vendredi, avril 11

Voyager durable en avion ne sera pas pour cet été. Le carburant vert reste trop rare et trop cher. Quant aux projets à l’hydrogène, ils sont reportés.

On n’y arrivera pas! Le message des avionneurs européens, Airlines for Europe (A4E), est clair: une pause environnementale est nécessaire dans l’agenda européen, comme pour les voitures thermiques. En cause, le prix des SAF, les sustainable aviation fuels. Il s’agit de carburants alternatifs produits à partir de ressources plus ou moins renouvelables, comme la biomasse, les algues, les déchets agricoles ou alimentaires, les e-carburants… Ils sont conçus pour être mélangés au carburant fossile, soit le kérosène, utilisé dans l’aviation. Depuis le 1er janvier, l’Union européenne oblige les compagnies aériennes à faire le plein de leurs engins avec des SAF à hauteur de 2%. Le prochain palier est prévu en 2030 et est fixé à 6% de fuel vert dans les réservoirs des carlingues. L’objectif final est de 70% en 2050.

Selon les compagnies, ce n’est pas tenable car les prévisions montrent qu’il n’y aura pas suffisamment de SAF disponible (la part du SAF utilisé représente 0,3% du carburant consommé en 2024) et surtout que celui-ci est très cher. Il est vrai que le prix du kérosène est trois à cinq fois moins élevé que celui des biocarburants. Les producteurs de cette alternative de kérosène, comme BP ou Shell en Europe, sont pointés du doigt car ils ne tiennent pas leurs promesses. Le patron d’Airbus a reconnu que le problème était cornélien, lors du sommet annuel organisé par le consortium fin mars. «Lorsque la bonne échelle sera atteinte, le prix baissera», a-t-il dit avant d’inviter les gouvernements à se pencher sur la question et envisager des mesures de régulation.

Les pétroliers gardent le contrôle

Voulant faire preuve de bonne volonté, Airbus a aussi lancé l’initiative «book and claim» pour stimuler l’offre et la demande de SAF. L’idée est de permettre à un acheteur de «réserver» une certaine quantité de SAF et de «réclamer» la réduction d’émissions correspondante, même si le carburant est utilisé ailleurs. Cela devrait faciliter l’accès au marché de ces carburants plus durables à de petites compagnies éloignées des fournisseurs de SAF. Ce projet risque néanmoins de se heurter au problème de production évoqué plus haut. «Les grandes sociétés pétrolières n’ont pas fait les investissements nécessaires», déclarait déjà fin 2024 Willie Walsh, le patron de l’Association internationale du transport aérien (Iata), qui, lui, appelle les Etats à ne plus subventionner progressivement les énergies fossiles en les remplaçant par des incitations en faveur d’énergies renouvelables comme les SAF.

Ce sont, en effet, les géants pétroliers qui sont les principaux fournisseurs de ce fuel durable. Pour eux, c’est une manière d’assurer eux-mêmes la transition de l’après combustibles fossiles et aussi de retarder celle-ci le plus longtemps possible. «Actuellement, le vrai problème est le prix bas du baril de pétrole, à un peu plus de 60 dollars, qui influence le prix du kérosène, tranche l’économiste Etienne de Callataÿ (Orcadia Asset). Cela rend les alternatives forcément onéreuses et donc moins intéressantes. Tant que le prix du kérosène sera aussi bas, le verdissement de l’aviation semble compromis.» Et cela risque de ne pas s’arranger avec Trump au pouvoir, lui qui encourage les compagnies fossiles américaines à forer à tout va et donc à se concentrer sur leur production d’or noir plutôt que sur les alternatives.

Reste la piste de l’hydrogène vert. On sait qu’Airbus tente de développer, depuis cinq ans, des plans d’avion à hydrogène. Comme les syndicats l’ont révélé, ce projet a déjà du plomb dans l’aile. Il est retardé de cinq à dix ans, à l’instar de la plupart des projets liés à ce combustible qu’on nous présentait comme porteur d’espoir pour se substituer, pour une bonne part du mix énergétique, aux fossiles. «La production d’hydrogène vert reste très coûteuse parce que les électrolyseurs sont chers, confirme Adel El Gammal, professeur de géopolitique de l’énergie à l’ULB. La diminution des prix n’a pas eu lieu aussi rapidement qu’escompté. Et le taux de final investment decision dans les projets est de moins de 10%.»

Les annonces ont été enthousiastes mais elles tardent à se concrétiser. Au début de l’année, le cabinet d’audit EY estimait qu’actuellement 98% des 142GW de projets d’hydrogène annoncés en Europe se trouvaient seulement au stade de concept ou d’étude de faisabilité. Et c’est le secteur de la mobilité, notamment aérienne, qui est le plus affecté par ce refroidissement des ardeurs. En attendant, Airbus qui détient 70% de part de marchés dans le secteur des moyen-courriers (qui représentent huit avions sur dix), a dévoilé les contours de sa future star l’A320neo qui consommera 25% de moins que sa version actuelle et fonctionnera avec 100% de SAF. Celui-ci débarquera dans les aéroports sans nul doute avant l’avion à hydrogène.

«Tant que le prix du kérosène sera aussi bas, le verdissement de l’aviation semble compromis»

Voyager vert en avion n’est donc pas pour tout de suite, même si les avionneurs ont réalisé ces dernières années des progrès au niveau des moteurs qui consomment moins de carburant. Attention cependant au greenwashing. Récemment, le tribunal régional de Cologne a interdit à la compagnie Lufthansa de continuer à faire de la pub pour l’option «vol compensé», car cela faisait faussement croire aux passagers qui en font le choix qu’ils participent de manière significative à la réduction d’émissions de CO2 des avions. La publicité a été jugée trompeuse. Au final, vaut-il mieux prendre le train pour les trajets de moyenne distance intra-européens? Des chercheurs de la KULeuven viennent de démontrer qu’une des conséquences de l’inclusion de l’aviation dans le système d’échange de quotas d’émission ETS rendait le choix du rail inopérant.

«Les deux secteurs sont soumis à un même plafond d’émissions, qui est diminué chaque année, expliquent les chercheurs. Un voyage en avion en moins signifie qu’il reste des droits d’émission non utilisés. Ceux-ci deviennent moins chers et un autre émetteur de l’UE va les racheter. De cette façon, la réduction des émissions du secteur aérien (en prenant le train) est annulée.» Il soulignent aussi que d’autres gaz à effet de serre ne sont pas pris en compte dans les calculs de l’ETS, comme des oxydes d’azote, des particules fines, des oxydes de soufre et de la vapeur d’eau, qui sont rendus visibles par les traces blanches laissées par les avions dans le ciel. Ils proposent dès lors d’imposer aux compagnies aériennes d’acheter deux fois plus de quotas d’émission que nécessaire pour les émissions de kérosène, sauf à celle qui parvient à démontrer qu’elle peut réduire ses émissions non liées au CO2. Cela rendrait le train plus durable, mais pas sûr que le lobby aérien adhère à l’idée.

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