mercredi, décembre 17

Face au sentiment d’abandon par les institutions, de plus en plus de citoyens se proclament «autojusticiers». Un père qui passe son voisin à tabac, des voisins qui organisent des rondes, des influenceurs qui lancent des traques numériques. Cette «justice» parallèle redessine la frontière entre vigilance citoyenne, dérapages violents et menace pour l’Etat de droit.

Jambes, province de Namur, juillet 2025. Il est un peu plus de 22 heures lorsqu’un homme de 48 ans se présente au domicile de son voisin et le passe à tabac, le laissant pour mort. Quelques jours plus tard, le même protagoniste, Grégory L., se livre aux autorités et revendique son geste devant une caméra: sa victime aurait agressé sexuellement son beau-fils de 6 ans. Sur les réseaux sociaux, on ne compte plus ceux qui saluent un «héros» qui a osé faire justice lui-même là où la justice «officielle» aurait failli. Grégory L. est finalement inculpé pour tentative d’assassinat. L’affaire choque autant qu’elle fascine. Elle rappelle surtout un phénomène en recrudescence: face à l’insécurité et à l’impunité ressenties, des citoyens endossent le rôle d’autojusticiers, quitte à tutoyer les lignes rouges de la loi, parfois à l’outrepasser.

Ces chasses numériques disent quelque chose d’un basculement récent: la justice parallèle ne se joue plus seulement dans la rue, mais aussi sur les écrans. Au printemps 2025, l’influenceur Aqababe (1,3  million d’abonnés) a lancé une traque participative pour retrouver Xavier Dupont de Ligonnès, multipliant les appels à sa communauté: «Retournons l’Europe, je vous le dis moi.» «Avec l’aide de mes chipies, on va le remonter», promet‑il, déclenchant un afflux de témoignages, mais aussi de rumeurs et de fausses pistes. Le parquet de Nantes s’en agace publiquement: «Beaucoup de fausses pistes et peu de résultats.» Des médias pointent des méthodes hasardeuses (vérification par IA d’un document d’identité) et s’interrogent sur la légitimité d’enquêtes non formées. La séquence vire à la polémique quand l’influenceur diffuse un faux document, avec la perspective d’un contentieux judiciaire.

Pierre Rancé, auteur de l’ouvrage Autojustice. Enquête sur l’inquiétant phénomène qui gagne la France (Plon, 2025), voit dans ces passages à l’acte autre chose qu’un simple dérapage. «C’est à la fois un sentiment d’injustice, d’exaspération et de révolte. Ces citoyens ont appelé la police et déposé plainte à plusieurs reprises mais personne ne les a aidés. Ils ont le sentiment d’être les laissés pour compte. La justice est tellement discréditée que certains ne passent même plus par la case police. Ceux que j’ai rencontrés pour les besoins de cette enquête revendiquent désormais l’usage de la force et le recours à la violence pour eux-mêmes et considèrent que leur action est totalement justifiée.» Et de recenser une série de cas emblématiques et à chaque fois, la même mécanique: faute de réponse des autorités, les citoyens s’improvisent justiciers. Ainsi, cette famille de la région parisienne, excédée par l’inaction judiciaire après deux incendies criminels de ses véhicules, décide d’organiser une expédition punitive. Les frères de la victime passent à l’action, et parviennent à faire enfin réagir la justice… à leurs dépens. Placés en détention provisoire, ils constatent avec amertume que l’incendiaire présumé, lui, «n’a toujours pas été inquiété». Ou ce producteur de musique grièvement blessé par un ostéopathe aux diplômes falsifiés qui perd patience après six ans de procédures civiles soldées par une indemnisation dérisoire. Sa réponse: embaucher des gros bras pour «venger» son préjudice en renversant le faux ostéopathe en voiture. Bilan: dix ans de réclusion.

«Ces réseaux de voisins existent surtout dans des zones pavillonnaires cossues; 80% se situent en Flandre.»

Voisins vigilants et milices de quartier

Mireille, coordinatrice d’un partenariat local de prévention en Brabant wallon, incarne, elle, ces «voisins vigilants» qui veillent sur leur quartier. Grande silhouette droite, elle aime répéter en souriant: «On n’est pas là pour jouer aux gendarmes, on est là pour éviter que ça dérape», et que la vigilance citoyenne ne vire à la délation ou à la milice privée.

En Europe, cette montée de la justice privée prend des visages contrastés. Ce peut être des groupes d’habitants vigilants qui veillent dans des quartiers, souvent de façon informelle. Des voisins qui s’organisent via WhatsApp ou Facebook pour signaler les voitures suspectes et surveiller les allées et venues la nuit tombée. En Belgique, les autorités ont même institutionnalisé cette vigilance sous forme de PLP (Partenariats locaux de prévention): des accords encadrés entre riverains, police et communes pour «renforcer la sécurité et la qualité de vie» d’un quartier. «Un PLP n’est pas une milice privée», stipule la circulaire fédérale, qui interdit patrouilles ou interventions punitives. Sur le terrain, ces réseaux de voisins existent surtout dans des zones pavillonnaires relativement cossues; 80% des PLP belges se situent en Flandre. Mireille raconte ainsi comment son rôle bénévole consiste à relayer aux habitants les informations de l’agent de quartier; et inversement, transmettre à la police les signalements reçus (véhicule inconnu, démarchage suspect…).

Toutefois, même dans ce cadre légal, la frontière est ténue entre bienveillance civique et dérive intrusive. «Dire de quelqu’un qu’il est « suspect », ça ne veut pas dire grand-chose, prévient Mireille. Au début, mon téléphone sonnait pour le moindre détail; aujourd’hui, les gens ont appris à faire la part des choses.» Consciente du risque d’emballement, elle veille à ne pas alimenter un sentiment d’insécurité excessif: pas de fausses alertes ni de rumeurs diffusées inutilement. «Le risque, c’est de se croire investis d’une mission. Nous, on ne fait que transmettre; la police, elle, enquête», poursuit-elle. Toute la subtilité est là: comment mobiliser les citoyens sans tomber dans une surveillance soupçonneuse du voisinage?

Pour les politologues Gilles Favarel-Garrigues et Laurent Gayer, auteurs de Fiers de punir. Le monde des justiciers hors-la-loi (Seuil, 2021), qui ont étudié le phénomène du vigilantisme contemporain, ces glissements ne doivent rien au hasard. «Plusieurs causes peuvent inciter les justiciers autoproclamés à se mobiliser, soulignent-ils. D’abord, la lutte antimigrants, la police des mœurs et la défense de la propriété. Les motivations peuvent être idéologiques, par exemple dans le cas de la lutte antimigrants, ou en lien avec la défense d’intérêts matériels. Certains redresseurs de torts cherchent également à tirer profit de leur activité sur les réseaux sociaux, en mettant en scène leurs frasques pour accumuler les followers

Dans les quartiers populaires confrontés à une petite criminalité quotidienne (vols, deals, incivilités), le pas vers l’autodéfense est parfois vite franchi. A Nantes, après le meurtre tragique d’une mère de famille en pleine rue en 2022, des jeunes du quartier Bellevue se sont spontanément mobilisés pour attraper l’auteur présumé, suscitant des comparaisons avec des «milices citoyennes» locales. De même, dans plusieurs grandes villes, à Bruxelles ou à Marseille, des commerçants ou habitants excédés se regroupent la nuit pour effectuer des rondes, là où «la police ne vient plus». Ces actions se font souvent hors de tout cadre juridique, avec les dangers que cela comporte: usage disproportionné de la force, erreurs sur la cible, escalade de violence. Pourtant, cela n’a pas empêché l’essor de certaines bandes de justiciers hors-la-loi. Les chercheurs Gilles Favarel-Garrigues et Laurent Gayer définissent ces justiciers d’un genre nouveau comme «des citoyens ordinaires résolus à maintenir l’ordre et à rendre la justice par eux-mêmes, au nom d’une communauté de référence». Aux yeux de ces redresseurs de torts, la fin justifie les moyens, quitte à outrepasser la loi qu’ils prétendent protéger.

L’ombre de l’extrême droite

Dans certains cas, cette logique déborde le cadre local pour prendre une tournure idéologique exacerbée. Des groupes structurés, proches de l’ultradroite. Leur discours: l’Etat serait impuissant face à l’insécurité ou à certaines catégories de criminels, légitimant ainsi une justice expéditive. En France, le groupuscule Génération identitaire s’est fait connaître par ce type d’actions coup de poing. En avril 2018, une cinquantaine de ses militants ont déployé un dispositif paramilitaire dans les Alpes, se faisant passer pour des gardes-frontières afin d’empêcher l’entrée de migrants. «Mission Alpes», avaient-ils proclamé en arborant parkas et radios, dans une mise en scène savamment médiatisée. La réponse judiciaire sera cinglante: la condamnation de trois dirigeants à six mois de prison ferme et 75.000 euros d’amende pour «activités exercées dans des conditions de nature à créer la confusion avec une fonction publique».

Ce renouveau des milices citoyennes ultra s’observe à l’échelle européenne. «Nous assistons à une nouvelle vague de vigilants antimigrants à travers l’Europe», constate Ashifa Kassam, correspondante du quotidien britannique The Guardian. A l’instar du Border Defense Movement patrouillant la frontière germano-polonaise, ces groupuscules jouent les Robins des bois nationalistes. Leur mode opératoire: des «patrouilles citoyennes» très visibles, gilets fluorescents, matraques, live Facebook, destinées à rassurer leur base et effrayer l’«ennemi intérieur» (migrants, minorités). En Espagne, cet été 2025 a vu des émeutes antimigrants dans la région de Murcie, où des dizaines d’individus armés de bâtons se sont mis à «chasser» les étrangers dans les rues. En Irlande du Nord, des militants ont organisé de véritables tournées d’intimidation, réclamant les papiers des personnes de couleur la nuit dans Belfast. Partout, le même engrenage: s’autoproclamer gardiens du peuple face à un Etat défaillant.

Or, selon Gilles Favarel-Garrigues et Laurent Gayer, derrière l’apparente diversité des profils, une constante demeure. «La figure typique du justicier est un homme blanc, réactionnaire et xénophobe, soucieux de défendre ses biens et les siens. Toutefois, ce profil n’épuise pas la galerie des redresseurs de torts prêts à violer la loi pour maintenir l’ordre et défendre leur communauté. L’autojustice peut être placée au service de groupes dominés ou d’un agenda émancipateur, par exemple dans le cas des luttes féministes. Il s’agit alors moins de défendre l’ordre dominant que de se substituer à des forces de police et à une justice prenant le parti de l’oppresseur.»

Jusqu’où ces justices parallèles peuvent-elles aller avant de menacer l’Etat de droit? «Suggérer l’idée d’étendre à tous les citoyens la possibilité d’intervenir dans des enquêtes, cela me chagrine beaucoup, car je pense que les risques de dérive sont très importants», a averti l’ancien garde des Sceaux français Eric Dupond-Moretti en 2021, alors encore ministre. S’il encourageait chaque citoyen à signaler des crimes dont il a connaissance, il insistait: «Ensuite, il faut que chacun reste à sa place: je ne demande pas aux policiers ou aux magistrats d’être boulangers… Je leur demande d’être policiers ou magistrats.»

Les chercheurs Gilles Favarel-Garrigues et Laurent Gayer rappellent que l’imaginaire des adeptes du vigilantisme puise souvent dans une vision ultraréactionnaire de la société, teintée d’hygiénisme social: «En éliminant des personnes considérées comme des « parasites » ou des « déchets », ils entendent œuvrer à une prophylaxie sociale.» De la milice de quartier aux «chasseurs de migrants», la frontière est donc poreuse, c’est celle qui sépare le citoyen engagé du justicier en roue libre.

«N’importe qui avec un brin d’idéalisme, du temps libre et le cœur bien accroché peut s’y mettre.»

Les détectives amateurs se liguent sur Internet

Si, en Belgique, comme partout en Europe, l’autojustice se manifeste surtout sur le terrain, de l’autre côté de l’Atlantique elle a investi la sphère numérique. Forums spécialisés, groupes Facebook, chaînes YouTube ou podcasts dédiés: une véritable communauté d’enquêteurs amateurs en ligne, les websleuths (enquêteurs du Web), s’est développée pour élucider les crimes non résolus. Le phénomène n’est pas tout à fait nouveau: dès la fin des années 1990, des internautes se retrouvaient sur des forums électroniques pour partager des théories sur des affaires classées. L’un des premiers faits d’armes de ces «détectives du Web» reste ainsi l’identification de la Tent Girl (la fille sous la tente), un cadavre non identifié découvert en 1968 dans le Kentucky. Todd Matthews, un jeune opérateur de téléphone fasciné par l’affaire, passa des nuits sur un forum rudimentaire pour recouper les profils de femmes disparues avec le peu d’indices disponibles. Trente ans après la découverte du corps, en 1998, son obstination paya: il parvint à mettre un nom sur la victime (Barbara Ann Hackmann Taylor) et à contacter sa famille. C’était une première victoire retentissante pour la Toile.

Depuis, la culture du cold case (les affaires non résolues) s’est popularisé et des milliers d’internautes ordinaires endossent le rôle de Sherlock Holmes. «N’importe qui avec un brin d’idéalisme, du temps libre et le cœur bien accroché peut s’y mettre: une mère new-yorkaise au foyer, une caissière du Mississippi, un ex-flic et sa compagne ex-danseuse à Houston…», décrit la journaliste et vulgarisatrice scientifique américaine Deborah Halber, qui a infiltré cet univers, «formant une société souterraine de pseudodétectives qui ne se reconnaîtraient même pas s’ils se croisaient dans la rue». A la différence des vigilantes de rue, ces armchair detectives (détectives de fauteuil) n’agissent pas physiquement. Leur terrain de chasse, c’est la masse de données disponibles en ligne: articles de presse, archives judiciaires numérisées, réseaux sociaux des victimes ou suspects, et parfois bases de données publiques.

Cette intelligence collective a fait ses preuves à plusieurs reprises, attirant même l’attention des autorités. En 2018, l’arrestation du Golden State Killer, un tueur en série californien traqué depuis plus de 40 ans, doit beaucoup à la persévérance de citoyens enquêteurs. Si en dernière instance, c’est bien la police qui a formellement confondu Joseph DeAngelo grâce à son ADN, l’affaire avait été remise sous les projecteurs par les travaux d’une journaliste, Michelle McNamara, et les investigations généalogiques de volontaires sur des forums dédiés. Les autorités américaines ont dès lors commencé ces dernières années à collaborer avec des communautés d’amateurs pour identifier des victimes inconnues. Le Doe Network (réseau des anonymes), fondé par Todd Matthews, compile des centaines de fiches de John/Jane Doe (cadavres non identifiés) et de personnes disparues, permettant à des bénévoles de faire des recoupements que les services locaux n’ont pas les moyens de réaliser. Grâce à ces efforts, de nombreuses familles ont enfin pu mettre un nom sur un proche disparu.

Les websleuths excellent aussi à débusquer des indices numériques ignorés de l’enquête officielle. Lors de la disparition de la jeune Gabby Petito en 2021, une affaire ultramédiatisée, un élément clé de l’enquête a été fourni par une Youtubeuse adepte du voyage en van. Parcourant ses propres vidéos tournées dans le Grand Teton Park, Jenn Bethune réalisa qu’elle avait filmé le petit fourgon blanc de Gabby et de son fiancé sur le bord d’une route. Elle transmet aussitôt la vidéo au FBI et la publie en ligne; quelques heures plus tard, le corps de la disparue est retrouvé à proximité de l’endroit en question. Sans cela, le mystère aurait pu durer bien plus longtemps.

Là où policiers et magistrats sont soumis au respect strict de la loi, la foule en ligne agit sans garde-fous.

La face sombre du crowdsourcing criminel

Malgré ces succès, l’histoire des détectives du Web a également connu de retentissants fiascos. Le plus connu reste sans doute le dérapage du forum Reddit lors de l’attentat du marathon de Boston, en 2013. Alors que la police diffusait les photos floues de deux suspects en casquette, des milliers d’internautes se sont lancés dans une chasse à l’homme virtuelle sur la plateforme, dans un fil baptisé FindBostonBombers. En quelques heures, la foule en ligne parvient à pointer du doigt un visage particulier parmi les personnes recherchées: celui de Sunil Tripathi, un étudiant de 22 ans porté disparu depuis plusieurs semaines. L’information non vérifiée se propage comme une traînée de poudre: photo de Sunil à l’appui, des posts viraux l’accusent d’être le suspect numéro deux. Sur Facebook, la page de soutien créée par sa famille pour le retrouver est prise d’assaut par des commentaires haineux. Lorsque, dans la nuit, un policier du MIT est abattu lors de la cavale des vrais terroristes, la rumeur redouble : Sunil Tripathi est définitivement cloué au pilori numérique. Il faudra un démenti formel de la police fédérale à l’aube pour l’innocenter, trop tard. Sunil, qui s’était en réalité suicidé, restera la victime posthume d’une véritable chasse aux sorcières 2.0. Ce scandale révéla à la face du monde le danger des enquêtes participatives incontrôlées. Reddit publia des excuses officielles, les médias s’interrogèrent sur les dérives de l’«info participative», mais le mal était fait.

L’affaire de Boston n’est pas un cas isolé. Après l’attentat de Charlottesville en 2017, des enquêteurs anonymes de Twitter ont faussement identifié un homme comme suprémaciste en se basant sur une photo. Le malheureux, qui n’avait rien à voir, a subi un déferlement d’insultes, des appels à le faire licencier et la publication de son adresse personnelle. Plus récemment, le quadruple meurtre d’étudiants à Moscow (Idaho) en novembre 2022 a suscité une frénésie sur TikTok et YouTube, où certains vidéastes ont nommé des «suspects» sans aucune preuve, y compris des camarades de classe des victimes. La police locale a dû publiquement mettre en garde: «Nous demandons aux websleuths de cesser de diffuser rumeurs et désinformations, et de ne pas harceler les personnes impliquées, sous peine de poursuites pénales.»

Pourquoi de tels ratés? D’abord parce que les détectives amateurs ne sont pas tenus aux mêmes méthodes que les professionnels. Là où policiers et magistrats sont soumis au respect strict de la loi (chaîne de preuve, présomption d’innocence, etc.), la foule en ligne agit sans garde-fous. Pour le criminologue André Kuhn, la question dépasse même la technique: elle touche à la légitimité même de ces pratiques. «Lorsqu’on prétend vouloir faire respecter les règles, on commence par les respecter soi-même. Autant sur le plan étique que légal il est hautement douteux de penser que l’on peut soi-même commettre des infractions pour poursuivre et sanctionner celles commises par d’autres. Légalement parlant, nous sommes face à un phénomène de bandes organisées pour commettre des infractions. En d’autres termes, ce sont des criminels.» Un constat sévère, qui replace la discussion au cœur de l’Etat de droit: entre vigilance citoyenne et délinquance, la frontière n’est jamais aussi nette qu’on le croit.

Sur les réseaux sociaux, on trouve un soutien massif aux vidéos de «chasseurs de pédophiles» ou aux collectifs d’«antisquats».

Justice parallèle, entre nécessité et danger

Derrière la ronde de quartier ou la traque sur Reddit, la même question se pose: que faire lorsque la justice semble impuissante ou absente? Pour beaucoup, agir soi-même apparaît comme un recours légitime face à des institutions débordées ou perçues comme laxistes. «Une majorité de Français serait favorable au recours à la justice privée, qu’elle intervienne à titre individuel (vengeance) ou professionnelle (sociétés d’éviction de squatteurs)», rapporte Pierre Rancé, s’appuyant sur des sondages récents.

Sur les réseaux sociaux, on trouve un soutien massif aux vidéos de «chasseurs de pédophiles» –ces anonymes qui se font passer pour des mineurs en ligne afin de piéger des prédateurs sexuels– ou encore aux collectifs d’«antisquats» qui expulsent manu militari des occupants illégaux. Cette approbation populaire place les autorités dans une position délicate, tiraillées entre l’encouragement d’une société civile proactive et la défense des principes fondamentaux du droit. Pour Ted Bremer, expert en criminologie numérique, les policiers doivent désormais surveiller ces groupes en ligne, afin de prévenir les débordements et éventuellement cueillir des indices utiles. Mais il le répète: «Plus les détectives amateurs gagnent en influence médiatique, plus le risque de voir émerger un contre-pouvoir judiciaire informel augmente.»

In fine, autojusticier de rue et enquêteur sur le net répondent à une même crise de confiance et traduisent une attente déçue de protection et de réaction de la part des institutions. Les condamner en bloc serait simpliste, car la figure du justicier fascine les imaginaires et renvoie aussi à des valeurs positives (courage, sens moral solidarité). Mais entre l’enquête participative utile et la vendetta en ligne, il n’y a qu’un pas, celui de la responsabilité. Avec une seule certitude, si les institutions parviennent à rendre la justice de manière efficace et transparente, l’attrait de l’autojustice s’étiolera de lui-même.

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