Tous les six ans, le nombre de travaux d’infrastructure augmente à l’approche des élections locales. Avant de retomber les deux années suivantes. Volonté politique de gonfler son bilan pour être réélu ou hasard d’un calendrier dicté par les procédures administratives ? Les avis divergent.
Dans les communes, certains travaux semblent sans fin. Le cas le plus emblématique est sans doute celui du tram de Liège et ses 12 kilomètres de chantier, qui font partie du décor depuis 2019. Les délais s’allongent… les coûts aussi. Si la mise en service est prévue pour début 2025, les essais sur toute la ligne sont prévus pour le 31 octobre 2024 au plus tard. Juste après les élections communales du 13 octobre.
Willy Demeyer (PS) ne pourra pas compter sur le tram pour vanter son bilan en tant que bourgmestre de la Cité ardente. A la tête de Liège depuis 25 ans, le socialiste réfute tout calcul électoral lié aux travaux. Tout en laissant planer le doute : « On essaie toujours de faire aboutir les projets avant la fin de la législature, car nous nous devons de présenter des résultats ».
Maxime Prévot, maïeur de Namur depuis 2012, estime pour sa part qu’une majorité peut s’arranger avec les chiffres. « Il faut deux ans pour qu’un chantier sorte de terre. Si vous décidez de le lancer fin 2023, il ne sera évidemment pas terminé à temps (pour les élections, NDLR). Par contre, si vous mobilisez les masses budgétaires pour lancer la procédure administrative en 2021, c’est possible ». Le président des Engagés estime qu’arriver au bout de travaux « reste une bonne chose quoi qu’il en soit ».
« Pour une majorité, ces investissements sont une manière de gonfler les muscles »
Jean Faniel, le directeur du Crisp
Plus de travaux la veille des élections ? Ce que disent les chiffres
(suite de l’article après les infographies)
Que disent les chiffres ? Y-a-t-il davantage de travaux l’année précédant une élection ? L’Observatoire des Finances Locales, outil développé par l’Union des communes et des villes de Wallonie (UVCW), permet de se faire une première idée. Entre 2017 et 2018, année des dernières élections locales, les investissements réalisés par les 262 communes wallonnes avaient augmenté de 33%. Entre 2011 et 2012, lors du scrutin précédent, ils avaient augmenté de 10%. Avant, à chaque fois, de retomber les deux années suivant l’échéance électorale (voir infographies ci-dessus). « Pour une majorité, ces investissements sont une manière de gonfler les muscles et de relever le bilan de la législature sur les derniers mois », analyse le directeur du Crisp Jean Faniel.
D’après l’UVCW, il est compréhensible que peu d’investissements soient réalisés en début de législature. Les collèges communaux se forment, la majorité définit ses objectifs et établit ses prévisions budgétaires pour les cinq années à venir. Avant, dans un second temps, de pouvoir lancer les appels d’offres et autres procédures administratives. Cette dynamique cyclique de la politique locale expliquerait, selon l’UVCW, pourquoi un plus grand nombre de projets aboutit en fin de législature. Établir un calendrier de travaux à visée électorale serait rendu d’autant plus difficile par des aléas comme la crise sanitaire, énergétique et inflationniste.
« De nombreux pouvoirs locaux sont en train de lancer des travaux ou des embellissements avant ces élections »
Aucun calcul politique, vraiment ? La fédération belge de la construction Embuild n’est pas de cet avis. Elle constate que, tous les six ans, le nombre de travaux d’infrastructure augmente lors des veilles de scrutin local. Avant de baisser significativement une fois les urnes dépouillées, portant un coup à la santé économique du secteur de la construction. En 2023, Embuild a constaté une hausse de quasi 5% des travaux d’infrastructure. « Et de nombreux pouvoirs locaux sont en train de lancer des chantiers ou des embellissements avant ce scrutin », indique Sven Nouten, porte-parole de la fédération belge de la construction. Il estime que les communes mettent le paquet sur les rénovations de voiries, dont la mise en chantier est plus ‘visible’ que pour la rénovation de logements par exemple.
« Certains travaux peuvent être réalisés rapidement, ou au contraire reportés, pour ne pas créer des débats clivants juste avant les élections »
Cabinet d’Elke Van den Brandt (Groen), ministre bruxelloise de la Mobilité
« Les chantiers de grande importance suivent leur propre agenda urbanistique au niveau régional »
Si certains travaux incombent aux communes, d’autres concernent les régions. Dont les majorités s’alignent sur un rythme électoral différent : les élections régionales ont lieu tous les cinq ans, en même temps que les européennes. Côté wallon comme bruxellois, on réfute toute volonté de multiplier les chantiers afin de gonfler les muscles de la majorité. « Nous n’avons aucune donnée à ce propos. Les chantiers vivent au rythme des plans d’investissement et se déroulent, hors travaux d’urgence, le plus souvent à la belle saison », répond laconiquement le cabinet du ministre wallon de la Mobilité Philippe Henry (Ecolo).
« Les travaux de grande importance suivent leur propre agenda urbanistique au niveau régional », précise la porte-parole d’Elke Van den Brandt (Groen), en charge des mêmes compétences à Bruxelles. Avant de nuancer pour le niveau communal : « Certains travaux peuvent être réalisés rapidement, ou au contraire reportés, pour ne pas créer des débats clivants juste avant les élections ».