Derrière leur apparence soignée ou négligée, les cheveux peuvent être les messagers silencieux d’un état de santé dégradé. De la chute soudaine à la croissance excessive, ils reflètent souvent des déséquilibres internes, qu’ils soient hormonaux, nutritionnels, liés au stress ou la conséquence d’une maladie.
Cheveux ternes, cassants ou en chute inhabituelle expriment parfois un déséquilibre plus profond. Le cuir chevelu agit comme une surface réceptrice, sensible aux variations internes. «Les cheveux ne poussent pas au hasard. Ils réagissent en permanence aux signaux biologiques du corps. On les étudiant, on peut identifier des problèmes liés aux hormones, des inflammations, des carences et révéler des sources de stress et de traumatismes.», explique Dan Baumgardt, neuroscientifique et pharmacologue à l’Université de Bristol. Au cœur de ce système capillaire, on retrouve les follicules pileux, ces minuscules cavités situées sous la peau qui produisent et nourrissent chaque cheveu. Leur fonctionnement repose sur un cycle précis, une phase de croissance, une phase de repos et une dernière phase de chute. La moindre perturbation de l’organisme peut casser ce rythme.
Un stress intense, une opération, une infection ou une carence provoquent souvent une perte massive. Ce phénomène, connu sous le nom d’effluvium télogène, reflète une mise en pause prématurée de la pousse. «Quand le corps subit un choc émotionnel ou physique, il choisit ses priorités. Nourrir les cheveux ne passe pas en tête. Le follicule entre alors dans une phase dormante», explique Dan Baumgardt. Le cheveu ne tient plus à sa racine, il tombe en masse, souvent plusieurs semaines après le déclencheur. La situation reste réversible, à condition d’identifier rapidement la cause. «L’étude au microscope des tissus capillaires permet justement d’identifier les causes, puis de proposer un traitement adéquat», conclut le chercheur britannique.
À l’inverse, une croissance inhabituelle de poils sur le menton, le ventre ou le torse chez les femmes peut signaler un dérèglement hormonal plus ou moins grave. Dans la majorité des cas, il s’agit du «syndrome des ovaires polykystiques», une affection endocrinienne fréquente chez les femmes en âge de procréer. Elle provoque un excès d’androgènes, des hormones dites «masculines» qui stimulent la pilosité. «Ce n’est pas qu’une question esthétique. L’apparition de poils indésirables révèle un déséquilibre plus large dans le fonctionnement du corps. Cela peut être hormonal et par exemple cacher un diabète», insiste le chercheur. Certains traitements, comme des antiépileptiques ou médicaments contre l’hypertension, produisent également une pilosité excessive, signe secondaire d’un effet biologique puissant ou d’une réaction anormale et indésirable à certains produits.
Des signaux souvent ignorés
Les premières manifestations de certaines maladies apparaissent sur le crâne. Psoriasis, eczéma, mycoses ou dermatites provoquent des démangeaisons, des rougeurs, voire des croûtes épaisses. Ces affections cutanées reflètent parfois une réaction immunitaire ou inflammatoire plus vaste. Un cuir chevelu qui gratte, brûle ou pèle ne relève pas nécessairement d’un simple shampooing mal adapté.
Certaines maladies neurologiques ou héréditaire s’expriment à travers les cheveux. Chez le nourrisson, une touffe localisée au bas du dos peut signaler une malformation de la colonne vertébrale. Chez l’adulte, d’autres signes doivent alerter. Le fait de s’arracher soi-même les cheveux de manière compulsive, un comportement connu sous le nom de trichotillomanie, traduit un trouble psychique, souvent lié à de l’anxiété ou à un stress chronique. Ces zones dégarnies, parfois masquées, reflètent une forme de souffrance intérieure.
L’alopécie désigne une chute anormale ou une absence partielle ou totale de cheveux. Elle peut être localisée ou diffuse, temporaire ou définitive. Plusieurs causes coexistent. Déséquilibres hormonaux, maladies auto-immunes, carences sévères, médicaments lourds, réactions à des coiffures trop serrées… «Le cuir chevelu enregistre ce que traverse le corps. Il ne faut jamais dissocier les cheveux de la santé générale», insiste Dan Baumgardt.
La trichologie s’installe lentement en Belgique
La trichologie, discipline spécialisée dans l’analyse des troubles du cuir chevelu et des cheveux, prend progressivement place dans les approches de santé globale. Popularisée dans les pays anglo-saxons, cette pratique associe observation clinique, analyse capillaire et approche nutritionnelle. En Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, des centres médicaux spécialisés intègrent désormais des trichologues certifiés dans le parcours de soins. Ces derniers croisent les données capillaires avec des examens sanguins ou hormonaux pour identifier la source des troubles de santé.
«Un trichologue n’est pas un dermatologue, mais il complète le diagnostic en apportant une lecture précise du cuir chevelu et du cycle pilaire, précise Dan Baumgardt. Il interroge le mode de vie, le niveau de stress, l’alimentation, les traitements suivis. Ces éléments donnent un tableau très complet du métabolisme.»
En Belgique, la discipline reste peu connue et n’est pas reconnue médicalement. Les professionnels se forment à l’étranger ou dans le cadre de parcours privés, souvent liés au secteur de l’esthétique. Quelques centres en Wallonie et en Flandre proposent désormais des bilans trichologiques à l’aide de microscopes capillaires et d’analyses visuelles. Mais ces consultations, non remboursées, souffrent d’un flou entre approche bien-être et vraie démarche de santé.
«Il y a un vide entre la médecine classique, qui traite souvent les cas graves ou visibles, et l’accompagnement de terrain, plus attentif aux signaux faibles comme ceux envoyés par les cheveux», conclut Dan Baumgardt. Ce manque de reconnaissance limite encore l’accès aux soins capillaires sérieux, malgré une demande croissante de la part du public.