jeudi, novembre 28

Le Canada va instaurer un «congé de taxe» durant la période des fêtes. Objectif: relâcher la pression fiscale, dynamiser la consommation et renforcer le pouvoir d’achat. Un cadeau de Noël aux vices cachés? En Belgique, la mesure serait en tout cas impraticable d’un point de vue budgétaire… et légal.

Ta(x)barnak! Le père Noël canadien semble d’humeur généreuse, cette année. Il a sorti de sa hotte une… abolition temporaire de taxe durant la période des fêtes de fin d’année. Elan de générosité ou populisme douteux?

La semaine dernière, la gouvernement du pays à la feuille d’érable a annoncé une mesure visant à alléger la pression fiscale sur les ménages. Avec un nom de projet de loi officiel plutôt parlant: «Plus d’argent dans vos poches».

La taxe sur les produits et services (TPS) ainsi que la taxe de vente harmonisée (TVH), soit l’équivalent de la TVA belge, seront supprimées du 14 décembre 2024 au 15 février 2025. Le projet concerne une large gamme de produits, souvent prisés durant les fêtes: vêtements, jeux vidéo et de société, jouets, livres, alimentation, restauration…

Les commerces du Canada devront dès lors opérer plusieurs changement dans leurs système de vente, dont les paramètres des caisses. Reste à déterminer, toutefois, quels seront les produits précis qui rentrent dans le cadre de cette ristourne géante. A coup sûr, la mesure engendrera des impacts significatifs sur la gestion fiscale des entreprises.

Abolition de taxe à Nöel: 100 à 260 dollars par famille

Le ministère des Finances du Canada estime que l’élimination de la TPS et de la TVH «procurera un congé de taxe fédérale de 1,6 milliard de dollars.» Ainsi, chiffre l’administration, une famille qui dépense 2.000 dollars en produits admissibles réaliserait des économies allant de 100 à 260 dollars selon les Etats. En substance, donc, l’Etat y perd, mais l’activité économique est boostée, avec, en vue, des bénéfices directs pour les consommateurs et les commerces.

Cette «magie de Noël» serait-elle applicable à la Belgique? «J’ai d’abord cru à une blague», lance Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal (UCLouvain, Arteo Law), lorsque nous lui évoquons le projet canadien. «En Belgique, cette mesure serait à la fois illégale, impraticable et extrêmement dommageable d’un point de vue budgétaire. Pour le consommateur aussi, l’effet serait totalement aléatoire», juge-t-il.

Supprimer la taxe: complexe et irréaliste

Et de fait: la Belgique ne pourrait pas sortir du cadre européen comme elle le souhaite. Celui-ci réglemente l’application des taux réduits et, a fortiori, de ce qu’on appelle «les taux 0». Dans les faits, la Belgique doit donc appliquer la TVA à une large gamme de produits. Pour certains d’entre eux, chaque pays membre de l’UE détient une marge de manœuvre, mais pas au point de descendre jusqu’à 0%. «On pourrait imaginer une modification à l’unanimité des Etats membres, mais cela semble très peu réaliste», doute Edoardo Traversa.    

En Belgique, cette mesure serait à la fois illégale, impraticable, et extrêmement dommageable d’un point de vue budgétaire. Pour le consommateur aussi, l’effet serait totalement aléatoire.

Edoardo Traversa

Professeur de droit fiscal (UCLouvain)

D’un point de vue administratif, la mesure serait également très complexe à intégrer dans le processus de facturation. «La décision n’aurait de sens pour les entreprises que si elles continuent à pouvoir déduire la TVA qu’elles ont payée à leurs fournisseurs», estime l’expert fiscal. Au Canada aussi, on assiste à une levée de boucliers. «Cette mesure fera peser une charge administrative sur des entreprises qui ne disposent que de 23 jours pour mettre en place leur système sans notes explicatives pour les guider, dénonce un cabinet fiscal canadien, qui liste plusieurs désagréments prévisibles. Cette tâche sera particulièrement difficile pour les petites entreprises locales qui peuvent avoir des systèmes PDV moins sophistiqués et des accès limités à des conseillers fiscaux spécialisés.»

La question du droit à la déduction des entreprises semble donc un obstacle de taille. Une seconde barrière viendrait s’ajouter avec l’enjeu de la démarcation entre les produits visés par la suppression de TVA et les produits exclus. «Le projet canadien est totalement fou et populiste, réprouve Edoardo Traversa. Une myriade de problèmes se posent dans un délai très court, avec un nid potentiel à recours.»

La TVA, vitale pour l’Etat

Budgétairement, surtout, l’impact serait colossal pour l’Etat belge, le tout durant une période de forte consommation. Il perdrait des rentrées fiscales considérables. «C’est un beau rêve qui semble inatteignable en Belgique au vu de sa situation budgétaire, soutient Isabelle Schuiling, professeure de marketing à l’UCLouvain. Le Canada a un déficit budgétaire de 1,5% du PIB, alors que la Belgique frôle les 5%.»

La mesure provoquerait inévitablement une chute très importante des ventes avant et après cette période.

Isabelle Schuiling

Professeure de marketing (UCLouvain)

En Belgique, la TVA pèse 30 milliards d’euros. Elle représente la deuxième recette fiscale derrière l’impôts des personnes physiques (IPP). La taxe sur la valeur ajoutée finance par exemple toutes les compétences des communautés (enseignement, culture, politique de santé). «Entre le risque de créer un trou dans le financement de la sécurité sociale ou permettre aux gens d’acheter un peu moins cher leur dinde de Noël, le bon choix semble évident», sourit Edoardo Traversa.

La mesure semble toutefois positive pour les entreprises, attractive pour le consommateur et pourrait faire augmenter les achats de manière considérable. «Mais, dans ce cas-là, c’est l’Etat qui paie, rappelle Isabelle Schuiling. A l’inverse des soldes ou du Black Friday, lors desquels les entreprises baissent elles-mêmes leurs marges bénéficiaires.»

Avantage flou pour le consommateur

Selon Edoardo Traversa, l’avantage reste flou pour le consommateur car le prix reste librement fixé par le vendeur. «Ce n’est pas parce qu’on enlève la TVA que le prix va automatiquement diminuer de 21%, 12% ou 6% (NDLR: les différents taux de TVA appliqués en Belgique, selon les domaines). Dans le cas où le vendeur veut maintenir le même prix et garder la différence dans sa poche, il pourrait très bien se le permettre, épingle-t-il. Une baisse de la TVA n’est pas un cadeau au consommateur, mais bien un cadeau aux entreprises.»

Le débat est en outre de savoir si les taux réduits sur les aliments sont vraiment bénéfiques pour le consommateur. «Et si l’argent ne peut pas être mieux utilisé, s’interroge l’expert fiscal. Si on veut vraiment soutenir la consommation, la solution la plus simple reste de valoriser les revenus de la population, en particulier les bas salaires. Car lorsqu’on baisse la TVA, on la baisse pour tout le monde, même pour celui qui gagne 10.000 euros par mois.»

Une baisse de la TVA n’est pas un cadeau au consommateur, mais bien un cadeau aux entreprises.

Edoardo Traversa

Professeur en droit fiscal (UCLouvain)

Isabelle Schuiling remarque qu’en cas d’application de la mesure, les gens réaliseraient logiquement un maximum d’achats sur les deux mois. «Mais elle provoquerait inévitablement une chute très importante des ventes avant et après cette période

D’un point de vue logistique et industriel, enfin, l’idée semble tout aussi rebutante. «Il reviendrait aux industriels de changer leur packaging et de mettre en œuvre une logistique spéciale pour deux mois de temps à peine. Ce qui pourrait être plus coûteux que prévu.»

Décidément, en géographie comme en fiscalité, un océan sépare Belgique et Canada. Le tout est de ne pas boire le «câlisse» jusqu’à la lie.

Partager.
Exit mobile version