dimanche, mars 23

Après de pénibles tractations, le PS et le MR ont finalement opté pour un partage de maïorat à Schaerbeek. Ce compromis, inhabituel mais pas inédit en Région bruxelloise, favorise généralement le bourgmestre sortant.

Habemus maïeur! Après 165 jours de blocage, la saga politique schaerbeekoise connaît enfin son épilogue. En tête d’affiche, il n’y aura finalement pas un, mais bien deux acteurs principaux. Une Bleue et un Rouge. Audrey Henry (MR) et Hasan Koyuncu (PS) se partageront en effet le poste de bourgmestre pour les cinq années à venir. La libérale enfilera l’écharpe tricolore jusqu’en janvier 2028, avant de la céder au socialiste pour la suite et fin du mandat (octobre 2030).

S’il permet à la Cité des ânes de sortir de l’impasse, ce compromis politique s’avère «extrêmement rare», selon Emilie Van Haute, professeure de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB). «C’est une solution plus fréquente au sein d’un même parti ou d’une même liste, par exemple pour préparer une succession de maïorat», observe la chercheuse au Centre d’Etude de la Vie Politique (CEVIPOL). Un passage de témoin récemment observé à Jette (Les Engagés), Auderghem (DéFI) ou encore Saint-Gilles (PS), trois communes bruxelloises qui ont été le théâtre d’importants changements générationnels ces dernières années. Mais un partage de mandat entre deux couleurs politiques n’est toutefois pas inédit: au lendemain du scrutin communal de 2012, le MR et le PS ixellois avaient déjà convenu d’un 50-50 pour l’écharpe mayorale. En octobre 2015, le socialiste Willy Decourty avait ainsi cédé les rênes à la libérale Dominique Dufourny.

Une spécificité bruxelloise

La rareté de ce compromis s’explique d’abord par le nombre limité de listes à l’échelon local comparé à l’échelon fédéral, qui donne lieu à une moindre fragmentation des résultats. «De nombreuses communes sont dominées par un parti ou une figure politique qui règne en majorité (parfois absolue) pendant des années», cadre Jean-Benoît Pilet, professeur de science politique à l’ULB. Seul un résultat ultra-serré, à l’image de Schaerbeek, justifie ainsi le recours au partage de maïorat. Surtout, cette formule magique ne peut désormais plus être convoquée que dans la capitale. Depuis 2006, la Wallonie a en effet modifié ses règles de désignation de bourgmestre. La fonction revient automatiquement au candidat qui a remporté le plus de voix de préférence sur la liste la plus importante de la majorité. Un choix également adopté par la Flandre en 2024. «Le partage de maïorat n’y est donc techniquement et légalement plus possible», rappelle Jean-Benoît Pilet.

Contrairement au sud et au nord du pays, toutes les configurations (ou presque) sont possibles à Bruxelles. «Schaerbeek aurait même pu changer de bourgmestre tous les ans, avec une alternance consécutive entre le MR et le PS», illustre le professeur. Un modèle «à la suisse» avait même été évoqué, avec quatre édiles successifs (MR, PS, Ecolo-Groen et DéFI) au cours de la législature. Seule la piste de co-bourgmestres, à l’image de la co-présidence d’Ecolo, ne pouvait être retenue. Le bourgmestre a en effet un rôle de représentant régional, rappelle Jean-Benoît Pilet, qui lui permet par exemple de demander l’assistance de la police fédérale ou de l’armée dans certaines situations, ce qui empêche de facto le co-exercice simultané de la fonction.

Deux périodes d’essai

Le modèle schaerbeekois pose toutefois une question d’efficacité. Comment s’assurer d’engranger des avancées avec deux bourgmestres de bords différents au cours d’une même législature? Le succès de la formule réside surtout dans un accord de mandature bien ficelé. «Après, qu’ils aient l’écharpe maïorale ou pas, tous les partis de la majorité siègent au collège et peuvent faire entendre leur voix, rappelle Jean-Benoît Pilet. L’ensemble du collège est tenu par les décisions, même si le bourgmestre conserve un rôle de « premier parmi les pairs ».» D’autant que les matières locales, plus concrètes qu’idéologiques, facilitent la collégialité entre des partis que tout pourrait opposer sur la scène fédérale.

«La figure de bourgmestre sortant confère un avantage électoral non-négligeable.»

Jean-Benoît Pilet

Professeur de science politique à l’ULB

La durée limitée du siège entraînera toutefois une inévitable perte de productivité. «Les deux premières années de prise de fonction sont surtout marquées par l’apprentissage, par l’acquisition de ce qu’on appelle le know-how (savoir-faire), pointe Emilie Van Haute. Un changement à la mi-mandat risque d’être pénalisant, d’autant qu’on a ici affaire à deux personnalités sans grande expérience mandataire

Le PS en pole position pour 2030?

L’occupation successive de l’hôtel communal pourrait également être source de rivalité. «Cela peut donner lieu à des situations où certains voudront tirer la couverture à eux, prédit Emilie Van Haute. Le phasage des décisions devra ainsi être mûrement réfléchi.» Pour que chacun y trouve son compte, le collège aura tout intérêt à s’atteler en priorité aux thématiques chères aux libéraux, avant de plancher sur les marottes du PS en fin de législature.

Des socialistes qui devraient sortir gagnants de ce partage des pouvoirs. «La figure de bourgmestre sortant confère un avantage électoral non négligeable», confirme Jean-Benoît Pilet. A moins d’une crise en seconde partie de mandat, dont la gestion et les conséquences incomberaient à Hasan Koyuncu, le socialiste pourrait récolter les lauriers de l’ensemble du travail effectué sous cette législature. Et en tirer profit pour une reconduction en 2030. Pour éviter de se faire coiffer son bilan, Audrey Henry devra ainsi miser sur une communication solidement efficace. «Surtout dans une commune comme Schaerbeek, où la mobilité est très importante, insiste Emilie Van Haute. Les personnes domiciliées dans la Cité des ânes en 2030 ne seront pas forcément les mêmes qu’en début de législature. Alors que de nombreux citoyens ont encore du mal à citer le nom de leur bourgmestre en fonction, n’allez pas leur demander celui de son prédécesseur…»

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