La Belgique ne figure plus dans le top 10 des pays qui maîtrisent le mieux l’anglais, révèle le classement annuel d’Education First (EF) publié mercredi. Le niveau des jeunes de 18 à 20 ans est en chute libre. Les francophones stagnent dans le ventre mou du classement.
C’est une première en cinq ans. Autrefois dans le peloton de tête des pays maîtrisant le mieux l’anglais, la Belgique disparaît cette année du top 10. Le plat pays chute ainsi de la 7e à la 13e place, selon les résultats annuels du English Proficiency Index (EPI) diffusés par EF mercredi.
L’étude, qui analyse les performances de plus de 2,1 millions de participants au EF Standard English Test (EF SET) dans 116 pays différents, pointe d’importantes disparités à l’échelle mondiale. Les Européens dominent le haut du classement, emmenés par les excellentes prestations des Néerlandais (moyenne de 636 points au test), qui conservent la pole position pour la sixième année consécutive. Les pays scandinaves tirent également leur épingle du jeu, avec 610 points pour les Norvégiens, 608 pour les Suédois et 603 pour les Danois. Avec une moyenne de 609 points, Singapour est le seul Etat non européen dans le top 10. Les pays africains et du Moyen-Orient ferment la marche.
Coté belge, la moyenne s’établit à 592 points, soit seize de moins qu’en 2023. Ce recul est particulièrement marqué chez les 18-20 ans, qui affichent désormais les performances en anglais les plus faibles du pays. «C’est un peu surprenant», reconnaît Laila Sevdas, directrice des partenariats académiques chez EF. Depuis 2020, leurs résultats au Standard English Test – qui évalue les compétences en compréhension écrite et orale durant 50 minutes – ont ainsi chuté de 28 points, contre une augmentation de 19 points chez les 26-30 ans sur la même période, et une hausse de 18 points chez les 31-40 ans.
Pénurie de profs
La dégringolade du niveau des 18-20 ans se confirme sur les bancs de l’université, reconnaît Corinne Leburton, enseignante en langue anglaise et cheffe de travaux au service Ellit à l’UMons. «J’ai commencé à donner cours en 1990, et la maîtrise de la langue était clairement supérieure à l’époque», regrette l’enseignante, qui pointe notamment des lacunes en lecture. Cette tendance à la baisse s’explique par plusieurs facteurs, à commencer par la pandémie de Covid-19, dont les conséquences se font encore ressentir. «Les cours en ligne ont limité les interactions spontanées, qui permettent pourtant de faire des bonds de géant dans l’apprentissage des langues, souligne Fanny Meunier, professeure de langue anglaise à l’UCLouvain et directrice académique de CU.mil, une alliance européenne pour le multilinguisme. Les jeunes ont également moins voyagé, et ont vu leurs séjours linguistiques (seconde rhéto, Erasmus…) annulés. Or, ces moments d’immersion sont capitaux pour maîtriser une langue étrangère.»
La pénurie des professeurs de langue dans l’enseignement secondaire est également pointée du doigt. «Les élèves se retrouvent parfois un mois sans prof, alors qu’ils sont supposés avoir quatre heures d’anglais par semaine quand il s’agit de leur première langue, déplore Corinne Leburton. On ne peut donc pas exiger le même niveau de maîtrise que s’ils suivaient l’entièreté du programme. Sans parler de la surpopulation des classes, qui est un réel frein à l’apprentissage des langues.»
Effet de ratrappage
L’essor des nouvelles technologies peut également entraîner des difficultés de concentration et automatiser les réflexes du «moindre effort» chez les jeunes. «L’intelligence artificielle (via ChatGPT ou Deepl) permet de vérifier une traduction en seulement deux clics, pointe l’enseignante à l’UMons. Le cerveau n’est donc plus entraîné à retenir par coeur du vocabulaire ou des règles de grammaire.» Les réseaux sociaux, les jeux vidéos ou encore les tutoriels sur YouTube permettent toutefois d’exposer les jeunes à davantage de contenus en anglais de manière ludique. «Les nouvelles technologies peuvent donc avoir des effets très bénéfiques», nuance Fanny Meunier, qui rappelle que l’engouement pour l’anglais reste très important en Belgique malgré des résultats en baisse.
Cet intérêt pour la langue de Shakespeare se matérialise notamment dans le monde du travail. «De nombreuses entreprises offrent aujourd’hui des cours d’anglais gratuits à leurs employés, qu’ils peuvent suivre sur leur temps de travail, note Laila Sevdas. Ces formations sont très prisées des travailleurs, notamment pour accéder à des postes à haute responsabilité. Et cela se confirme dans les performances des 26-41 ans, globalement en forte hausse depuis cinq ans.»
Les francophones à la traîne en anglais
Outre les disparités liées à l’âge, de nombreuses différences s’observent selon les communautés du pays. Sans surprise, les performances en anglais des néerlandophones sont bien supérieures à celles des francophones. Même s’il s’est légèrement réduit par rapport à 2023, «l’écart entre la Flandre et la Wallonie reste abyssal», pointe d’ailleurs EF. Avec une moyenne de 653 points, les Flamands – s’ils étaient isolés – décrocheraient en réalité la première place du classement mondial, devant les Pays-Bas, alors que les francophones (526 points) dégringoleraient à la 47e place, juste devant la France. Une différence historique, qui s’explique «très facilement» par deux phénomènes, rappelle Corinne Leburton: la (sur-)exposition des Flamands à la langue anglaise (films en version originale sur les chaînes de télévision… ) ainsi que leur proximité avec des sonorités différentes grâce aux dialectes locaux, qui «éveillent leur oreille dès le plus jeune âge» et facilitent ainsi l’apprentissage des langues étrangères.
A l’echelle locale, c’est dans la province d’Anvers (675 points) que les résultats sont les plus élevés cette année, et dans le Luxembourg (508) qu’ils sont les plus faibles. A Bruxelles (569 points), pourtant capitale européenne, les performances restent inférieures à la Flandre. Malgré la tendance à la baisse à l’échelle du pays, la province de Namur (+7 points), du Brabant wallon (+8 points) et du Hainaut (+5 points) enregistrent une hausse de leurs résultats par rapport à 2023. «Globalement, le nombre de Belges qui arrivent à se débrouiller en anglais et avoir une conversation de base est en forte hausse, tient à nuancer Fanny Meunier. Mais cette évolution n’est pas observable dans les tests comme ceux d’EF, qui ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population, même s’ils fournissent des indications utiles. La disparition de la Belgique du top 10 n’a donc rien d’alarmant. D’autant que les efforts amorcés pour sensibiliser les élèves aux langues étrangères dès le plus jeune âge sont très positifs. Mais ils ne seront visibles que dans une dizaine d’années.»