Quatre associations bien informées à propos des négociations bruxelloises font le deuil de la station Toots Thielemans en appelant à un concours d’idées pour sa reconversion. Dans les rangs politiques, l’abandon n’est pas encore acté, mais l’idée germerait.
La naissance de la station de métro Toots Thielemans était initialement prévue pour la fin de l’année. Pourtant, même si l’ouverture de la ligne 3 est annoncée pour 2031, il est probable qu’aucun métro ne s’arrête jamais à cette «cathédrale souterraine» actuellement en chantier, ni nulle part ailleurs. C’est en tout cas ce que pensent l’Arau (Atelier de Recherche et d’action Urbaines), le Bral (un mouvement urbain qui se bat pour un Bruxelles durable), Inter-Environnement Bruxelles et l’Association des commerçants du Palais du Midi qui ont publié mardi un appel aux idées pour la reconversion de la station. Selon eux, le tronçon reliant la Gare du Nord à la station Albert ne verra jamais le jour.
«On a eu des discussions avec David Leisterh, et la donne a changé, assure Marion Alecian, directrice de l’Arau. Depuis quelques mois, quand on arrive avec nos alternatives telles qu’un prémétro, on est très sérieusement écouté. Pour nous, c’est un énorme signal.»
Au Parlement bruxellois également, les choses s’agitent. Le 15 octobre dernier, en commission mobilité, Benjamin Dalle (CD&V) introduisait une demande d’explications à la Ministre Elke Van Den Brandt (Groen). «La déconstruction du Palais du Midi doit encore être mise en œuvre, la situation à la gare du Nord n’est pas claire et de grandes incertitudes pèsent également sur l’extension vers Schaerbeek et Evere, dont les travaux n’ont pas encore commencé», souffle le chrétien-démocrate.
Démolir le Palais du Midi ou mourir
Le Palais du Midi, ou plutôt son sous-sol, est en fait le nœud du problème. Pour des raisons géologiques, le monument (que le gouvernement bruxellois n’a pas voulu classer afin d’accélérer sa démolition, selon Ecolo) doit être démoli. Une procédure qui nécessite une étude d’incidence attendue pour la rentrée d’automne, et qui, selon certains, serait terminée. Elle n’a cependant toujours pas été publiée. «Le projet n’est pas encore officiellement abandonné mais les infos techniques et financières qui nous parviennent le compromettent de plus en plus concrètement, écrit l’Arau. Les discussions du côté du gouvernement bruxellois intègrent cette donnée et la piste d’abandon. (…) Le risque est aujourd’hui de voir malgré tout arriver l’enquête publique pour le permis de démolition du Palais du Midi alors que le projet de métro 3 ne peut être poursuivi plus loin.»
Nous avons envie de ce métro 3, mais il faut être raisonnable.
Ce dossier est aussi une question de gros sous. De très gros sous. « La dernière évaluation budgétaire pour l’ensemble du projet, reprise dans le plan pluriannuel d’investissement de la STIB, était donc, à la fin 2023, d’au moins 3,9 milliards d’euros», chiffrait Elke Van Den Brandt à la mi-octobre. Le tronçon Gare du Nord-Bordet englobe 2,4 milliards de cette somme, et celui reliant la Gare du Nord à Albert (Forest) est évalué à 1,3 milliard.
Durant la campagne électorale, le MR avait fait de la rigueur budgétaire une priorité tout en assurant par ailleurs que l’abandon du Métro 3 n’était pas une option. En façade, c’est toujours le cas, assure David Weytsman, député et chef de file MR à la ville de Bruxelles (MR). «Pour la première phase, 95% des travaux sont faits, assure le libéral, qui siège à la commission Mobilité. Il ne reste plus que la portion sous le Palais du Midi qui pose problème.»
«Être raisonnable»
Mais un futur partenaire, Christophe De Beukelaer (Les Engagés), ouvre des pistes. «Tout le monde a conscience de l’ampleur des dégâts budgétaires. Il faut être certain que l’on peut financer les choses avant de les engager. Chaque semaine qui passe nous enfonce un peu plus dans l’abîme. Nous avons envie de ce métro 3, mais il faut être raisonnable.» Le cabinet Van Den Brandt refuse quant à lui de commenter le dossier, arguant qu’il est un point important des négociations en vue de la formation gouvernementale. Enfin, une source socialiste insiste sur l’urgence de finir le chantier de l’avenue Stalingrad au plus vite, quitte à patienter pour la deuxième phase du projet menant jusqu’à Bordet.
Du côté de la Stib, on se refuse à tout commentaire tant on estime que trop de conditions peuvent faire vivre ou mourir le projet, bien que la société de transports espère que la première option soit privilégiée. «Cette ligne a toute son importance pour la Région bruxelloise. Surtout pour relier le nord au sud, où les lignes de tram sont saturées.»
L’abandon du tronçon Albert-Nord aurait, aux yeux d’une majorité, pour conséquence de mettre en péril le tronçon reliant la Gare du Nord à Bordet. «Personne ne peut dire qu’un petit métro est intéressant, assume Manon Alecian. C’est peu défendable politiquement.» En commission Mobilité, toujours, Elke Van Den Brandt répondait à Isabelle Pauthier (Ecolo), prenant quelques pincettes quant au tronçon Gare du Nord – Bordet. «Dans le cadre de la procédure d’adjudication pour le tunnel, les stations et le dépôt, urban.brussels doit à présent décider de la poursuite de la procédure. Je m’attends à une décision d’ici à la fin de 2024. Parallèlement, l’analyse des offres soumises en mai 2023 pour la deuxième phase est en cours. Elles sont nettement supérieures aux estimations et j’ai reçu entre-temps des informations à ce sujet de la part de Beliris. (…) L’analyse de Beliris aboutit donc à la recommandation de geler la procédure de marché, de réaliser une nouvelle campagne géotechnique et d’étudier des pistes de modifications du projet, afin de réduire les coûts et les risques pour l’entrepreneur. Il est également recommandé d’étudier d’autres pistes relatives à la procédure du marché, comme un partenariat public-privé ou un allotissement.»
Pour Isabelle Pauthier, la position semble sans équivoque. «On peut comprendre que le projet relatif au deuxième tronçon est officiellement mort. Pas de budget, pas d’offres valables, plus de projet. Pour le premier tronçon, qui ne se justifie que si le deuxième se réalise, l’opérateur de transport (la STIB) pousse toujours mais encore faut-il qu’il obtienne un permis pour démolir le Palais du Midi, enjeu qui ne fait pas consensus, loin de là, et que Beliris règle les problèmes rencontrés gare du Nord depuis mars 2023. .»
Le point devrait donc être déterminant dans l’accord de majorité du prochain gouvernement. Encore faut-il que celui-ci se mette sur les rails.