Chocolats, cosmétiques, jouets, mais aussi élastiques à cheveux ou huiles essentielles… Aujourd’hui, les calendriers de l’Avent se déclinent à l’infini. Financièrement, le format n’a pourtant rien d’attrayant pour le consommateur. Alors pourquoi une telle popularité?
«A la maison, on a six calendriers de l’Avent, dont un pour le chien et un fait main où ma compagne et moi glissons chacun douze petits cadeaux pour l’autre.» Il y a quelques années, Charles, 29 ans, n’en offrait et n’en recevait pourtant jamais. Le jeune homme est loin d’être le seul à avoir récemment succombé à la tentation. En témoignent les ventes des grandes surfaces: Carrefour, en moyenne, vendu 120.000 calendriers de l’Avent par an, Colruyt, lui, a battu un record en 2023 mais refuse toutefois de communiquer le chiffre exact.
Les marques plébiscitées? Lego, Pat’Patrouille et Kinder. Ferrero, par exemple, a écoulé 157.800 calendriers de l’Avent l’an dernier et espère atteindre les 250.000 cette année, grâce à une offre étoffée.
S’il est encore possible de dégoter un calendrier de chocolats pour quelques euros, il faut généralement débourser plusieurs dizaines d’euros pour (s’)en offrir un d’une qualité correcte, quelle que soit sa composition. Charles et sa conjointe estiment avoir dépensé plusieurs centaines d’euros pour leurs six calendriers, alors que leurs revenus se situent dans la moyenne nationale.
Cher, mais…
A la sortie d’une longue période d’inflation, cet attrait pour les calendriers de l’Avent interroge. D’autant plus que, financièrement, ils ne constituent pas une bonne affaire. «Si on additionne le prix des 24 produits (NDLR: un par jour de l’Avent), on n’arrive jamais à la somme demandée pour le calendrier, confirme Sandra Rothenberger, professeure à la Solvay Brussels School of Economics and Management. Mais à l’approche des fêtes, on est toujours plus enclin à se récompenser et à faire plaisir aux autres. Le prix influe beaucoup moins sur la décision d’achat.»
Un constat partagé par Alexandra Balikdjian, psychologue spécialisée dans le comportement des consommateurs. «Le calendrier de l’Avent allonge et réenchante la période des fêtes. Il permet de marquer de façon beaucoup plus consciente le cheminement vers Noël», souligne-t-elle.
L’effet de surprise est l’autre grand atout de l’objet. «De plus en plus souvent, on établit une liste de cadeaux que l’on souhaite recevoir le 25 décembre. On sait donc plus ou moins ce qui se trouve sous le sapin. A l’inverse, avec ce produit, on peut se laisser surprendre chaque jour par quelque chose de positif. Se garantir un moment de plaisir quotidien pendant 24 jours, c’est réconfortant», complète la psychologue.
«C’est aussi une bonne occasion de tester des produits qu’on n’achète pas d’habitude, ajoute Charles. Par exemple, cette année, on a commandé un calendrier autour du whisky. On va pouvoir en goûter plein et peut-être qu’on en rachètera certains à l’avenir.»
Bingo pour les marques?
Tarifs gonflés et clients dépensiers: une aubaine pour les entreprises? Pas forcément. Les calendriers de l’Avent ne sont pas toujours bankable. Du moins pas dans l’immédiat.
«Si on tient compte des coûts de packaging et de transport, la marge n’est pas toujours très intéressante, confirme la Pr. Rothenberger. En revanche, c’est un outil marketing ultraefficace. Cela permet de « gamifier » la consommation et de fidéliser les clients, ce qui est particulièrement intéressant pour cibler un public jeune.»
Les influenceurs participent également à l’exacerbation de l’engouement. A l’automne, les publicités pullulent sur les réseaux sociaux. «Kknekki, une firme néerlandaise d’élastiques à cheveux, est un très bon exemple. L’an dernier, leurs calendriers n’ont pas eu beaucoup de succès. Ils ont récemment fait le buzz sur TikTok et leur calendrier 2024 s’est retrouvé sold out fin octobre», illustre la spécialiste du marketing.
«Les entreprises en profitent aussi pour liquider leurs invendus, tester l’attrait pour des produits pas encore mis sur le marché et élargir leur clientèle , ajoute-t-elle. Je pense notamment à Pranarôm, qui propose un calendrier autour des huiles essentielles. Il suffit qu’un acheteur soit convaincu par un des flacons pour qu’il devienne un client régulier.»
«C’est un outil marketing ultraefficace qui permet de gamifier la consommation et de fidéliser les clients.»
Aux antipodes de la tradition
Dans une certaine mesure, les cadeaux du 25 décembre peuvent être en phase avec l’esprit de fête que la tradition chrétienne associe à cette date. Le calendrier de l’Avent, lui, est aux antipodes de ce qu’est censée représenter la période précédant Noël.
«L’Avent était un temps de pénitence durant lequel on se privait en attendant le retour du Seigneur, rappelle Anne Morelli, historienne à l’ULB, spécialiste de l’histoire des religions. Se goinfrer de sucreries ou d’alcools est en totale opposition avec le sens religieux de l’Avent.»
On situe la création du premier calendrier de l’Avent en 1908, en Allemagne, lorsqu’un imprimeur en commercialise un composé d’images pieuses à découper et à coller sur un carton. Le format actuel apparaît douze ans plus tard et perdure plusieurs décennies. «Enfant, j’avais un carnet dans lequel je coloriais une fleur si j’avais réussi à accomplir l’acte demandé, comme me priver de dessert», se souvient Anne Morelli.
A partir de la moitié du XXe siècle, les références à la chrétienté s’effacent petit à petit. Avec le premier calendrier de chocolats en 1958, suivi de toutes les déclinaisons connues aujourd’hui.
Le sens originel du calendrier de l’Avent a-t-il totalement disparu? «Sans doute pas dans les milieux encore très croyants», répond l’historienne. Il peut aussi persister sous une forme non commerciale, à des visées éducatives. «Dans ma classe, j’ai un calendrier réutilisable, témoigne Alicia, enseignante. Chaque jour, un élève ouvre une fenêtre et reçoit une récompense en échange d’une bonne action, comme faire un compliment à un camarade ou résoudre un calcul. Ils apprécient beaucoup… et des collègues prévoient d’en installer un à leur tour dans leur classe.»