soit faite dans les autres entités aussi. On a parlé du fédéral, mais n’oublions pas la Région bruxelloise. La FWB a besoin de ses deux jambes pour danser. Il faut absolument qu’un gouvernement bruxellois se forme aussi. Nous n’avons pas compté sur eux pour les efforts de trajectoire, parce que leur situation est catastrophique. En revanche, du côté des enjeux, on a besoin d’une responsabilisation sur les budgets, qu’il s’agisse de la formation en alternance, de la petite enfance, de l’aide à la jeunesse, etc. Soyons clairs: on est partis pour cinq années, tous niveaux de pouvoir confondus, au contexte global peu favorable pour les enjeux budgétaires, avec de facto un effet sur une série de politiques menées.
A.D.: On voit qu’en Communauté germanophone, ils avancent aussi dans cette direction. Ils ont des soucis similaires aux nôtres.
Lorsqu’on fait de grands efforts, cela fait nécessairement des mécontents, le monde de l’enseignement notamment. Considérez-vous cette protestation comme infondée?
E.D.: Premièrement, la grève et la mobilisation sont des outils permettant d’exprimer un désaccord. Il n’y a aucun souci à ce que les syndicats y aient recours, vraiment. Ces outils sont une force de notre modèle de concertation sociale. Deuxièmement, il existe un flou aujourd’hui. La DPC dit une série de choses, mais on n’a pas encore les textes qui en définissent les modalités. Cela laisse de la place à l’imaginaire, à l’inquiétude, au flou, à la désinformation. Troisièmement, nous avons pris des mesures dans le cadre du conclave budgétaire, qui passent difficilement. Nous venons d’expliquer que chacun devrait faire des efforts. Evidemment que certains secteurs sont concernés et ne sont pas ravis. Valérie Glatigny a rencontré régulièrement les syndicats et les pouvoirs organisateurs. Nous restons donc ouverts à la concertation. Des mécontents, il y en a et c’est normal. Ceci dit, n’oublions pas les enjeux essentiels en matière d’enseignement. Je pense au CDI ou à la question du passage d’un réseau à l’autre, qu’on évoque trop peu. Une des forces de la DPC, c’est de proposer la mobilité interréseaux. Sur ces éléments, mon gouvernement va avancer dans les semaines et les mois prochains, avec des notes d’orientation, une méthodologie de concertation, etc.
Les enseignants ne sont pas les seuls mécontents. On peut parler de la fonction publique, des moyens alloués à l’environnement, des subventions facultatives, du plan de relance, etc. Vous attendez-vous à une floppée d’expressions de contestation?
A.D.: Nous avons déjà eu plusieurs préavis de grève, en effet.
«La fin du statut dans la fonction publique, c’est une mesure basculante.»
On vit avec?
E.D.: Non, ce n’est pas qu’on vit avec, c’est que ça fait partie de la force de notre modèle de concertation sociale. Et nous l’assumons, nos DPC et DPR proposent des mesures basculantes. La fin du statut dans la fonction publique, c’est basculant. Jacqueline Galant (NDLR: ministre wallonne et communautaire de la Fonction Publique) du côté des deux entités, est dans la concertation. Oui, ce sera un gros changement. Mais la volonté –c’est valable pour les enseignants comme pour la fonction publique– n’est pas de détricoter les droits acquis. C’est de mettre en place un autre cadre. Il faut que ce soit entendu. Les statutaires ne perdront pas leur statut. L’enjeu, c’est un avenir qui permette une flexibilité, une réactivité, une attractivité de la fonction publique.
A.D.: Il faut plus de perméabilité entre les carrières. Est-ce normal que quelqu’un qui commence sa carrière dans le secteur privé, après quinze ans, ne puisse qu’en valoriser huit? C’est compliqué, sur le plan de l’attractivité. Evitons l’enfermement. Nous ne voulons pas moins de fonction publique, mais un juste milieu, en la rendant la plus attractive possible.
Il est beaucoup question de la fin des subventions facultatives, avec des économies de l’ordre de 60 millions à la Région wallonne et de 5,4 millions à la FWB. Le tout, accompagné du message: «c’est la fin du saupoudrage».
A.D.: Et du fait du prince.
N’est-elle pas un peu abusive, cette idée selon laquelle, précédemment, on rinçait ses copains à coups des subventions et qu’on y met définitivement un terme?
A.D.: C’est la force du symbole. Si ça a été dit, c’est qu’il y avait des abus. Aujourd’hui, notre volonté commune consiste à faciliter la vie de l’ensemble des personnes qui bénéficient de financements publics, notamment via les subventions facultatives. Tout est compliqué, en fait. Certains acteurs, lorsqu’ils organisent quelque chose, vont frapper à la porte de cinq ou six ministères pour des financements. Est-ce leur métier? Non. Leur métier consiste à rendre le service qui découle de cette subvention. Donc on remet tous ces cadres-là à plat. Ce n’est pas simple, on est face à une difficulté d’analyse. Moi-même, j’ai du mal à avoir une vision claire des toutes les subventions délivrées en 2024 par mon ministère. Je ne veux pas jeter la pierre à ces associations, pour lesquelles ce fonctionnement était peut-être structurel. Le but consiste à réévaluer ces subventions, établir un cadastre, instaurer un cadre, avoir des objectifs derrière. Cela ne se fait pas du jour au lendemain.
E.D.: Quand les présidents de parti ont rencontré, fin juin, les acteurs des différents secteurs, ils identifiaient que ce temps passé à compléter des dossiers et chercher des subsides pouvait représenter jusqu’à 20% du total, pour certaines structures. La question des subsides facultatifs est intimement liée à celle de la simplification administrative. Quand vous obtenez votre subvention annuelle vous permettant de payer un équivalent temps plein, mais que systématiquement, vous lui donnez son préavis en octobre parce que vous n’êtes pas sûr de l’obtenir à nouveau, ce n’est pas OK.
Là, on parle typiquement du milieu associatif. Ou de la culture, par exemple.
E.D.: Tout à fait. Nous voulons réinstaurer de la transparence aussi. On fait des économies, en partie sur ces budgets-là, effectivement. D’autre part, on a choisi de mettre en place un groupe de travail pour voir comment simplifier et clarifier, tout en permettant de soutenir des projets d’innovation. Que des secteurs soient à ce point dépendants des subventions facultatives de X, Y ou Z n’a pas beaucoup de sens.
A.D.: On pourrait citer des exemples sportifs ou encore culturels. Typiquement, un festival qui va chercher des moyens culturels à la FWB, puis chez nous deux en tant que ministres-présidents, puis vont solliciter un subside pour la promotion touristique, puis à l’Aviq pour l’accessibilité, etc. Je trouve ça complètement absurde. Le but, c’est vraiment la clarté. Et, comme nous le répétons beaucoup, la bonne utilisation des deniers publics.
Il a 36 ans, elle en a 44 et tous deux appartiennent à cette génération politique qui a pris les rênes de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Adrien Dolimont (MR) et Elisabeth Degryse (Les Engagés) ne se connaissaient pourtant pas avant de devenir ministres-présidents.
Vous connaissiez-vous déjà, avant de devenir ministres-présidents?
A.D.: Non, on s’est rencontrés pendant les négociations.
E.D.: Au tour final des négociations.
A.D.: La dernière nuit, d’ailleurs.
E.D.: Je te signale que moi, j’étais là pendant cinq jours.
A.D.: Moi, on ne m’a appelé qu’à la fin. Donc non, on ne se connaissait pas du tout, mais ça a «matché» rapidement. C’est lié à nos personnalités. Je pense que je brise la glace facilement.
E.D.: Moi, je suis super timide.
A.D.: Oui? Ce n’est pas l’impression que tu m’as donnée.
E.D.: Mais non, je plaisante.
Ça peut paraître accessoire, tant la politique se vit dans le rapport de force. Mais vous avez présenté vos budgets ensemble, vous avez l’air d’être plutôt alignés…
A.D.: On n’a pas besoin d’exister politiquement à tout prix. Je pense que c’est une force.
E.D.: Il n’y a pas de concurrence entre nous. On n’a pas besoin d’être dans la presse ou de revendiquer des victoires pour exister politiquement. Nous sommes tous les deux là, animés d’une mission, pour mener à bien un projet. Je trouvais chouette de savoir que ce serait avec toi.
A.D.: Exact. Moi aussi. Vous pouvez l’écrire.
E.D.: On est francs tous les deux, on se dit les choses.
A.D.: Et on connaît nos limites, dans nos marges de manœuvre.
Considérez-vous que vous incarnez un changement de génération?
A.D.: Oui sans doute. Après, les façons de fonctionner sont différentes d’une personne à l’autre. Nous devons, en tant que chefs d’exécutif, faire converger les points de vue. Ce n’est pas toujours simple.
E.D.: Nous avons tous les deux la compétence des Relations internationales. A l’occasion de deux discours, face aux diplomates et face à la représentation permanente auprès de l’Union européenne, nous nous sommes exprimés en même temps. Donc pas deux textes qui se suivent, mais un seul écrit ensemble. Je pense que c’était une première, qui a dénoté par rapport au passé, certains sont venus nous le dire. Nous avions bien déclaré dans la DPC et la DPR vouloir faire une politique internationale commune. Là, nous incarnions bien cette volonté de le faire ensemble.
«A l’occasion de deux discours, nous nous sommes exprimés en même temps. Pas deux discours qui se suivent, mais un seul écrit ensemble. Une première.»
Elisabeth Degryse, vous venez du monde mutuelliste. Tous deux, vous n’appartenez pas au même parti. Y a-t-il de fortes divergences de vue?
A.D.: Il peut y avoir des sensibilités différentes mais pour ce qui est du fonctionnement, nous avons une vision assez similaire. Vous savez, même à l’intérieur d’un parti, on n’est pas toujours en phase avec toutes les lignes internes. C’est normal.
E.D.: Tu as raison, c’est impossible d’être d’accord à 100%. Mais on n’a pas encore eu de gros désaccords sur le fond. On se parle, quoi.
Elisabeth Degryse, vous avez un pouvoir dont ne dispose pas Adrien Dolimont: vous êtes sa ministre-présidente, puisqu’il est aussi ministre communautaire. Cela vous donne-t-il un ascendant sur lui?
A.D.: Non, elle n’en a pas…
E.D.: Non? Tu n’en sais rien en fait.
A.D.: Ce que je veux dire, c’est que j’essaie de ne pas être trop intrusif, ce qui pourrait complexifier les relations.
Au sein du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, donc?
A.D.: Même auprès de la vice-présidente, qui représente ma tendance politique. Je respecte la position de chacun et je ne veux pas exister à tout prix. C’est important, pour que cela fonctionne bien, de ne pas se mêler de tout, tout le temps. Nous avons suffisamment à faire dans nos compétences et nos responsabilités propres. Mais oui, elle est ma ministre-présidente. Je suis cinquième dans l’ordre de préséance de son gouvernement et premier dans le mien, c’est particulier. Honnêtement, c’est intéressant de voir d’autres modes de fonctionnement.
La configuration politique est telle que vous vous retrouvez face à une opposition qui s’annonce coriace. La redoutez-vous?
A.D.: Si on croit au projet qu’on porte, peu importe qui est en face, il faut juste convaincre et le défendre. C’est ça, la politique.
Etre à deux en majorité implique que trois ou quatre partis forment l’opposition.
A.D.: Je préfère cette configuration-ci. J’ai connu un gouvernement à trois, converger était sans doute plus compliqué.
E.D.: Quand les relations restent cordiales avec l’opposition, il n’y a pas de souci. C’est tout à fait le cas, même si les débats sont intenses. C’est respectueux, serein, sans procès d’intention.
A.D.: Nous n’avons pas la même vision de société qu’eux, mais c’est n’est évidemment pas une surprise. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils soient tout doux avec nous.
E.D.: Je le dis souvent: je n’arriverai pas à les convaincre. Je veux juste qu’ils comprennent. Après, s’ils ne sont pas d’accord, ce n’est pas grave en soi. Ils jouent le rôle de l’opposition et c’est normal.
Votre jeunesse vous a-t-elle joué des tours?
A.D.: Pas vraiment.
E.D.: Il ne faut pas forcément le mettre sur le compte de la jeunesse, mais le fait de ne pas avoir beaucoup d’expérience en politique a plutôt été une force, jusqu’ici. Il s’agit des questionnements, de la capacité d’étonnement, de remise en question. On parle souvent des 100 premiers jours d’un gouvernement. Moi, je pense que j’atteindrai ce stade après une année complète.
Elisabeth Degryse, votre prédécesseur, Pierre-Yves Jeholet, est désormais ministre wallon. Mais Adrien Dolimont, c’est à Elio Di Rupo que vous avez succédé…
E.D.: Pierre-Yves Jeholet a dit qu’il ne jouerait pas les belles-mères, il ne le fait pas. On s’entend bien. La grande force de ce qu’il a fait à la FWB, c’est le rayonnement international. C’est une des plumes à son chapeau.
A.D.: Quant à moi, c’était déjà spécial lorsque j’avais été désigné ministre. Je suis un observateur de la politique depuis mes 16 ans environ. En 2022, je me suis dit «punaise, me voilà membre du gouvernement d’Elio Di Rupo». Deux ans et demi plus tard, je le remplace. C’est assez dingue. Il a fait une grande carrière, j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer. Son parcours est exceptionnel. Il a eu un grand sens de la gestion du fonctionnement d’un gouvernement. Cela m’a permis d’apprendre aussi. Même si nous ne partageons pas du tout la même vision de société, j’éprouve un attachement envers la personne.
La bio express d’Elisabeth Degryse
1980
Naissance, à Ixelles.
2004
Début de carrière à la Ville de Bruxelles.
2008
Après avoir été collaboratrice au parlement bruxellois, devient cheffe de cabinet adjointe de Joëlle Milquet au fédéral.
2011
Entame son parcours aux Mutualités chrétiennes, dont elle deviendra secrétaire nationale en 2015 et vice-présidente en 2019.
2023
Les Engagés la recrutent pour emmener la liste fédérale à Bruxelles.
2024
Ministre-présidente du gouvernement de la FWB depuis le 16 juillet.
La bio express d’Adrien Dolimont
1988
Naissance, à Montigny-le-Tilleul.
2006
Echevin de Ham-sur-Heure-Nalinnes, à l’âge de 18 ans.
2018
Doctorat en sciences de l’ingénieur et technologie (UMons).
2022
Remplace Jean-Luc Crucke au gouvernement wallon, en tant que ministre du Budget, des Finances, des Aéroports et des Infrastructures sportives.
2024
Ministre-président du gouvernement wallon depuis le 15 juillet.