jeudi, décembre 12

Selon une récente étude du VAD, les jeunes boivent moins d’alcool qu’avant. Est-ce vraiment le cas, et comment expliquer ce phénomène? «Il y a désormais un plus grand respect du consentement. Plus de personnes résistent à l’incitation de boire sans avoir à se justifier.»

Selon une récente enquête de l’Agence wallonne pour la sécurité routière, les jeunes âgés de 16 à 24 ans sont plus responsables que leurs aînés en matière d’alcool au volant. Ils sont notamment plus enclins que les générations précédentes à trouver des solutions pour ne pas conduire en état d’ébriété.

Cette responsabilisation va bien au-delà d’un constat sur la route. En effet, s’ils sont moins nombreux à reprendre le volant après une soirée arrosée, les jeunes sont aussi moins nombreux que par le passé à consommer de l’alcool, selon une récente étude du Vlaams Expertisecentrum Alcohol en andere Drugs (VAD).

Ils sont aujourd’hui 48% à admettre avoir déjà bu de l’alcool. En 2011-2012, ce chiffre était plutôt de 68%. Les consommateurs réguliers sont aussi moins nombreux. 10% actuellement, contre 18%, une dizaine d’années auparavant. En outre, l’âge moyen de la première consommation d’alcool a aussi diminué, passant de 14 ans, il y a une décennie, à 14,9 ans, de nos jours.

Des chiffres fiables? Et comment expliquer cette baisse de la consommation d’alcool chez les jeunes? Réponses avec Martin de Duve, alcoologue, expert en santé publique et directeur de l’ASBL Universanté, et Michaël Hogge, chargé de projets au sein d’Eurotox, l’observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles.

Constate vraiment une baisse de la consommation chez les plus jeunes?

Martin de Duve: «C’est toujours difficile de répondre à cette question, car nous manquons de données probantes en Belgique. On peut toutefois dire que, globalement, la consommation générale des jeunes est plus faible que celle des adultes. Par ailleurs, la façon de consommer est différente. Les jeunes boivent moins souvent, mais en de plus grandes quantités. C’est ce que l’on appelle le « binge drinking« , par exemple.»

Michaël Hogge: «Il y a effectivement un signe de baisse de la consommation en Europe, mais elle reste marginale. Et la Belgique est beaucoup trop en retard à ce niveau-là. Beaucoup de jeunes consomment toujours avant l’âge légal (NDLR: 16 ans pour le vin et la bière, 18 ans pour les spiritueux), avec toutes les conséquences que cela peut entraîner. La proportion de jeunes qui déclarent ne pas consommer est plus grande et on constate également une baisse de la consommation quotidienne, cependant, il y a toujours autant de gros consommateurs.

Cette baisse ne se remarque néanmoins pas dans le temps. Une hypothèse défendue par la littérature scientifique veut qu’on a sipmlement affaire à un retard de la consommation chez les jeunes. Le passage aux études supérieures est un facteur de risques. Beaucoup de personnes qui ne consommaient pas ou peu d’alcool en secondaire finissent pas en consommer une fois arrivées à l’université.»

Existe-t-il des différences entre les sexes?

Martin de Duve: «Les garçons boivent plus et surconsomment davantage d’alcool que les filles, mais cette tendance tend à s’inverser depuis dix ou quinze ans. On manque cependant de données claires à ce sujet.»

Michaël Hogge: «Il y a une féminisation des comportements et des représentations liées à l’usage. En réalité, la consommation féminine de l’alcool est plus visible, moins stigmatisée, voire carrément valorisée. Du moins, dans le cadre d’une consommation festive, en soirée ou en festival, par exemple. Le souci, c’est qu’elles sont plus vulnérables que les hommes aux conséquences de l’alcool sur la santé, et elles sont aussi moins enclines à admettre qu’elles ont un problème et à demander de l’aide.»

© Getty Images

Comment expliquer la baisse de la consommation d’alcool chez les jeunes?

Michaël Hogge: «Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette diminution de la consommation chez les jeunes. La réglementation et la sensibilisation, tout d’abord. La Belgique a encore des progrès à faire en termes de régularisation, mais en ce qui concerne la sensibilisation, on voit de plus en plus de choses positives. Prenez la Tournée minérale, par exemple. Ensuite, les normes sociales évoluent, ce qui influence la consommation d’alcool. La révolution numérique a changé la façon d’interagir des jeunes. Ils entretiennent plus de relations à distance, se retrouvent moins dans des situations sociales au cours desquelles ils pourraient consommer. Il est important de souligner que le jeune n’est pas un consommateur d’alcool isolé qui va boire tout seul dans sa chambre. Il est un consommateur récréatif et social.

Enfin, il y a désormais un plus grand respect du consentement, phénomène que l’on peut mettre en parallèle des violences sexistes et sexuelles. On accepte plus facilement un « non ». Plus de personnes résistent à l’incitation de boire sans avoir à se justifier. Par le passé, il existait une forte pression sociale, il fallait presque avoir une bonne raison de refuser de boire, comme une maladie ou une grossesse. Une personne qui ne consommait pas d’alcool était parfois perçue comme quelqu’un d’ennuyeux, qui ne savait pas s’amuser. Ça semble être moins le cas maintenant, il y a une plus grande acceptation de ce qui n’est pas « dans la norme ».»

Existe-t-il une corrélation entre la baisse de la consommation d’alcool chez les jeunes et la consommation d’autres drogues?

Michaël Hogge: «Nous ne pouvons pas avoir de certitudes avec les échantillons dont nous disposons. Il faudrait une étude de cohorte grâce à laquelle on suivrait les mêmes individus sur une période donnée. Je peux toutefois dire que la consommation de drogue est relativement faible et il est difficile d’y voir une évolution significative. Par ailleurs, comme pour les enquêtes sur la consommation d’alcool, il existe des zones d’ombre. Tous les jeunes ne sont pas sondés. On questionne généralement les élèves du secondaire, mais certains ont quitté l’enseignement pour l’une ou l’autre raison, ou suivent un parcours en alternance, par exemple. Et puis, tous ne consentent pas à répondre. C’est comme les enquêtes auprès des ménages, il y a toujours des personnes qui ne rendent pas les formulaires.»

Peut-on encore dire qu’il existe une “culture de l’alcool”, en Belgique?

Martin de Duve: «Sans aucun doute. La Belgique fait partie des pays européens, et même à l’échelle mondiale, où la culture de l’alcool est la plus importante. En ce sens, l’État ne fait pas assez bien son job pour diminuer la consommation d’alcool. Il y a eu une promesse d’avancées avec le Plan alcool 2023-2025, mais c’était de la poudre aux yeux. Les lobbys sont trop puissants et ont fait modifier certaines propositions. Les mesurettes qui découlent de ce plan n’auront aucun impact sur les Belges. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir fait des propositions telles que l’interdiction de la publicité, une clarification de la législation, en renforcement de la sensibilisation, le remboursement des consultations en alcoologie, ou encore l’affichage clair sur les étiquettes. Mais presque aucune de nos revendications n’a été prise en compte.»

Michaël Hogge: «Je m’aligne sur ce que dit Martin de Duve. En Belgique, l’alcool est trop facilement accessible, même pour les plus jeunes. Par ailleurs, le marketing alcoolier est bien trop valorisé, et on y participe tous inconsciemment. Par exemple, en partageant des photos de soirées ou de dîners alcoolisés sur les réseaux sociaux. Or, des changements doivent absolument être opérés. On a pu observer un impact positif après la prise de mesures pour endiguer la consommation de tabac. Au début, elles paraissaient étonnantes, comme si les gens allaient perdre quelque chose. Et aujourd’hui, rares sont les personnes qui voudraient revenir en arrière. Tout le monde sait que le tabac est mauvais pour la santé. Idem pour l’alcool. Sauf que la différence, c’est que l’usage de l’alcool est festif et récréatif. Par ailleurs, l’impact sur la santé de petites consommations est moins visible et aussi moins documenté que ceux du tabac. Néanmoins, les normes évoluent en même temps que les connaissances, et les gens commencent à comprendre que les petites consommations sont également un facteur de risque pour certaines maladies, notamment les cancers.»

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