Si le sommeil est régi par des cycles, l’idée selon laquelle il faut se réveiller au bon moment pour être en forme n’est pas pertinente. Les applications de réveil en la matière ne sont pas encore assez fiables. Plus qu’une histoire de cycles, bien dormir est une question d’hygiène.
Il y a des réveils plus brutaux que d’autres. Parfois indépendamment des heures dormies, il y a de ceux qui donnent le sentiment de pouvoir soulever des montagnes au saut du lit et de ceux qui laissent un goût amer tout au long de la matinée. Et si c’était parce que le réveil avait sonné au mauvais moment?
Parmi le grand boom des applications de réveil qui promettent de faire sortir du lit facilement, il y a celles qui enregistrent les cycles de sommeil, à l’instar de Sleep Cycle. Disponible sur IOS et Android, cette appli enregistre les mouvements du corps et propose de lancer le réveil au «meilleur moment» du cycle (afin de ne pas couper une phase de sommeil profond), en fonction de l’heure choisie préalablement. D’autres «calculateurs de cycle» estiment l’heure idéale du coucher en fonction de l’heure de réveil voulue.
Pour comprendre, un récapitulatif s’impose. Une nuit de sommeil est caractérisée par une succession de cycles, d’une durée de 60 à 100 minutes. Ceux-ci sont divisés en trois grandes phases, ayant un rôle pour aider l’organisme à récupérer: le sommeil lent léger, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal. La durée d’une nuit idéale est propre à chaque individu, génétiquement déterminée, mais en moyenne un jeune adulte a besoin de sept à dix heures d’endormissement par nuit, soit quatre à six cycles d’environ 90 minutes.
Composition d’un cyle de sommeil
L’endormissement (N1): Courte de phase de transition entre l’éveil et le sommeil. Le dormeur perçoit encore l’environnement extérieur, et peut facilement se réveiller. Elle représente environ 5% de la durée totale d’une nuit.
Le sommeil lent léger (N2): Le sommeil est encore un peu fragile. Les muscles se détendent, la respiration, la pression artérielle et l’activité cardiaque ralentissent. C’est la phase qui dure le plus longtemps, elle représente environ 50% de la durée totale de sommeil.
Le sommeil lent profond (N3): Comme son nom l’indique, le dormeur est profondément endormi, et très peu sensible aux stimuli extérieurs. L’activité cérébrale est ralentie. Le rythme cardiaque et la respiration sont réguliers. C’est à ce moment-là que l’organisme récupère physiquement. Il représente environ 20% d’une nuit.
Le sommeil paradoxal (N4): Il présente à la fois des caractéristiques de sommeil léger et profond. L’activité cérébrale est intense et propice aux rêves. Les yeux effectuent de rapides mouvement sous les paupières. La respiration et le rythme cardiaque sont irréguliers, mais les muscles sont complètement détendus. C’est une phase utile à l’équilibre émotionnel. Elle dure environ 20 % de la totalité du sommeil et vient boucler le cycle. S’ensuit une micro phase d’éveil, avant de repartir dans le cycle suivant.
Il est effectivement bien plus dur de se réveiller au beau milieu d’une phase de sommeil lent profond, approuve Pierre-Hervé Luppi, professeur de neurosciences affilié au CNRS et directeur de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon. «Ce ne sera pas évident de retrouver ses esprits». Généralement, le réveil intervient naturellement en phase de sommeil lent léger ou en phase paradoxale. «Plus la nuit avance, plus la proportion de sommeil lent profond diminue et la proportion de le sommeil paradoxal augmente», précise Charline Urbain, professeure en neuropsychologie à la faculté des Sciences psychologiques et de l’éducation de l’ULB. C’est pour cette raison qu’il est recommandé de ne pas excéder les 20 minutes de sieste, pour ne pas tomber profondément dans morphée.
Mais attention aux gadgets: aucune application de réveil «n’est fiable. Se baser sur les mouvements du corps, c’est trop léger pour être précis», assure Pierre-Hervé Luppi. Ces applis ont «la vertu de faire connaître le mécanisme et le caractère précieux du sommeil. Mais pour enregistrer et analyser précisément cet état, il faut des électrodes sur les yeux, sur le cerveau, et sur le cœur», renchérit Charline Urbain.
«Il ne faut pas jouer à couper ses cycles de sommeil»
Les spécialistes sont d’ailleurs unanimes. L’idée selon laquelle il faudrait calculer ses cycles pour se réveiller en forme n’est pas positive. «C’est impossible, les cycles ne sont pas réguliers», martèle le chercheur du CNRS. La durée de chaque cycle peut varier au cours d’une même nuit, en plus de varier d’une personne à l’autre.
Bien se réveiller est plus complexe que cela et dépend de plusieurs facteurs. Il faut miser sur le classique: dormir en quantité et qualité suffisante de manière régulière. «Pour être en forme, il faut faire des nuits d’un certain nombre d’heures et ne pas jouer à couper son sommeil au bon moment», explique Charline Urbain. Le besoin de dormir (soit, dans le jargon scientifique, la «pression de sommeil») augmente proportionnellement au temps d’éveil et diminue au fur et à mesure de l’avancée dans les cycles.
La qualité de la nuit passée entre aussi en jeu. Un environnement bruyant et lumineux est particulièrement nocif, insiste Pierre-Hervé Luppi. Pour se réveiller facilement, le spécialiste conseille d’ailleurs d’utiliser un «simulateur d’ombres», ces appareils ou applications qui diffusent lumière et musique douces de manière progressive. «Si vous avez bu, consommé des drogues ou mangé trop lourd la veille, cela va aussi fragmenter votre temps d’endormissement», ajoute-t-il. Et une nuit «trop courte, ou interrompue de manière trop fréquente génère des problèmes de santé à long terme, comme des maladies cardiovasculaires ou du diabète», appuie Marie Bruyneel, cheffe du service pneumologie au CHU Saint-Pierre.
Le cas des oiseaux de nuit
Pour certains, hélas, il sera toujours difficile de se réveiller le matin, à cause de leur chronotype – leur propre horloge biologique ou rythme circadien. Ils n’y peuvent pas grand-chose, c’est génétique. Si 80 % de la population a un chronotype intermédiaire, il existe 10 % «d’oiseaux de nuit» ou de matinaux, explique Marie Bruyneel. «Les personnes de chronotype soir sont plus dynamiques et compétentes en soirée jusqu’à 2h du matin, et donc incapables de se réveiller à 7h. Au contraire, les chronotypes matin se couchent naturellement vers 20h-21h et sont en pleine forme à 4h». Cette différence s’explique par l’heure de sécrétion de mélatonine, l’hormone soporifique. Un chronotype soir se développe généralement à l’adolescence ou chez le jeune adulte, tandis qu’un chronotype matin concerne souvent les personnes âgées.
Toutefois, un couche-tard peut adapter sa tendance génétique par la discipline: se lever directement quand le réveil sonne, se coucher à des heures régulières et éviter de se décaler pendant les week-ends…