lundi, mai 20

Moins traqué que le sucre mais tout aussi nocif, le sel est appelé à se faire plus discret dans l’assiette. Des alternatives existent mais il s’agit souvent de fausses bonnes idées.

Six ans déjà qu’il guide les choix alimentaires des consommateurs, du moins de ceux qui y prêtent attention. Depuis janvier 2024, le système d’étiquetage Nutri-Score est piloté par de nouveaux algorithmes censés mieux évaluer les qualités nutritives des produits de la grande distribution et gommer certaines incohérences. La nouvelle notation – toujours de A à E, du vert foncé au rouge vif– figurant sur les emballages des marques qui ont accepté de jouer le jeu (environ une sur quatre) prend davantage en compte les teneurs en gras, en sucre, en édulcorant et en sel.

Le sel, ce nouveau paria. Moins traqué que le sucre, il n’est plus tout à fait le bienvenu non plus dans les assiettes. L’OMS attribue à sa consommation excessive 1,9 million de décès par an à travers le monde. Ces morts représenteraient près de 10% de l’ensemble des maladies cardiovasculaires. Le sel serait également impliqué dans le développement de l’ostéoporose et du cancer de l’estomac; l’excès de sel favorise en effet l’élimination par les urines de certains minéraux, dont le calcium. Enfin, il aggraverait les symptômes de la maladie de Ménière, un trouble ORL.

Cercle vicieux

Pourquoi le sel est-il si mauvais pour les artères? Le chlorure de sodium est nécessaire à l’organisme. Il participe notamment au maintien de l’hydratation de l’organisme et à l’équilibre de la tension artérielle. Les grains sont composés de deux éléments chimiques difficilement séparables: le chlorure (60%) et le sodium (40%). C’est ce dernier qui est responsable de l’augmentation de la tension artérielle. Quand il est pompé par le cœur, le sang exerce une pression contre les parois des artères. Si la pression est trop élevée, le volume trop important de sang peut endommager les vaisseaux sanguins. Le risque est particulièrement important pour les personnes présentant un surpoids ou une obésité. On sait par ailleurs que tous les êtres humains ne sont pas égaux devant le sel, qu’il existe de nombreuses variations dans la réponse de la tension artérielle à l’apport en sodium.

Le sodium alimentaire, présent en grande quantité dans l’alimentation ultratransformée, serait aussi l’une des causes de l’explosion du nombre de cas d’obésité. Une étude australienne, relayée par la BBC, a montré que chaque gramme supplémentaire de sel consommé par un enfant était associé à une hausse de 23 % du risque de surpoids et de 15 % du risque d’obésité abdominale, indépendamment du nombre de calories ingérées. Une autre expérience, menée aux Etats-Unis, a mis en évidence que la consommation abusive de sel pourrait augmenter les fringales, comme c’est le cas avec les aliments sucrés ou gras.

«Le mécanisme est tout de même un peu différent, nuance Aurore Collignon, diététicienne en chef à l’hôpital de la Citadelle, à Liège. Il ne faut pas oublier que le sel est un exhausteur de goût. A force de manger trop salé, on va naturellement rechercher le sel dans les aliments qui en contiennent le plus, à savoir les aliments transformés comme les snacks. On entre alors dans un cercle vicieux.»

«A force de manger trop salé, on va rechercher le sel dans les aliments qui en contiennent le plus.»

Par consommation abusive, on entend plus de cinq grammes de sodium par jour (deux pour les enfants), soit un peu moins d’une cuillère à café, si l’on se réfère à la limite fixée par l’agence onusienne pour la santé. L’OMS qui plaide d’ailleurs pour une réduction de l’apport en sodium de 30 % d’ici à 2025.

Mauvais élève parmi d’autres, le Belge en consomme en moyenne dix grammes par jour. En inclinant un peu trop vite et trop fort la salière ou en consommant des aliments ultrasalés comme les chips, le pain, les condiments, certains fromages, la charcuterie et les boissons sportives, on peut rapidement dépasser le seuil conseillé. L’idéal est donc de parvenir à se passer complètement de la salière pour ne pas en ajouter encore davantage. Le bon réflexe n’est pas de bannir tous les aliments naturellement salés mais plutôt de faire des choix dans sa consommation, préconise Aurore Collignon. Manger une poignée de fruits secs chaque jour, par exemple, est réputé excellent pour la santé. A condition qu’il ne soient pas salés. A contrario, se priver de saumon fumé, dont la teneur en sel est élevée, n’est pas forcément bénéfique, étant donné qu’il est à la fois riche en acides gras polyinsaturés et pauvre en cholestérol.

Il ne faut pas bannir le sel, mais faire des choix. Ainsi, se priver de saumon fumé, dont la teneur en sel est élevée, n’est pas forcément bénéfique. © AFP via Getty Images

Conscientes que le consommateur est de plus en plus attentif à ce que contiennent les produits qu’il glisse dans son caddie, certaines marques ont diminué la quantité de sel dans leurs préparations. Et l’indiquent fièrement sur l’emballage. «Il est certainement préférable de choisir des aliments dont la teneur en sel est réduite mais on est plus dans le registre du marketing que de la véritable solution. La consommation de charcuterie, par exemple, doit de toute façon être limitée quelle que soit la teneur en sel», met en garde la diététicienne.

Faux sels, vraies promesses?

Actuellement, il n’existe aucune alternative parfaitement saine au sel de sodium. Dans la grande distribution, on trouve pourtant des produits dont le packaging laisse penser qu’ils ont moins de défauts que le sel de table. Parmi eux, le sel enrichi en iode. «Le sel iodé peut remplacer le sel traditionnel mais sur le plan de la santé, cela ne change rien étant donné qu’il s’agit toujours de sel auquel on a ajouté de l’iode.» D’autant que les carences en iode sont rares, surtout dans nos sociétés occidentales où le sel est présent sur toutes les tables.

Ces carences concernent surtout les personnes qui ne consomment aucun produit de la mer – ni poisson, ni algues – ou qui vivent dans des régions très éloignées du littoral. Ces populations risquent davantage de développer une insuffisance thyroïdienne et, dans le cas les plus graves, un goitre, un retard de croissance et une altération des facultés mentales (NDLR: d’où la référence aux «crétins des Alpes»). Les personnes ayant opté pour un régime strictement végétalien et qui souhaitent enrichir leurs plats en iode peuvent se procurer des compléments alimentaires en pharmacie, mais relativement coûteux, ou consommer davantage d’algues.

Aussi attrayants soient-ils, les sels exotiques, comme le beau sel rose de l’Himalaya, ne sont pas moins nocifs pour la santé que celui qui sert à saler les pâtes. Ce qui ne signifie pas que ces variantes soient sans intérêt. Fins ou gros, ces sels peuvent s’avérer plus riches en minéraux et oligo-éléments: fer, potassium, magnésium, zinc, phosphore,…

«Le sel iodé peut remplacer le sel traditionnel mais sur le plan de la santé, cela ne change rien.»

Pour donner une illusion de salé, le chlorure de sodium est parfois remplacé par du chlorure de potassium. Mais il s’agit d’une fausse bonne idée. Naturellement présent dans le corps, le potassium est un minéral essentiel au fonctionnement de l’organisme. Il joue un rôle dans la transmission nerveuse, la contraction musculaire, la fonction cardiaque et la sécrétion d’insuline, ainsi que dans l’équilibre acido-basique de l’organisme. Les produits à base de chlorure de potassium utilisés comme substituts au chlorure de sodium sont destinés à des patients nécessitant un régime hyposodé.

Or, leur consommation par cette population peut présenter un risque, met en garde Fanny Huret, responsable de la mission nutrivigilance à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dans un rapport sur les sels de régime à base de chlorure de potassium (2020). «Ces patients présentent souvent une hypertension artérielle, une insuffisance cardiaque, rénale ou encore un diabète, pathologies qui sont autant de facteurs de risque d’anomalie de la kaliémie (NDLR: taux de potassium dans le sang), directement – dû fait de la maladie elle-même ou de ses complications – ou indirectement (effets secondaires des traitements). Pour ces personnes, la consommation de ces sels de substitution peut venir aggraver une situation d’hyperkaliémie, avec des risques potentiellement élevés pour la santé.»

Légendes alimentaires

Autre exhausteur de goût qui a plutôt mauvaise réputation: le glutamate monosodique. Cet additif alimentaire est très utilisé dans la cuisine asiatique, notamment dans la sauce soja, mais on le retrouve également dans des préparations proposées par l’industrie agroalimentaire. Le glutamate est présent naturellement dans le système nerveux, ainsi que dans certains aliments. Il est à l’origine de l’umami, la cinquième saveur. Quand il est ajouté dans l’alimentation pour saler les plats, on parle alors de glutamate monosodique. L’exhausteur de goût est souvent accusé d’être impliqué dans certaines maladies neurodégénératives, de favoriser la sclérose en plaques, l’obésité et le diabète.

Certaines personnes peuvent effectivement présenter une sensibilité particulière au glutamate – le fameux «syndrome du restaurant chinois» – mais les études existantes n’ont pas livré la preuve qu’il soit impliqué dans le développement de pathologies graves. «Depuis 30 ans, toutes sortes de désinformations circulent à propos de cet additif, rétablit Laurence Ris, cheffe du service de neuroscience à la faculté de médecine de l’Université de Mons, interrogée en mars 2023 par l’AFP. Il y a eu toute une série de recherches réalisées sur des animaux, avec des doses très hautes, pour savoir si le glutamate qu’on mange pouvait arriver dans le cerveau. Il faudrait manger une quantité considérable de glutamate pur pour que cela arrive.»

Dernier arrivé sur le marché, le sel de Posidonia, du nom de la start-up belge qui le fabrique. Présenté sous forme liquide, il contient 25% de sodium en moins que le sel marin cristallisé tout en offrant le même goût. Il est déjà présent dans la plupart des pains produits en Belgique par les grandes enseignes, ainsi que dans quelques cantines collectives.

En attendant qu’une étude vienne confirmer ou infirmer les bienfaits de cette trouvaille, le seul moyen de réduire progressivement sa consommation de sel est de se rabattre sur les herbes aromatiques, le citron, le vinaigre ou encore les graines germées. Et de faire preuve de patience. Au bout de trois semaines, en moyenne, l’organisme parvient à s’accommode de cette privation.

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