Le plafond du titre-repas passera de huit à dix euros au 1er janvier 2026. Le cabinet de David Clarinval (MR) met en avant un gain de 440 euros par an, sur base de deux euros de plus par jour presté. Mais cette mesure ne concerne pas tous les salariés, et la part réellement gagnée semble être une fourchette plus basse qu’annoncée.
Dès le 1er janvier 2026, les employeurs pourront augmenter le montant journalier des titres-repas de huit à dix euros. Le gouvernement a fait passer l’intervention maximale exonérée de cotisations sociales pour les employeurs de 6,91 à 8,91 euros, ce qui fixe la valeur maximale du titre-repas à dix euros.
Deux euros de plus par jour, sur une base de 220 jours de travail prestés, donnent 440 euros par an chargés sur la carte-repas des bénéficiaires. Le cabinet de David Clarinval (MR), ministre de l’Emploi et de l’Economie, parle d’une somme qui s’ajouterait à une moyenne de 1.520 euros annuels perçus. La promesse devient plus spectaculaire avec la deuxième marche annoncée vers douze euros, à une date encore floue. Le cabinet estime qu’une hausse à douze euros ajouterait 880 euros sur l’année, pour atteindre 2.400 euros, soit 200 euros par mois.
Ce gain est lié à la nature du titre-repas. Il ne s’agit pas d’un salaire classique, mais d’un avantage extra-légal encadré, avec une répartition entre employeur et salarié. Dans le régime courant, le travailleur contribue par une retenue sur salaire de 1,09 euro par titre. L’employeur couvre le reste, avec une intervention maximale de 6,91 euros quand le titre vaut huit euros. Beaucoup de salariés voient un titre à huit euros comme un cadeau intégral, mais dans les faits, la retenue de 1,09 euro réduit le gain net journalier à 6,91 euros. La réforme offre un titre porté à dix euros et une retenue sur salaire inchangée, ce qui fait grimper le gain net à 8,91 euros par jour.
Pour Corentin Dubois, CEO de Monizze, la mesure est la bienvenue. «Il faut voir cette hausse comme un instrument de contrôle du pouvoir d’achat choisi dans un cadre contraint. Avec une marge salariale à zéro, la revalorisation du titre-repas figure parmi les leviers les moins onéreux pour l’employeur, tout en maximisant le pouvoir d’achat net du travailleur.»
Le gouvernement défend un objectif double. David Clarinval avance «un désir d’augmenter le salaire net des travailleurs et de réduire le coût du travail pour les employeurs. Nous voulons pousser les entreprises à utiliser le plafond.»
Pour ce faire, un «incitant fiscal» va être mis en place. La déduction fiscale pour les entreprises passerait de deux à quatre euros par titre, avec une part déductible qui évoluerait de 25 à 40% sur les mêmes montants. Concrètement, l’entreprise pourra réduire davantage son bénéfice imposable et donc son impôt final.
Un «faux» cadeau?
Pour Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, la réforme ne se lit pas uniquement sur la ligne «titres-repas». Mais, elle s’analyse aussi à travers le panier d’avantages qui pourrait être modifiés sur le côté: «Le gouvernement veut supprimer progressivement d’autres chèques. Les éco-chèques, les chèques sport et culture, les chèques-cadeaux sont visés. Or, ces avantages n’obéissent pas aux mêmes règles. L’éco-chèque peut aller jusqu’à 250 euros par an et il est financé à 100% par l’employeur. La contribution du salarié y est de zéro euro. Les chèques sport et culture peuvent aller jusqu’à 100 euros par an, avec la même logique. Si une hausse des titres-repas s’accompagne d’une suppression de ces chèques, l’effet sur le pouvoir d’achat n’est plus aussi évident.»
La responsable syndicale insiste aussi sur une autre face de l’incitant fiscal: «Augmenter la déduction fiscale, c’est diminuer les montants imposables sur les bénéfices des entreprises. Le salarié conserve sa retenue, il gagne un supplément quand l’employeur augmente le titre, mais la collectivité perd une partie de recettes fiscales.»
Corentin Dubois formule la même prudence, en reliant l’annonce politique aux négociations entre patrons et salariés qui suivront: «La règle, c’est d’offrir une possibilité aux employeurs. Dans certains secteurs, la concertation sociale peut l’inscrire dans un accord collectif. Dans d’autres, l’employeur décidera seul, en fonction de ses marges. Pour les salariés, cette différence change tout, un même métier peut donner lieu à un supplément net de deux euros par jour dans une entreprise et à rien du tout dans l’entreprise voisine. Tout est laissé à l’appréciation des patrons.»
La disparition annoncée des autres chèques est un autre point de friction. Corentin Dubois met en garde contre une simplification qui se ferait au détriment du sens initialement voulu: «Chaque chèque a une affectation spécifique. Simplifier l’ensemble, en regroupant tous les chèques sous une même bannière, peut sembler logique, mais le prix se paie dans l’usage. Si l’éco-chèque disparaît, son affectation disparaît avec lui. Cela va avoir un effet très concret sur la fiche de paie. En éco-chèques, le montant annuel maximal est entièrement à charge de l’employeur. Pour le titre-repas, une contribution minimale du travailleur fait partie des conditions. Donc, un transfert pur et simple va déplacer une partie de la charge vers le salarié.»
Des inégalités entre salariés
Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain, critique ce mode de revalorisation par avantages extra-légaux. «L’augmentation des avantages extra-légaux réduit des recettes fiscales et sociales, parce qu’une part de la rémunération sort de l’assiette classique. Elle creuse aussi des inégalités entre travailleurs, entre ceux qui bénéficient d’un gain net et ceux qui n’y ont pas accès, parce que tout dépend du secteur et de la politique de l’employeur. Je peux vous dire qu’en ce moment, le créneau n’est pas favorable à ce que les employeurs veuillent acheter plus de tickets-repas. Il faut tout de même être en capacité d’avancer ces fonds. Ce n’est pas rien.»
Corentin Dubois insiste de son côté sur l’effet de calendrier et de négociation: «Des discussions sectorielles sont en cours. Les accords se construisent progressivement. Il en sortira une hausse dans certains cas et une stabilité ailleurs. Dans ce schéma, les 440 euros décrivent moins une réalité moyenne qu’un plafond atteignable par une partie des salariés.»
En 2024, 3,55 milliards d’euros de chèques-repas ont été octroyés en Belgique, pour 3,1 million de travailleurs, selon les chiffres cités par David Clarinval et l’étude de SD Worx. Toujours selon ces chiffres, en 2025, 62% des employeurs octroient des chèques-repas, ce qui concerne 71% des travailleurs du secteur privé.




