PS et PTB siègent côte à côte sur les bancs de l’opposition, en devant apprendre à cohabiter. Frères ennemis hier, ils sont devenus alliés de circonstance, face à la coalition Arizona.
Sous la Vivaldi, l’un était le grand méchant loup, coupable de faire usage d’arguments démagogiques, de causer du tort à la gauche. L’autre incarnait ce parti de gouvernement, auquel il était reproché d’avoir laissé tomber les travailleurs et de s’être perdu dans quelques compromissions. A la gauche et à la gauche de la gauche, PS et PTB étaient désignés, il n’y a pas si longtemps, comme des ennemis. Les voilà siégeant côte à côte sur les bancs de l’opposition. C’est le cas depuis la constitution de la coalition Azur en juillet, aux parlements de Wallonie et de la Communauté française. La chose est officialisée au fédéral aussi, depuis l’avènement de l’Arizona.
N-VA, Vooruit et CD&V côté néerlandophone, MR et Les Engagés côté francophone. Cette coalition miroir (correspondant aux majorités des grandes entités fédérées) a fait apparaître une drôle d’opposition. La famille libérale est divisée, le gouvernement est attaqué sur sa droite par un Open VLD en reconstruction. La famille socialiste l’est également, l’exécutif étant alors pilonné sur sa gauche par le PS, mais aussi le PTB, sans oublier les écologistes.
Ce sont bien les circonstances électorales qui ont conduit PS et PTB à siéger ensemble dans l’opposition. Petit rappel des faits. En juin 2024, aux élections fédérales, les socialistes s’érodaient en Région bruxelloise avec 18,6% des voix (-1,4%) et perdaient une nouvelle fois des plumes en Wallonie avec 22% des voix (-4,1%). Le PTB enregistrait lui aussi un recul en Wallonie avec 11,6% (-2,2%), mais progressait à Bruxelles en grimpant à 16,8% (+4,5%). «Bon, à Bruxelles, ils ont bénéficié d’un effet Gaza, ils ne pourront pas refaire le coup à chaque fois», glisse-t-on dans les rangs socialistes. Toujours est-il que le PTB est sans surprise resté dans l’opposition dans les Régions et au fédéral, tandis que le PS y a été envoyé par les électeurs (sauf à Bruxelles, a priori).
«Qu’on ne s’y trompe pas: l’ennemi, c’est la N-VA, le MR et l’ensemble de ce gouvernement de droite.»
Pour le PS et le PTB, 2024 a tout changé
«Clairement, une nouvelle séquence s’est ouverte en juin, puis en octobre aux communales», reconnaît le président du PTB, Raoul Hedebouw. Les coalitions Azur et Arizona ont vu le jour, subdivisant l’espace politique francophone en deux grands ensembles: gauche vs. droite, grosso modo. Puis des coalitions de gauche, incluant le PTB, ont vu le jour dans la foulée des élections communales. Elles demeurent exceptionnelles et liées à des configurations politiques singulières, mais ont certainement contribué à adoucir les relations entre les deux partis.
Au passage, leurs présidents respectifs, Paul Magnette et Raoul Hedebouw, se sont vus à l’une ou l’autre reprises ces derniers mois. Tous deux députés, ils se croisent aussi de façon informelle à la Chambre. Leurs relations sont devenues, disons, pas trop mauvaises. A l’instar de la cordialité qui règne dorénavant entre les deux groupes parlementaires, d’ailleurs.

Pour autant, ne leur dites pas qu’ils se confondent. «Eux, c’est eux et nous, c’est nous», rétorque-t-on tant au PS qu’au PTB. Les deux factions parlementaires partagent une sensibilité et collaborent volontiers, comme avec les autres partis d’opposition, pour certaines questions de formes ou de procédure: dépôt d’une motion à la Chambre, renvoi d’un texte devant le Conseil d’Etat, etc. Les deux partis restent cependant des adversaires, entend-on des deux côtés, sans pour autant être des ennemis. «Qu’on ne s’y trompe pas: l’ennemi, c’est la N-VA, le MR et l’ensemble de ce gouvernement de droite.»
Entre partis de gauche, on cohabite, à la faveur d’une entente tacite autour d’un objectif commun: qu’au coup suivant, c’est-à-dire dans la foulée des prochaines élections en 2029, le MR et Les Engagés ne soient plus politiquement et arithmétiquement en mesure de repartir ensemble, à deux.
«Raoul, il fait du Raoul»
Ce retour du PS dans l’opposition, condition qu’il avait connue sous le gouvernement Michel à partir de 2014, lui confère un statut nouveau, qui peut être décontenançant pour le PTB. C’est du moins de cette manière que l’on présente les choses dans les rangs socialistes, comme si le rival marxiste cherchait un peu ses marques dans cette nouvelle configuration. «On a l’impression qu’ils tâtonnent un peu, ils ne savent pas trop comment se positionner, entend-on auprès des socialistes. Raoul, il continue de faire du Raoul, quitte à se caricaturer lui-même. Il est un peu en boucle, non?»
Du côté du PS, par contraste, on cherche en tout état de cause à se positionner comme un parti responsable, sérieux, apte à revenir aux affaires lorsque les circonstances seront plus favorables. La voie est d’autant plus libre que le PTB, s’il peut désormais charger les socialistes néerlandophones de Vooruit, ne représente plus cet éternel caillou dans la chaussure.
Durant ces premières semaines arizoniennes, le PS s’est régulièrement montré incisif, tant au Parlement que dans la presse et les outils de communication. La stratégie, en parallèle, consiste à systématiquement formuler des contre-propositions. A chaque attaque, un texte, un scénario mis sur la table pour éviter la critique gratuite. Il s’agit de renvoyer l’image d’une opposition constructive.

Un grosse écurie
«Nous avons cette chance d’avoir un centre d’études de qualité, des techniciens et des collaborateurs bien rôdés, qui nous ont permis de riposter rapidement dès les premières heures après l’annonce de l’accord de gouvernement», se félicite le chef de groupe socialiste à la Chambre, Pierre-Yves Dermagne. Le parti a décidé de rediriger une partie de ses forces vers les groupes parlementaires, de manière à solidifier ce travail d’opposition.
Et puis, la composition du groupe à la Chambre serait des plus robustes. Sur seize députés, on y compte le président du parti, quatre ministres sortants (Ludivine Dedonder, Pierre-Yves Dermagne, Caroline Désir et Frédéric Daerden) et deux autres ex-ministres (Christophe Lacroix et Philippe Courard). Dès le début de la législature, il a été question de former une sorte de «shadow cabinet», un peu à la sauce britannique: chacun se spécialise dans sa matière, en miroir du gouvernement, et marque son ministre à la culotte.
Cela signifie-t-il qu’à côté de l’écurie socialiste, le PTB est à la peine? Ce côté «rouleau compresseur» du PS ne l’a pas empêché de se prendre quelque peu les pieds dans le tapis, récemment, en communiquant de façon alarmiste autour de potentielles fermetures de services hospitaliers dans le pays. C’est du moins ce que l’on fait remarquer au sein du parti marxiste.
«Il est évident que nous pouvons trouver des convergence dans notre travail d’opposition parlementaire.»
Le PTB a enflé
Président et député fédéral, Raoul Hedebouw ne voit pas dans cette cohabitation des gauches une quelconque menace pour son parti. «Je rappelle que sous la coalition suédoise, le PS était aussi dans l’opposition. Cela ne nous a pas empêchés de passer de deux à douze députés aux élections suivantes», fait-il remarquer. Dans l’intervalle, le parti a incontestablement changé de stature. Il y a une décennie, seul le binôme formé par Raoul Hedebouw et Marco Van Hees siégeait à la Chambre pour le PTB-PVDA (le parti est national). Depuis l’été dernier, les marxistes occupent quinze strapontins et, de fait, peuvent bien mieux se faire entendre qu’à l’époque.
Quant à ce voisinage avec les socialistes et, dans une certaine mesure, avec les écologistes, «il est évident que nous pouvons trouver certaines convergences dans notre travail d’opposition parlementaire». Ce n’est pas pour la cause qu’une forme de stratégie commune aurait été élaborée, bien entendu. Des ententes ad hoc se forment lorsque cela se justifie. Et on applaudit les collègues lorsqu’on estime que l’intervention était pertinente.
Pour le PTB, il ne s’agit pas d’un reniement de l’opposition faite aux socialistes, jusqu’il y a peu. Le PS défendait une logique de gouvernement, il faisait partie d’une cible plus large. «Et franchement, lâche Raoul Hedebouw, si nous attaquions cinq fois des autres partis et une seule fois le PS, sous la Vivaldi, on ne retenait que cette dernière.»
Deux partis, deux styles
Entre les deux, les styles demeurent dissemblables, de toute évidence. «Le PTB est un parti d’action, répète son président. Le PS est un parti plus parlementariste, sans doute, alors que les députés PTB ont ce réflexe de s’adresser directement à la classe travailleuse.» En jouant sur plusieurs tableaux: à l’intérieur des institutions et dans «la rue», au sens large. Telle est la «dialectique intraparlementaire et extraparlementaire» qui constitue l’ADN du parti.
Il ne s’en départira pas, également pour marquer la différence avec un PS qui a tant de fois gouverné, au prix de quelques couleuvres. Il fut une époque où le cœur d’Elio Di Rupo saignait, lorsqu’il songeait à quelques mesures adoptées sous son mandat de Premier ministre. Cette «chasse aux chômeurs», comme d’autres casseroles, le PTB s’en souvient et ne manquera pas de les exhumer en temps voulu.
PS comme PTB cherchent donc à s’accommoder de cette répartition du travail d’opposition à gauche. Les écologistes font partie du tableau, mais n’ont conservé que deux sièges auprès de l’électorat francophone, occupés par la Liégeoise Sarah Schlitz et la Bruxelloise Rajae Maouane. Surtout centrées sur leurs fondamentaux –la thématique climatique par exemple–, elles ne représentent pas une menace interne à l’opposition, de nature à susciter des inquiétudes au sein des deux autres partis de gauche.
Il n’y aura vraisemblablement pas de «guerre des gauches», comme on dit. Juste une alliance de circonstances et quelques collaborations, qui n’empêcheront pas ni les railleries ni les coups fourrés de ressurgir lorsqu’il le faudra. En des temps électoraux, par exemple.
