Le chef du Parti conservateur brigue le poste de Premier ministre après la démission du «beau gosse» libéral qui a dilapidé son crédit au fil des années.
«Au revoir, enfin!», a titré le quotidien The Toronto Sun. Des confins de la froide province du Saskatchewan à la populeuse Toronto, les médias canadiens ont poussé des cris de soulagement à l’annonce de la démission de Justin Trudeau, le 6 janvier. Le Premier ministre canadien demeurera en fonction jusqu’à ce que son parti ait désigné un nouveau chef. Après des mois d’atermoiements, l’époque Trudeau est donc bel et bien finie. Elle se termine très mal pour le chef du Parti libéral qui, au pouvoir depuis novembre 2015, était accueilli partout au Canada comme une rock star au début de son mandat. Justin, comme tout le monde l’appelait, embrassait les bébés, posait pour des selfies avec des adolescentes béates. Qui ne se souvient pas de cette fillette de dix ans qui, en se jetant dans les bras de Justin Trudeau, est repartie en larmes… de joie, non sans avoir dit: «Il est si beau»?
La popularité de ce jeune Premier ministre, élu à 43 ans, a étonné tous les observateurs politiques. Père de trois adolescents, marié en 2005 à Sophie Grégoire, une ex-animatrice de télévision, mais séparé depuis 18 mois, il a cultivé depuis des années son image de beau garçon. Chantre du multiculturalisme et de la tolérance, l’homme a aussi su séduire la presse people internationale.
Le poids du wokisme
Justin Trudeau a toujours essayé d’étonner, de provoquer. Lors de son premier mandat, il s’est baigné tout habillé dans sa piscine avec sa famille et est allé danser dans les communautés immigrées, qu’il préfère aux Canadiens «de souche». Peu à peu, cela a suscité une irritation chez les Canadiens. Le wokisme du Premier ministre libéral, tout comme sa politique migratoire qui a déstabilisé un pays manquant désormais de logements, a miné sa popularité qui est tombée au plus bas. Ses bourdes l’ont aussi parfois pénalisé.
Il prend l’intervention russe en Ukraine en 2014 à la légère, la comparant à un match de hockey perdu contre le Canada, et s’attire alors les foudres de la puissante communauté ukrainienne du pays. Il sidère son monde en 2013 lorsqu’on lui demande quel pays il admire le plus. «J’ai un certain niveau d’admiration pour la Chine parce que leur dictature leur permet de faire un virage économique soudain», répond-il. Malgré trois années d’état de grâce jusqu’en 2018, il suscite peu à peu des inimitiés tant dans la conservatrice et pétrolière province de l’Alberta où les tentatives de Trudeau d’imposer des normes écologiques ont soulevé la colère, que dans le Québec souverainiste et francophone qui l’accuse de faire le jeu des anglophones.
Justin Trudeau, ex-professeur de français à Vancouver, ne serait jamais sorti de l’anonymat s’il n’avait pas été le fils de l’un des plus brillants et flamboyants Premiers ministres canadiens. Les stratèges libéraux ont repéré le fils de Pierre-Elliott Trudeau lorsque ce dernier est décédé, en 2000. L’éloge funèbre de Justin a marqué les esprits. Avec ce discours, il entre alors dans l’histoire politique du pays. Communicant hors pair, il se présente comme un politicien progressiste. Entendez: favorable à la légalisation de la marijuana, aux droits des minorités, ou encore au port du voile.
Il a échoué à redorer le blason du Canada sur la scène internationale. Ottawa s’est fâché avec la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite, la Russie bien avant l’invasion de l’Ukraine de 2022. Malgré des réussites économiques lors de son premier mandat, Justin Trudeau a opté pour des mesures de relance financées par des déficits budgétaires au moment de la pandémie, ce que les Canadiens lui reprochent.
Voie tracée
Son successeur devrait, sauf surprise, être un conservateur aux idées proches de Donald Trump, Pierre Poilievre. A 45 ans, le chef du Parti conservateur du Canada (PCC) séduit une frange de la population frustrée par l’inflation et le manque de logements. Justin Trudeau n’a pas su convaincre tous les Canadiens des bienfaits du multiculturalisme et du wokisme. Pierre Poilievre l’a compris. «Je serai le Premier ministre du Canada anti-woke», a t-il martelé par le passé.
Pierre Poilievre promet à ses concitoyens de leur «redonner le contrôle de leur vie, de faire du Canada le pays le plus libre au monde».
Sympathisant de la droite libertarienne, il promet à ses concitoyens de leur «redonner le contrôle de leur vie, de faire du Canada le pays le plus libre au monde». Adepte des formules choc, il ne s’interdit rien, y compris des déclarations antivax et populistes. Le chef du PCC multiplie les outrances, sans que cela ne lui nuise: limogeage annoncé du gouverneur de la Banque du Canada, retrait du «contrôle de l’argent aux banquiers et aux politiciens pour le donner au peuple». Son programme? «Le gros bon sens», comme il le répète dans tous ses meetings. Et peu importe s’il se contredit plus tard. A l’instar de Trump, le chef conservateur canadien déteste les journalistes et cessera, s’il est élu, de financer les chaînes de radio-télévision publiques.
C’est aussi l’antithèse de Trudeau. Alors que ce dernier a été élevé par son Premier ministre de père dans les palais de la confédération, Pierre Poilievre est un enfant adopté par de modestes professeurs d’écoles publiques. Il a grandi dans la froide province du Saskatchewan. Rompu très jeune aux petits boulots, il symbolise le Canada qui lutte pour s’en sortir. Il s’engage très tôt en politique, devient à 25 ans le plus jeune député de la Chambre des communes en battant le ministre de la Défense d’alors, avant d’être propulsé ministre de la Réforme démocratique par le Premier ministre conservateur Stephen Harper. Pierre Poilievre joue sur tous les tableaux et leur contraire. Pro-avortement, il s’affiche avec un député antiavortement. Il reconnaît les effets du dérèglement climatique, mais est en faveur des industries fossiles. Il sait jouer de son mariage avec une immigrée vénézuélienne pour séduire les immigrés. Un dangereux populiste en somme, et un changement d’époque radical pour le Canada.