vendredi, avril 11

Bien entendre n’est pas un luxe. Avec ou sans équipement auditif, une bonne ouïe conditionne l’état du cerveau, et une place sociale. Mais en Belgique, les appareils coûtent cher.

C’est une Barbie aux longs cheveux bruns rassemblés en une queue de cheval qu’elle porte haut sur la tête. Son sourire plastifié, dessiné en rose, est de la même couleur que… ses prothèses auditives. Cela n’a rien d’étonnant: depuis quelques années, les Barbie ne se veulent-elles pas le reflet du monde? Donc de tous ceux qui entendent moins bien et qui corrigent cette difficulté en glissant autour de leurs oreilles ces discrets amplificateurs de son. En Belgique, c’était le cas d’environ 455.000 personnes en 2020, selon le KCE, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé. Parmi les plus de 60 ans, plus de la moitié souffrent d’un déficit auditif. Au-dessus de 70 ans, le taux avoisinerait les 80%. Mais parmi ceux qui devraient porter des prothèses, seuls 30% le font. Ces petits appareils restent symboliquement associés à la vieillesse, voilà pourquoi bon nombre refusent d’y penser. D’ailleurs, entre cinq et dix ans, en moyenne, s’écoulent entre le moment où l’on prend conscience d’une ouïe déficiente et l’achat de prothèses auditives. Or, plus tôt le problème est pris en compte et mieux la perte d’audition peut être corrigée. Avec de vraies répercussions sur la qualité de vie des principaux concernés.

En raison du vieillissement de la population, le nombre de personnes en difficulté auditive et le secteur économique afférent ne font que croître. En 2023, l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami) est intervenu dans l’achat de 69.634 appareillages, soit une augmentation de 9,4% par rapport à 2022, et de plus de 18,3% comparé à 2019.

En chiffres

30% seulement des personnes qui doivent en porter le font.
1.000 à 5.000 euros, le prix d’un appareil stéréophonique.
1.604 euros, l’intervention de l’Inami, une fois tous les cinq ans, pour les plus de 65 ans.
1.000 à 2.500 euros, les suppléments à prévoir.

Outre l’appréhension que d’aucuns éprouvent à l’idée de s’appareiller de la sorte, le prix de ces prothèses a de quoi refroidir: si les appareils les moins onéreux coûtent moins de 1.000 euros, presque entièrement pris en charge par la sécurité sociale, on en trouve jusqu’à plus de 5.000 euros. L’Inami intervient à raison de 1.604 euros pour un appareil stéréophonique placé chez un patient de plus de 65 ans, à raison d’une fois tous les cinq ans. En 2020, résumait l’Observatoire des prix, l’assurance soins de santé remboursait une part comprise entre 800 et 1.375 euros pour un appareil destiné à un senior. Ce remboursement est fonction de plusieurs critères: la perte auditive pour laquelle une prothèse est nécessaire doit être de 35 décibels (dB) au moins; il doit procurer un gain d’audition d’au moins 5 dB et il doit figurer sur la liste des appareils auditifs remboursables par l’Inami. Enfin, l’appareil doit avoir été acheté chez un audicien agréé. Si ce dernier n’est pas conventionné, le remboursement sera réduit de 25%. L’intervention de la sécurité sociale dépendra aussi de l’âge du patient (moins de 18 ans, 18-65 ans ou plus de 65 ans) et de l’équipement, prévu pour une ou deux oreilles.

«Il est urgent d’encadrer les prix.» Et de proposer une facture transparente.

L’audicien en cause?

Malgré l’intervention de l’Inami, la facture reste plutôt salée, surtout pour ceux qui disposent de revenus modestes. Il existe donc un risque réel que certains renoncent à s’appareiller pour une question financière. «Selon le Baromètre de la consommation réalisé par testachats en 2024, 37% des personnes interrogées éprouvent des difficultés à financer leurs lunettes, leurs appareils auditifs ou d’autres soins médicaux. «Il est urgent d’encadrer les prix afin que les appareils auditifs soient accessibles à toutes et tous», juge le député socialiste Patrick Prévot.

A vrai dire, le prix des aides auditives ne comprend pas seulement le coût de l’appareil mais aussi l’intervention d’un audicien qui assure les réglages, l’entretien et le suivi des patients pendant cinq ans. Or, jusqu’à présent, ces postes ne sont pas distingués sur la facture du patient, qui ignore donc ce que coûtent son appareil et les prestations de l’audicien. «Tant qu’aucune distinction n’est opérée entre ces différentes composantes, souligne Gauthier Vandeleene, attaché au service d’études de la Mutualité chrétienne (MC), le système de l’assurance maladie-invalidité ne peut pas les prendre en charge de façon différenciée.» Depuis cinq ans, des discussions ont lieu au sein de l’Inami pour obtenir davantage de transparence sur cette facture. Sans que cela n’aboutisse, pour l’instant.

Outre le ticket modérateur (la part du coût non pris en charge par la mutuelle), le patient doit aussi s’acquitter de suppléments (pour 75% des appareils), rarement précisés. Selon une étude de la MC de 2022, ces suppléments se chiffrent entre 1.000 et 2.500 euros par patient, avec de fortes variations d’une province à l’autre.

Barbie porte fièrement ses prothèses auditives. Preuve qu’elles ne sont pas synonymes de vieillesse. © DR/MATTEL

Enfin, selon la complexité technologique de l’appareil choisi, le prix sera plus ou moins élevé. Le recours aux prothèses les plus sophistiquées, et donc les plus coûteuses, s’observe nettement plus en Flandre qu’ailleurs dans le pays alors que la pyramide des âges y est sensiblement la même. Selon une étude du KCE menée en 2008, 60% des appareils auditifs à prix élevé étaient vendus en Flandre, pour 20% en Wallonie. A Bruxelles, les prothèses les plus vendues sont celles qui affichent un prix bas ou moyen.

«Un audicien a la responsabilité d’informer clairement le patient sur la détermination du prix, y compris la part personnelle et les éventuels suppléments, rappelle-t-on à l’Inami. Les audiciens ont l’obligation de proposer aux clients un appareil performant entièrement remboursé ou presque par la sécurité sociale, sauf lorsqu’un prix plus élevé est justifié par les caractéristiques de l’appareil auditif. C’est implicitement dit dans la Convention entre les audiciens et les mutuelles. Les patients ne doivent pas être incités à choisir un appareil plus cher. Mais notre expérience montre qu’une « aide auditive de base » en matière de remboursement n’est souvent pas proposée aux patients.»

Appareils auditifs: 99 millions d’euros

D’année en année, le montant que l’Inami consacre au remboursement de ces appareils ne cesse d’augmenter: 67,77 millions d’euros en 2020, 99,45 millions en 2023. Une évolution logique au vu du vieillissement de la population mais une facture qui s’alourdit aussi du fait du fonctionnement de ce marché particulier en Belgique.

Il suffit en effet de passer la frontière pour découvrir que les mêmes appareils auditifs sont vendus beaucoup moins cher en France. «Là-bas, détaille le député Patrick Prévot, on trouve un large éventail de prothèses qui ne coûtent rien aux patients, grâce aux financements de l’assurance publique et complémentaire et à l’existence d’un prix limite de vente.» Les marges bénéficiaires des audioprothésistes y sont aussi inférieures (environ 25%) à celles pratiquées en Belgique (50% à 60%). Enfin, les volumes de vente, plus importants qu’en Belgique, permettent de négocier des tarifs plus avantageux avec les fabricants.

Acheter un appareil auditif en France n’implique pas de perdre le remboursement par la sécurité sociale belge. A condition de se rendre chez un audicien agréé (mais non conventionné puisqu’il faudrait alors qu’il exerce en Belgique) et que l’appareil choisi figure sur la liste des appareils remboursables. Ce remboursement sera toutefois plus faible que pour un achat en Belgique.

Il suffit de passer la frontière pour découvrir que les mêmes appareils sont vendus beaucoup moins cher en France.

L’étude comparative du KCE de 2008 pointait aussi les prix pratiqués en Belgique. Même s’il faut nuancer ces chiffres car le montant peut ne pas recouvrir les mêmes services d’un pays à l’autre. Toutefois, 37 des 46 appareils recensés coûtaient plus cher en Belgique qu’ailleurs. Ainsi, comparé au Danemark, où le taux de propriété d’appareils auditifs –53%– est le plus élevé en Europe, et où les services des audiciens sont comparables à ce qui s’observe chez nous, neuf produits sur dix étaient plus onéreux en Belgique, de l’ordre de 61% à 125% de plus.

En Belgique, le ministre de l’Economie contrôle et encadre pourtant les prix de tous les nouveaux appareils proposés sur le marché en fixant un tarif maximal –non rendu public– pour chacune de ces quelques 2.000 «machines». Selon l’Observatoire des prix, ce prix maximal équivaudrait en moyenne à la moitié du prix demandé au consommateur. Pour établir ce seuil à ne pas dépasser, l’autorité publique examine l’effet de ces nouveaux appareils sur la qualité de vie des patients, leur efficacité, leur facilité d’utilisation, etc. Mais seuls les importateurs de produits en gros sont concernés par cette régulation: les prix des détaillants, eux, ne sont pas encadrés. «L’impact de cette réglementation sur l’évolution des prix à la consommation semble faible», relève pudiquement l’Observatoire des prix.

La concurrence entre les acteurs sur ce marché particulier ne paraît pas non plus favoriser particulièrement l’acheteur final. En 2020, toujours selon l’Observatoire des prix, plus de 90% des importations d’appareils auditifs étaient le fait de cinq entreprises seulement, dont certaines sont également actives dans la vente de détail. «Dans les pays qui achètent des appareils auditifs par le biais d’appels d’offres publics, comme le Danemark ou le Royaume-Uni, souligne le KCE, les prix de détail sont plus bas que ceux observés en Belgique.»

«Si vous ne sollicitez pas votre audition, ce n’est pas l’oreille qui dépérit, c’est le cerveau.»

Des conséquences en cascade

Si la question des appareils acoustiques est économique et budgétaire, elle relève aussi d’une politique de santé publique. Car la déficience auditive, la difficulté à suivre une conversation ou à entendre les bruits de la vie quotidienne, affectent la qualité d’existence des patients, notamment l’apprentissage, l’emploi et la vie sociale. Les personnes malentendantes encourent aussi un risque accru d’isolement social, de dépression, voire de démence. Entre 4% et 8% des cas de maladies d’Alzheimer seraient attribuables à une diminution de l’audition. Diverses études, dont un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), confirment que les burnouts et troubles neurocognitifs menacent davantage les moins entendants, plus vite déclarés en incapacité de travail. «Si vous ne sollicitez pas votre audition, ce n’est pas l’oreille qui dépérit, c’est le cerveau », résumait l’ORL Laurent Tardivet dans les colonnes du journal Le Monde.

Or, dans sa Déclaration de politique générale (DPG), le gouvernement fédéral n’a pas prévu d’intervenir sur ce plan, par exemple pour élargir le remboursement des aides auditives. Le dernier changement en la matière date de 2023, lorsqu’à l’initiative du socialiste Patrick Prévot, le Parlement avait voté à l’unanimité l’abaissement du seuil de perte auditive donnant accès au remboursement des appareils de 40 à 35 dB. Plusieurs milliers de personnes atteintes de presbyacousie, cette perte auditive due au vieillissement, pouvaient dès lors prétendre à un remboursement de la sécurité sociale. Un budget de 3,05 millions d’euros avait été débloqué à cette fin.

Du côté des mutuelles, on suggère de négocier le prix des appareils à l’échelon européen pour réguler le marché et réduire les coûts pour les patients. Chez Solidaris, on évoque une réflexion à mener sur les marges bénéficiaires des vendeurs. Au sein de la Commission de convention audiciens-organismes assureurs de l’Inami, on parle du souhait d’améliorer encore l’accessibilité aux soins auditifs en supprimant la différence de remboursement entre les groupes cibles 18-65 ans et 65+. Une autre piste consisterait à abaisser la perte auditive minimale constatée pour avoir accès à des aides auditives: il ne faudrait plus qu’elle s’élève à 35 dB mais à 30, pour toutes les catégories d’âges. Mais pour cela, des ressources budgétaires supplémentaires devraient être dégagées. Comme derrière les oreilles…

 

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