Le boîtier permettant de mesurer sa consommation d’électricité peut se dédoubler, à la demande de clients particuliers. Deux compteurs électriques, deux contrats, deux manières de consommer, ce qui permet de profiter à chaque moment du meilleur prix, notamment avec l’arrivée des contrats dynamiques, aux tarifs parfois négatifs.
Recevoir deux factures d’électricité à la place d’une seule, pour faire des économies? Voilà le pari derrière l’installation d’un deuxième compteur électrique. L’idée est de pouvoir séparer sa consommation, en branchant certains appareils d’un côté et le reste sur l’autre compteur. Avec, à la clé, l’espoir de bénéficier au mieux des avantages des différents types de contrats existants sur le marché belge.
Une démarche encore (très) confidentielle, effectuée par seulement «quelques dizaines de ménages en Flandre», confirme Fluvius, le gestionnaire du réseau électrique (GRD) au nord du pays, et «très anecdotique» chez Ores, plus gros GRD en Wallonie. Mais une démarche qui intrigue.
La nouveauté qui a poussé à ce dédoublement, c’est l’arrivée des contrats dits «dynamiques». A côté de ceux à prix fixe ou variable (mensuellement), le dynamique propose une facturation au plus près de l’évolution des prix de gros de l’électricité, sur le marché dit «day ahead». Le prix de l’électricité varie d’heure en heure pour le client final, incité à consommer à certains moments de la journée, lorsque les prix sont bas.
Absorber au mieux l’électricité produite
Ces nouveaux contrats, déjà proposés depuis 2021 en Flandre mais qui débarquent seulement en Wallonie, permettent de prendre en compte la part grandissante des énergies renouvelables injectée sur le réseau électrique. Lorsque le marché anticipe une grosse journée de production photovoltaïque, lors des jours ensoleillés, le prix de l’électricité chute. Il peut même devenir négatif lors du pic de production, généralement au début de l’après-midi. Le consommateur est alors rémunéré pour consommer de l’électricité durant ces heures-là, afin notamment de permettre au réseau d’absorber toute l’énergie produite.
«Il s’agit d’encourager le consommateur, en utilisant l’incitant financier, à jouer un rôle actif dans la transition qui s’opère actuellement. Nous passons d’un monde avec une production électrique connue, centralisée et contrôlable à celui de producteurs plus éclatés dont on ne contrôle pas l’apport sur le réseau, notamment via les installations photovoltaïques. Il faut bien consommer ce qui est produit, d’où cette incitation», explique Pierre Henneaux, de l’unité de recherche en énergie électrique à l’école polytechnique de Bruxelles (ULB).
Le contrat dynamique offre une perspective de gains plus importants à l’avenir, à mesure que l’énergie renouvelable se multiplie. L’an dernier, les prix de l’électricité ont été négatifs pendant 462 heures au total, contre déjà 300 heures cette année, en date du 10 juin 2025, selon Engie. La multiplication des installations photovoltaïques résidentielles pousse la production globale à la hausse et devrait, logiquement, se poursuivre.
Combiner la force de deux contrats différents
Mais le revers du contrat dynamique repose sur la tarification plus lourde à d’autres heures, lorsque la demande dépasse l’offre, en soirée par exemple. Une partie du bénéfice s’envole si le ménage n’est pas capable de reporter sa consommation au moment où les tarifs sont les plus avantageux. Sachant qu’à moins de disposer d’une batterie, certaines consommations ne peuvent tout simplement pas être déplacées (cuisine, éclairage, etc.).
C’est là que réside le bénéfice du second compteur, permettant de combiner un contrat à prix connu pour la consommation qui n’est pas déplaçable, avec la flexibilité d’un contrat dynamique pour les appareils utilisables ou rechargeables, aux moments financièrement plus intéressants. Le tout chez deux fournisseurs différents, si le client le souhaite.
«Le contrat dynamique transfère davantage de responsabilités au consommateur. C’est à lui d’être flexible dans sa consommation, de décaler ce qui peut l’être. Cela concerne surtout les postes de consommation importants, connectés ou pilotables à distance. Brancher son routeur Wi-Fi pour profiter des prix du contrat dynamique est inutile, cela reste une consommation qui ne peut pas être décalée et qui est plus faible. C’est ce genre d’appareil qui restera sur l’autre compteur, avec un contrat fixe ou variable», poursuit Pierre Henneaux.
Pas pour tous les publics
La démarche derrière ces nouveaux contrats dynamiques ne s’adresse donc pas à tous les publics. Car pour en bénéficier réellement, il faut consommer beaucoup d’électricité et pouvoir décaler le moment du prélèvement. «Tout cela est totalement impensable pour des ménages qui sont en situation de précarité énergétique par exemple. Si tous les chauffages de votre maison sont électriques, cela signifie que votre consommation est maximale durant l’hiver, lorsque l’énergie photovoltaïque est moins abondante, avec une impossibilité de décaler votre consommation. Le contrat dynamique n’aura ici aucun intérêt», ajoute le chargé de cours à l’ULB.
«Réfléchir à réduire sa consommation me semble plus pertinent dans ce type de situation, si la finalité première est de faire des économies.»
«Il y a quelques années, le glissement de la consommation était encore marginal. On pouvait tout au plus lancer une machine à laver ou son lave-vaisselle en heures creuses. Aujourd’hui, la donne a changé. Les publics qui peuvent profiter du prix dynamique sont notamment les utilisateurs de voitures électriques et de pompes à chaleur, donc plutôt aisés», complète Francesco Contino, professeur à l’UCLouvain, spécialiste de la transition énergétique et des énergies renouvelables.
Celui-ci s’interroge aussi sur la pertinence de ce type d’installation. «A quel point faut-il en passer par là? Le consommateur devra quand même faire face à une série de coûts incompressibles, notamment pour l’installation et la possession du compteur. Le gain financier semble relativement faible pour une démarche qui va complexifier bien des choses, notamment pour comparer les contrats. Réfléchir à réduire sa consommation me semble plus pertinent dans ce type de situation, si la finalité première est de faire des économies.»
Une démarche qui a un coût et une complexité
Techniquement, l’installation d’un deuxième compteur ne pose pas de problème particulier, assurent Ores et Resa, les deux plus gros gestionnaires de réseaux en Wallonie. Mais la démarche a effectivement un coût, dépendant de la puissance demandée pour le second raccordement et des travaux exacts à effectuer, de l’ordre de quelques centaines d’euros dans le meilleur des cas. L’installation se fait obligatoirement avec un compteur communicant, permettant de suivre en temps réel la consommation du client, condition obligatoire pour bénéficier des tarifs dynamiques.
D’autres solutions sont également à l’étude. «Il y a des discussions au sein de Synergrid (NDLR: la fédération des gestionnaires de réseau de distribution et de transport d’électricité) pour permettre le dispositif du « supply split », soit un sous-compteur pour différencier les comptages, en gardant un seul compteur. Mais ce n’est pas encore abouti. Le calendrier est fixé à fin 2027 pour ce point», détaille Laetitia Niklicki, porte-parole de Resa.
L’installation d’un second compteur ressemble donc plutôt à un régime transitoire vers des solutions plus simples, qui pourraient venir aussi d’acteurs intermédiaires. «Je crois davantage à l’émergence d’opérateurs qui vont agréger des consommateurs, avec de nombreux chargeurs de véhicules électriques par exemple, et qui vont lancer toutes les recharges à un moment où c’est utile et bénéfique. Cela revient à avoir une sorte de centrale virtuelle inversée, un gros consommateur virtuel, qui est contrôlable. Cet « opérateur agrégateur » profiterait des tarifs dynamiques, mais rétribuerait le consommateur, afin de lui rendre la vie plus simple. Jouer avec un double compteur au niveau d’un seul ménage me semble complexe, d’autres solutions finiront par émerger», anticipe Francesco Contino.
Se lancer dans l’installation d’un second compteur pourrait donc rester l’apanage de quelques ménages, qui auront pris le temps de calculer les gains potentiels et qui sont prêts à être plus actif. Une nouvelle réalité, alors que la production d’électricité et sa consommation continuent d’être bouleversées. Avec une ou deux factures.