Ce mardi, le décret paysage a de nouveau crispé les débats de la majorité PS-Ecolo-MR en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le blocage est total. En jeu: le sort des étudiants qui ne seront plus finançables lors de la prochaine rentrée du supérieur et… le vote des jeunes pour les prochaines élections, réservoir de voix important pour socialistes et écologistes. Analyse avec trois politologues.
Qu’Ecolo ait été le premier à décocher une flèche dans le cœur de la réforme du décret Paysage – fin mars lors du Grand débat des présidents de partis du Vif – n’est pas anodin. Que le PS, deuxième membre du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’ait suivi dans ce que certains voient comme un retournement de veste, non plus. Que le MR, dernier partenaire et porteur symbolique du décrié projet sous cette législature, ne veuille pas y toucher, encore moins.
Le dossier est à ce point sensible qu’il menace, à moins de deux mois de la première échéance électorale, de renverser la majorité bleue-rouge-verte. Au-delà de la guerre des chiffres amenée par la Fédération des étudiants francophones (FEF), dont l’enjeu est de comptabiliser les étudiants qui ne seront plus finançables à la rentrée prochaine, se dessine une guérilla partisane pour obtenir le vote de la jeunesse.
«C’est un enjeu important pour le scrutin à venir, confirme Vincent Lefebve, politologue au sein du Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp), et qui suit l’actualité de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous n’avons plus voté depuis cinq ans, donc les jeunes âgés de 18 à 23 ans voteront pour la première fois. Ce qui représente quand même un million de primo-votants.»
Décret paysage: le vote des jeunes en toile de fond
Le dernier sondage réalisé par l’institut Kantar pour Le Vif donne une idée du réservoir de voix potentielles pour les partis, en fonction de différents paramètres. Parmi ces derniers, il y a l’âge des électeurs (voir infographie ci-dessous). Quels enseignements tirer pour la catégorie des étudiants (majoritairement situés dans la tranche des 18-24 ans)? En Wallonie, le parti qui pourrait attirer le plus de jeunes voix est Ecolo (61,8%), assez loin devant le PS (50,7%). La formation dirigée par Paul Magnette possède le réservoir de voix le plus important auprès des 55 ans et plus. À Bruxelles, les socialistes francophones pourraient convaincre 59,4% des 18-24 ans le 9 juin prochain, contre 55,3% pour les écologistes.
Le sondage ayant été réalisé en février, il faut rester prudent au moment d’analyser ses résultats. Néanmoins, l’hypothèse qu’Ecolo et le PS, en s’insurgeant contre la réforme du décret Paysage, comptent récupérer d’une manière ou d’une autre des voix étudiantes, au sein de la catégorie des 18-24 ans tient la route.
Les partis ont conscience du renouvellement important de l’électorat en vue des différents scrutins
«La réflexion des partis peut être influencée par le vote des jeunes aussi en raison de la décision d’obliger les 16-17 ans à exprimer leur voix aux élections européennes, continue Vincent Lefebve. De plus, je vois dans l’empoignade actuelle entre les partenaires de majorité une opposition idéologique entre partis de gauche (PS et Ecolo, NDLR) et de droite (le MR, NDLR). Je ne sais pas si on peut parler d’électoralisme dans leur chef, mais ils se sentent en tout cas moins liés par l’accord de gouvernement, qui prévoit la réforme du décret Paysage.»
Pourquoi le PS et Ecolo s’insurgent
«Les partis ont conscience du renouvellement important de l’électorat en vue des différents scrutins», complète Robin Lebrun, membre du Centre d’Etude de la Vie Politique (CEVIPOL) de l’ULB. Même si, selon le chercheur, il y aura moins de primo-votants qu’en 2019. «Lors des dernières élections, le vote blanc et nul était davantage présent chez les jeunes, donc les partis doivent aller récupérer les voix d’un public potentiellement éloigné de la politique».
Le PS, par exemple, n’est pas très sexy pour les jeunes
Robin Lebrun a une autre explication à la marche arrière effectuée par le PS et Ecolo sur le chemin du décret Paysage. «La FEF leur a mis une grosse pression en faisant percoler des informations au sein du milieu étudiant. Et puis, ils sentent bien sûr le souffle du PTB dans leur dos. Ces facteurs combinés permettent de mieux comprendre le football panique pratiqué par les deux partis».
«Il est clair que les partis essaient de plaire à ceux qui peuvent leur rapporter le plus de voix, pointe le politologue Pierre Verjans (ULiège). Le PS, par exemple, n’est pas très sexy pour les jeunes. Mais il ne faut pas non plus surévaluer le calcul utilitariste réalisé par les politiques. Et le vote des jeunes, s’il va habituellement plutôt à Ecolo ou au MR, varie en fonction des élections». Le PTB, bien ancré dans le mouvement étudiant via sa jeunesse politique (Comac), plaide pour un retrait total du décret Paysage. «Pour ce parti, la FEF reste le point d’ancrage de la souffrance étudiante. À l’inverse du MR, qui va plutôt prôner l’excellence et l’effort.»