dimanche, novembre 10

Partout, des équipes planchent toujours sur les mécanismes, le diagnostic ou le traitement des séquelles postinfectieuses. Des travaux récents permettent des avancées sur le Covid long.

Je n’en peux plus. » C’est ainsi que beaucoup de phrases de Brigitte, 52 ans, commencent. Enseignante, passionnée de randonnée, elle a abandonné une bonne partie de sa vie d’active. « Il arrive que je passe la journée au lit », lâche-t-elle d’une voix poussive. En arrêt de travail, Brigitte peine à marcher, et parler longtemps peut s’avérer une épreuve. « Je suis incapable de rester longtemps debout, mes jambes tremblent », raconte-t-elle. En septembre 2022, Brigitte a été infectée par le Sars-CoV-2, sans toutefois développer de forme sévère. « J’ai été alitée durant deux semaines », rapporte celle qui, ensuite, a repris ses activités. « Progressivement, la fatigue s’est installée puis, après un effort, des douleurs ­musculo-squelettiques et des difficultés respiratoires. » Diagnostiquée Covid long plusieurs mois plus tard, Brigitte voit sa vie basculer dans une dimension qui la pétrifie. « Ce Covid a foutu ma vie en l’air ! »

Comme Brigitte, entre 10 % et 15 % des personnes infectées par le virus ont contracté un Covid long, c’est-à-dire des symptômes persistants durant au moins deux mois et qui se développent généralement trois mois après l’épisode initial, d’après la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les enfants et les adolescents sont également touchés, mais les données les concernant sont imprécises. « La variabilité de la maladie en fait une pathologie complexe avec pas moins de deux symptômes, selon la littérature scientifique », précise le Dr Tatiana Besse-Hammer, cheffe de clinique à l’unité de recherche clinique au CHU Brugmann et parmi les pionnières en Belgique en matière de prise en charge des patients Covid long. Fatigabilité anormale, symptômes neurologiques (maux de tête, troubles cognitifs, sensations de vertige…) et cardio-vasculaires (dyspnées, tachycardies…), troubles digestifs et intestinaux, sensations de fourmillements le long des membres… « Ils évoluent par poussées, entrecoupées, parfois, de périodes d’accalmie », décrit la spécialiste.

Les symptômes demeurent donc polymorphes, fluctuants, souvent majorés par des efforts physiques ou intellectuels. Ce qui rend le dépistage laborieux et conduit les médecins à explorer toutes les pistes afin d’écarter d’autres maladies. Avec, pour conséquence, des retards de diagnostic et une errance médicale pour les patients.

Cherche signature biologique du Covid long désespérément

En l’absence de critères médicaux spécifiques, des scientifiques américains et suisses ont eu l’idée de rechercher de potentiels « marqueurs » sanguins chez les patients atteints d’un Covid long nécessitant une hospitalisation, ceux-ci présentant un dysfonctionnement immunitaire. Au terme de leur étude, parue en janvier dans Science, ils ont identifié une modification des protéines liées au système du complément. Ce dernier fait partie du système immunitaire inné et aide normalement à lutter contre les infections en tuant les cellules endommagées et infectées. Il joue également un rôle dans l’interférence avec les facteurs de coagulation et le vaisseau sanguin. D’ordinaire, ce mécanisme s’active durant la phase aiguë de la maladie et revient à l’état de repos une fois l’infection passée. Or, chez ces malades, il reste actif, continuant à attaquer des cellules saines de différents organes, provoquant des lésions de tissus. Raison pour laquelle la maladie peut entraîner des symptômes aussi variés.

Cette hyperactivité du système du complément s’avère spécifiquement corrélée à une variation de certaines protéines qui le composent (augmentation de C5b et C6, diminution de C7). Les chercheurs estiment donc que leur modèle permettrait de détecter un Covid long actif et de le distinguer ainsi d’autres maladies aux symptômes similaires. Mais ce n’est pas tout. L’activation accrue du système du ­complément était également couplée à des signes d’une thrombo-inflammation persistante, un mécanisme qui se traduit par la formation de caillots sanguins.

Pour l’heure, cependant, il n’existe aucun biomarqueur universel du Covid long ni de marqueurs simples. « Il faudrait mener d’autres études pour valider les connaissances acquises ici dans de plus grands groupes de patients. On ne sait pas si elles s’appliquent chez ceux qui ont contracté la maladie mais dont l’état de santé n’a pas déclenché un séjour hospitalier », nuance Tatiana Besse-Hammer. Autre limite : l’identification de biomarqueurs du Covid long pourrait dépendre d’autres paramètres, comme le sexe et l’âge. On sait que le Covid long se manifeste plus fréquemment chez les femmes et que l’âge peut influencer l’activation du système du complément. Difficile, dès lors, de savoir si les biomarqueurs nouvellement identifiés pourront être utilisés en routine.

« Même si, avec l’expérience, nous disposons d’un tableau clinique spécifique pour poser un diagnostic solide, les investigations (NDLR : dont notamment des tests neurocognitifs, des examens hématologiques et d’imagerie médicale) sont un marathon. Elles sont chronophages et coûteuses (NDLR : un coût ponctionné sur le budget propre des hôpitaux) », soupire la médecin. Disposer d’une signature biologique ­spécifique permettrait, in fine, de réduire sérieusement le temps du diagnostic et de cibler spécifiquement les patients concernés. Et ainsi faciliter leur accès à des soins médicaux.

La piste des microcaillots

Près de quatre ans après le début de la pandémie, le Covid long demeure en grande partie incompris. Depuis la première publication sur le sujet en septembre 2020, plus de 3 500 articles sont parus, selon la base de données de résumés et citations de publications scientifiques Scopus. Cette maladie complexe est devenue un objet de recherche, notamment pour identifier ses mécanismes, l’origine des symptômes prolongés n’étant pas complètement connue. Mais des travaux récents semblent apporter des avancées.

Certaines pistes n’ont pas été confirmées. Du moins, pour l’instant. La moins avancée et la moins probable est celle d’une persistance virale du virus. En effet, certains virus, après avoir provoqué une infection, persistent dans l’organisme à bas bruit et de manière indétectable dans des « réservoirs », comme le tube digestif ou le cerveau. D’autres, dont le VIH, utilisent cette stratégie d’échappement, qui peut entraîner leur réactivation à tout moment. Une persistance qui semblerait liée à une réponse tardive de l’immunité innée, dont la fonction est de faire barrage de façon immédiate aux agents infectieux. « Cette hypothèse repose sur des échantillons limités, pointe Tatiana Besse-Hammer. Quant à une défaillance de l’immunité innée, il n’est pas démontré qu’elle serait la cause. Lorsqu’on s’adresse aux immuno­logues, ils pensent que l’immunité innée retardée est fort probablement une conséquence de l’infection. »

Une autre hypothèse met en avant une activité persistante des autoanticorps, généralement liés à une inflammation chronique. Ceux-ci jouent un rôle dans de nombreuses maladies auto-immunes, à l’instar du lupus ou de la polyarthrite rhumatoïde. « Ces autoanticorps sont-ils apparus après l’infection ou étaient-ils déjà présents ? Il nous est impossible de trancher ce point. Pour ce faire, il aurait fallu disposer de tests sanguins des individus avant la maladie, poursuit la spécialiste. Mais il est très probable que ceux-ci étaient prédisposés et que le Covid a accéléré ce processus. »

Reste alors l’hypothèse la plus robuste, celle d’une hypercoagulation qui demeure chez des patients souffrant d’un Covid long. Plusieurs dizaines d’études l’indiquent aujourd’hui. Elles montrent que la surface de l’endothélium – cette fine couche de cellules qui forme le revêtement interne des vaisseaux et est en contact direct avec le sang – reste abîmée. « Il existe effectivement des récepteurs au niveau des poumons, des bulbes olfactifs, des artères aussi : des lésions se feraient là », détaille Tatiana Besse-Hammer. Les autres organes peuvent évidemment être touchés. Des modifications des protéines endothéliales se développeraient, entraînant une anoxie, soit une diminution de la quantité d’oxygène que le sang distribue aux tissus et provoquant des microthrombi, c’est-à-dire la formation de ­multiples petits caillots. « Or, le système nerveux est le plus sensible à l’anoxie », ajoute la chercheuse. Ce qui explique les épisodes brutaux de malaises, de douleurs (musculaires, cardiaques) ou de brouillard cérébral dans lesquels sont fréquemment plongés les patients.

La plus récente recherche, emmenée par Maxime Taquet, psychiatre belge à l’université d’Oxford, publiée en août dernier dans Nature Medecine, étaie l’hypothèse de caillots sanguins. Elle montre, chez des patients hospitalisés, la présence de deux biomarqueurs de l’inflammation anormalement élevés au début de la maladie chez des patients de longue durée. Le premier, des fragments de fibrine, est une protéine impliquée dans la cicatrisation ; le second, du fibrinogène, une autre protéine produite dans le foie qui permet de fabriquer de la fibrine. En résumé, ces taux élevés signent la présence de caillots.

L’hypothèse des microcaillots, qui a émergé mi-2021, a conduit certains patients à se rendre en Allemagne ou en Suisse pour un « lavage de sang » – appelé aphérèse – à des prix exorbitants, selon une enquête menée par le British Medical Journal, en juillet 2022. Aucun essai ­clinique n’a validé ce traitement, potentiellement dangereux.

« Cette dernière étude est importante car elle confirme que quelque chose semble se passer dans les tout premiers moments de l’infection et que les personnes avec une réaction inflammatoire initiale très forte ont plus de risques de développer des symptômes persistants », note la spécialiste.

Covid long: de nouvelles séquelles se dessinent

La grande majorité des patients évolue favorablement. Mais aucun traitement contre le Covid long n’est encore validé. La médecine propose des traitements symptomatiques. A cela s’ajoute une prise en charge passant par une revalidation neurologique, qui permet de réduire le temps de récupération. Au sein de l’unité de recherche clinique, l’équipe du Dr Tatiana Besse-Hammer et celle du ­service d’hémato-oncologie s’apprêtent à mettre en place un protocole afin de pouvoir traiter ces patients avec des thérapies (des anticoagulants) déjà validées pour des pathologies connues, à l’instar du facteur de von Willebrand, intervenant dans la coagulation de cellules du sang (les plaquettes) et les lésions des vaisseaux sanguins. « Même si on ne sait pas encore tout du Covid long, il ne faut pas oublier de prendre en charge ceux qui en souffrent durant des mois, le plus souvent pendant un an, parfois deux ans », insiste-t-elle. Certes, la prise en charge s’est améliorée, mais les symptômes, parfois très invalidants pour les vies personnelle et professionnelle, en font pour beaucoup de spécialistes de la pathologie un enjeu de santé publique. Nombre de patients ne peuvent plus travailler, forcés de se reposer entre deux tâches… Le centre du CHU Brugmann continue de crouler sous les demandes et ses membres voient, désormais, apparaître des symptômes qui s’apparentent aux critères du syndrome de fatigue chronique et de la fibromyalgie. D’autres instituts scientifiques en Belgique et à l’étranger, notamment en France et au Royaume-Uni, constatent la même évolution. Ces patients présentent non pas des troubles neuro­cognitifs mais des atteintes neuropériphériques. « On sait en effet que des symptômes postinfectieux peuvent émerger après une grippe. Les symptômes se recoupent. » Ces troubles postviraux demeurent encore une entité négligée de la recherche.

36 millions

C’est le nombre de personnes sur le continent européen auraient souffert d’un Covid long au cours des trois premières années de la pandémie, soit presque un Européen sur trente, selon une modélisation, parue en juin 2023, effectuée par l’OMS Europe.

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