vendredi, décembre 27

Les colis livrés à domicile ont explosé avec l’essor foudroyant de l’e-commerce. Il existe pourtant des alternatives, confortables pour le consommateur et meilleures pour l’environnement, comme les lockers.

La période des fêtes de fin d’année est propice au shopping et aussi aux achats en ligne. Les livreurs ne savent plus où donner de la tête. Mais ils sont toujours davantage sollicités tout au long de l’année, pas seulement en décembre. Les livraisons de colis ont explosé, surtout depuis l’épidémie de Covid-19. A l’échelle mondiale, en 2023, la part de l’e-commerce était estimée à plus de 19% du total des ventes. En Belgique, la proportion monte à plus de 26%, ce qui est nettement supérieur à la moyenne européenne (18%) et à certains de nos voisins comme la France (11,5%). Le Belge aime de plus en plus commander en ligne. C’est désormais ancré dans ses habitudes. Selon le régulateur du marché postal (IBPT), le volume de services express et de colis a presque doublé en cinq ans. Désormais, plus de trois entreprises nationales sur dix et six grandes entreprises sur dix font de la vente en ligne.

Il est tellement simple et confortable de faire du lèche-vitrine sur son écran et d’acheter l’objet du désir en un clic, sans même plus devoir introduire son numéro de carte bancaire s’il s’agit d’un site que l’on visite régulièrement. Il suffit d’attendre, souvent même moins de 24 heures, que le «père Noël» sonne à la porte… Début décembre, deux jours avant la Saint-Nicolas, bpost a établi un nouveau record journalier en livrant plus de 810.000 colis. L’an dernier, le pic enregistré était de 700.000 et la normale durant l’année s’élève à 500.000. Aux Pays-Bas, l’opérateur PostNL, dont on voit les camionnettes arpenter nos routes, se targue aussi de volumes record: trois millions de colis à travers le Benelux rien que le 2 décembre, le Cyber Monday. La croissance du commerce électronique et de la livraison à domicile est impressionnante.

810.000

colis ont été livrés par bpost deux jours avant la Saint-Nicolas. Un nouveau record journalier.

Très cher «dernier kilomètre»

Elle pose cependant la question de son coût environnemental, en particulier celui du «dernier kilomètre» de livraison –c’est parfois davantage qu’un kilomètre. Il s’agit en réalité de la dernière étape logistique, lorsque le paquet quitte l’ultime point de distribution (l’entrepôt, le bureau de poste…) pour être acheminé vers sa destination finale (le domicile ou le bureau du client). Ce last mile est confronté à bien des problèmes: embouteillages, zones difficiles d’accès, difficultés de déchargement dans les villes, itinéraires de livraison peu cohérents en raison des exigences de rapidité, course contre la montre pour arriver à temps, absence du client qui oblige à repasser le lendemain, etc. Et il coûte très cher tant sur les plans financier (20% du coût total de la livraison) qu’écologique (25% à 30% des émissions de CO2 de la livraison totale, selon les estimations).

Selon Koen Mommens, expert en mobilité et logistique durable à la VUB, l’impact environnemental des achats en ligne en Belgique se chiffre à 47.000 tonnes de CO2 et son coût sociétal se monte à 188 millions d’euros par an, en ce compris la pollution, les accidents, l’usure des routes, la nuisance sonore, etc. Pour réduire cet impact, il existe d’autres options au transport des colis jusqu’au domicile: points relais, click & collect en magasin ou, plus récemment, les distributeurs automatisés de colis. Tout cela est connu, mais encore très peu utilisé. En Belgique, près de 80% des paquets sont toujours livrés à domicile. C’est un peu moins pour ceux de moins de dix kilos (74%) et un peu plus pour les plus de 30 kilos (82%). Depuis le 21 septembre dernier, la loi oblige désormais les e-commerçants belges à proposer au moins deux modes de livraison, dont un doit être considéré comme durable. Il est encore trop tôt pour évaluer l’effet de cette nouvelle obligation légale.

«L’avantage écologique dépend évidemment de la manière dont on se déplace pour se rendre au locker.»

Une alternative semble avoir de beaux jours devant elle, même si c’est encore aujourd’hui la moins prisée: les consignes à colis ou lockers, en anglais. Il s’agit de distributeurs automatisés et sécurisés généralement installés dans des emplacements stratégiques, comme les centres commerciaux ou les gares. Lorsqu’on opte pour ce choix de livraison, on reçoit un numéro de casier et un code secret pour l’ouvrir et récupérer ou renvoyer son achat. Signe des temps: Ikea vient d’annoncer avoir installé pour la première fois un locker sur une site autre que les parkings de ses magasins, soit le shopping Leaf à Ternat, non loin de l’E40. La chaîne suédoise avait déjà installé, depuis 2023, des casiers automatiques près de ses magasins de Gand, Hasselt, Wilrijk et Zaventem. Pour Ikea, il s’agit d’un service nouveau au client, afin de rendre son expérience d’achat plus simple et plus flexible, d’autant que ces distributeurs sont accessibles de 6 heures à 22 heures, y compris le dimanche.

Janine, Baptiste et les autres

En France, Amazon a déjà déployé près de 3.000 lockers en leur donnant des petits noms, comme Janine, Baptiste, Suzanne, Romain… L’application de revente de vêtements en ligne Vinted, qui connaît un succès grandissant, a commencé, elle aussi, a installer des consignes, baptisées Vinted Go, dans les grandes villes françaises. Les pays européens les mieux équipés en casiers automatiques sont les pays scandinaves, la Suède en tête, et la Pologne. En Belgique, depuis 2011, c’est surtout la société bpost qui a lancé un réseau de lockers qu’elle ne cesse d’élargir, à côté de ses points relais. Pour ces derniers (libraires, épiciers, night-shops…), cela risque d’ailleurs de devenir une sérieuse concurrence. Bpost compte désormais plus 1.100 armoires pouvant traiter 47.000 colis et a installé, cet été, son plus grand distributeur à Louvain: onze mètres de long pour une capacité de 184 paquets. «Grâce au réseau que nous avons développé, la quasi totalité des Belges a accès à l’un de ces points d’enlèvement à moins de six minutes en voiture», se vante l’entreprise postale.

Outre la souplesse pour les consommateurs, ces consignes ont un avantage non négligeable sur l’impact écologique de l’e-commerce. «Mais cela dépend évidemment de la manière dont on se déplace pour se rendre au locker ou au point relais, nuance Koen Mommens. Ce sera forcément différent en zone rurale et en zone urbaine. Si on va récupérer son colis en allant au travail ou à la gare, cela aura un intérêt par rapport au dernier kilomètre, c’est évident. Une étude a aussi montré que, lorsque le réseau de lockers est suffisamment dense, soit à  400 ou 500 mètres de chaque domicile,  donc surtout en ville, les gens se déplacent plus facilement à pied ou à vélo. Et là, bien sûr, le bénéfice environnemental est plus élevé encore.»

«Le seul moyen de changer est de faire payer tous les types de livraison, la plus durable étant la moins chère.»

Malines est une vraie ville pilote en la matière. On y trouve des dizaines de distributeurs de colis. En outre, depuis cinq ans, les livraisons de bpost ne s’y font plus via des camionnettes diesel, mais une flotte de vélos cargos et des véhicules 100% verts, ce qui a permis à bpost de réduire ses émissions carbone de 97% dans cette cité flamande, selon les calculs de la VUB.

Pour permettre au consommateur de choisir son mode de livraison le moins polluant, la fédération du commerce Comeos a mis au point il y a quelques mois, avec les chercheurs de la VUB, un outil très pratique: le Smartdrop. Il s’agit d’un algorithme qui calcule le coût réel de chaque mode de livraison, en prenant en compte divers critères, dont la pollution, les émissions carbone, etc. De acteurs du commerce, comme Decathlon, Fnac, Ava ou IciParisXL participent au projet, pour leur stratégie logistique interne pour le moment. Vanden Borre est allé un pas plus loin en proposant l’outil à ses clients en ligne lorsque ceux-ci finalisent leur commande. Il n’y a plus qu’à espérer que Smartdrop se généralise à l’ensemble de la vente en ligne et fasse des émules chez nos voisins.

Convaincre de faire le premier pas

Malgré les efforts de plus en plus importants consentis par les vendeurs et livreurs pour innover, le vrai nœud du problème de la durabilité des livraisons de colis reste le comportement des acheteurs. Dans une étude récente, Koen Mommens a identifié quatre types de consommateurs. Ceux qui sont conscients des enjeux de la durabilité des livraisons et qui agissent (environ 20%). Ceux qui se montrent neutres par rapport à ces enjeux, en raison soit d’un manque de connaissance, soit d’un manque d’intérêt. Ces deux groupes forment une majorité (54%): ce sont souvent des personnes conscientes des enjeux mais qui ne s’engagent pas concrètement. Et, enfin, ceux qui s’en fichent tout simplement (environ 25%). Le groupe des «neutres» indique qu’il y a un écart entre l’opinion et le comportement, pointe l’étude. C’est dans ce groupe de consommateurs qu’on peut espérer engendrer des changements.

La difficulté est de convaincre de faire le premier pas. Ceux qui utilisent une fois une consigne à colis, le refont généralement et prennent le pli. Mais il reste les nombreux récalcitrants, par exemple ceux qui se rendent dans un magasin pour essayer des chaussures avant de les commander en ligne sur un site qui les vend moins cher ou ceux qui commandent plusieurs tailles et retournent gratuitement celles qui ne conviennent pas. «En réalité, le seul moyen de provoquer un changement de comportement serait de faire payer tous les types de livraisons, y compris les retours de marchandises, de telle manière que la livraison la plus durable soit la moins chère», conclut Koen Mommens. C’est un peu le principe de la taxe carbone ou du pollueur-payeur.  

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