Les attentats commis par des ‘loups solitaires’, comme semble l’être l’auteur de celui de Bruxelles Abdessalem Lassoued, peuvent souvent être reliés à un élément déclencheur. Qui précipite le passage à l’acte, sans même que les terroristes n’aient planifié « l’après ». Le point avec Thomas Renard, directeur du Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT).
L’auteur de l’attentat de Bruxelles a-t-il été inspiré par l’attaque au couteau à Arras ? Son passage à l’acte a-t-il été influencé par la guerre entre Israël et le Hamas ? Ou bien Abdessalem Lassoued a-t-il seulement profité du match Belgique-Suède pour « se venger » après les autodafés de Coran exécutés dans le pays scandinave ? Toutes ces questions qui occupent maintenant les enquêteurs resteront peut-être sans réponses.
Le contexte du passage à l’acte du Tunisien de 45 ans ce lundi 16 octobre restent floues. Plusieurs éléments laissent à penser que l’attentat était préparé. Abdessalem Lassoued s’était procuré un fusil d’assaut AR-15, qu’il a utilisé pour tuer deux supporters Suédois. Juste après ses méfaits, celui qui habitait Schaerbeek a justifié son acte dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux en se revendiquant membre de l’Etat islamique.
« Abdessalem Lassoued n’avait pas de plan pour l’après-attentat »
« On dirait que l’auteur de l’attentat n’avait pas planifié l’après, analyse Thomas Renard, directeur du Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT). Il n’avait pas de planque pour se retrancher, et n’avait visiblement pas prévu d’autres attaques ». Deux heures après avoir fait feu sur la place Sainctelette, Abdessalem Lassoued est localisé dans le quartier de la Cage aux Ours, à Schaerbeek, où il habite un appartement avec sa femme et sa fille. Deux agents de police croisent sa route mais n’interviennent pas. Le terroriste prend la fuite, mais sera retrouvé le lendemain matin, après avoir été signalé par un témoin alors qu’il buvait une boisson chaude dans un café, toujours à Schaerbeek.
« Ces éléments donnent à penser que l’individu agissait en loup solitaire«
Thomas Renard, directeur du Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT)
« Ces éléments donnent à penser que l’individu agissait en loup solitaire, pose Thomas Renard. Pour quelqu’un qui agit seul, c’est très compliqué de préparer un attentat de A à Z sans commettre d’erreur ». Le spécialiste des matières terroristes confirme qu’Abdessalem Lassoued est ce que les les services de renseignement belges et européens appellent un homegrown terrorist. Font partie de cette catégorie ceux qui ne sont pas partis à l’étranger faire le jihad, et ont commis un attentat dans leur pays de résidence après un processus de radicalisation rapide. « La radicalisation d’Abdessalem Lassoued s’est opérée en Europe, sans doute via la propagande en ligne de l’Etat islamique ». Si Thomas Renard ne pense pas que le Tunisien faisait partie d’une cellule terroriste, il n’en reste pas moins qu’il savait utiliser un fusil d’assaut.
Un effet de contagion, au vu du contexte international ?
Certains contextes peuvent favoriser l’émergence d’un attentat. « Des terroristes passent à l’acte ou se radicalisent subitement en réaction à ce qui se passe autour d’eux. Cela peut être lié à la propagande en ligne, ou à l’actualité, comme le contexte du moment au Proche-Orient ». Des éléments qui incarnent la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour ces individus. Et puis, il y a le phénomène de contagion du terrorisme, connu du milieu comme le copycat. Pour faire simple, cela se produit quand un attentat en appelle un autre. « Cela arrive dans certains cas, mais n’est pas systématique », cadre le directeur de l’ICCT.
La contagion terroriste, avant la psychose collective
Il est difficile de déterminer si le contexte actuel (assassinat d’un professeur à Arras, conflit israélo-palestinien) a poussé Abdessalem Lassoued à commettre un attentat. Mais son acte a obligé la Belgique à relever le niveau de la menace, et réinstallé une certaine peur au sein de l’opinion publique. Cette semaine, les alertes à la bombe et aux attentats se sont multipliées, que ce soit à l’aéroport d’Ostende, ou dans des écoles belges. « Ce sont des menaces qui en temps normal passent inaperçues mais qui sont aujourd’hui prises avec le plus grand sérieux », indique Thomas Renard. Les autorités ne veulent prendre aucun risque au vu du contexte.
« Il est devenu plus difficile d’anticiper ce genre d’attentat »
Thomas Renard, directeur du Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT)
Cette psychose collective peut également être alimentée par les médias, qui octroient une plus grande attention à de telles menaces. Sans oublier les réseaux sociaux, où des informations pas toujours vérifiées circulent à vitesse grand V. « Cela peut donner de mauvaises idées à des petits plaisantins, qui s’amusent à inventer des alertes à la bombe ou autre ». Pour autant, l’expert en terrorisme assure et rassure : le terrorisme reste rare et marginal en Europe occidentale.
La stratégie opportuniste de l’Etat islamique avec Abdessalem Lassoued
Selon Thomas Renard, le contexte diffère de l’époque des attentats de Paris (2015) et de Bruxelles (2016). Affaibli, l’Etat islamique peine désormais à constituer des cellules terroristes pour organiser des attentats de grande ampleur sur le sol européen. L’organisation se contente de continuer à propager ses idées en ligne, pour convaincre d’éventuelles âmes en peine de passer à l’acte. « Il est devenu plus difficile d’anticiper ce genre d’attentat, mais, d’un autre côté, les auteurs sont isolés, moins bien équipés et doivent se motiver eux-mêmes de passer à l’acte. On parle quand même de tuer des gens et de potentiellement sacrifier sa propre vie ».