Le prix du café atteint des records à l’échelle mondiale. La majorité des torréfacteurs belges sont forcés de répercuter cette augmentation sur leurs clients. Dans les rayons des supermarchés, les dosettes et le café moulu deviendront-ils bientôt des produits de luxe?
Une augmentation de 185% en 18 mois. Telle est la courbe folle du cours de l’arabica à la bourse, qui flirte avec les quatre dollars la livre depuis la mi-mars. Du jamais vu en 50 ans. «Les prix du café ont atteint des niveaux historiques et restent exceptionnellement élevés», confirme Petty De Sloovere, secrétaire générale de la fédération belge KOFFIECAFE.
La hausse de ce nouvel or noir à l’international puise sa source dans plusieurs facteurs concomitants. A commencer par le changement climatique, qui affecte sévèrement le sud de la ceinture équatoriale, où sont récoltés la majorité des grains de café vert (avant torréfaction). Le Brésil, qui représente un tiers de la production mondiale de café, a notamment connu des conditions météorologiques défavorables –tantôt trop pluvieuses, tantôt trop sèches– ces dernières années. La hausse des températures dans les zones de culture favorise en outre la propagation des maladies fongiques, comme la rouille du caféier. Résultat: les récoltes y sont inférieures aux attentes. Alors que ces dérèglements ne devraient pas se résorber, la crainte d’une nouvelle baisse de la production en 2025 alerte l’ensemble de la filière. D’autant que face aux maigres récoltes, les producteurs (ou leurs enfants) sont de plus en plus nombreux à quitter leurs plantations pour s’installer en ville ou se reconvertir dans d’autres secteurs. «Cet exode rural des jeunes générations raréfie encore davantage la mise à disposition de matière sur le marché», observe Christophe Deharre, marketing manager chez Café Liegeois.
L’engouement des investisseurs
La pénurie actuelle et les incertitudes sur l’offre future dopent logiquement la spéculation. «Les investisseurs considèrent aujourd’hui le café comme un placement attractif», observe Petty De Sloovere. Cette tendance entraîne une augmentation de la demande de contrats à terme et une pression supplémentaire sur les prix pour les torréfacteurs. «C’est un vrai souci, car ça dérégule complètement le marché, déplore Christophe Deharre. Aujourd’hui, le café est devenu la bourse la plus spéculative après le pétrole.»
En réponse à cette spéculation, de nombreux producteurs stockent leurs réserves, dans l’attente d’une nouvelle hausse des prix, ce qui accentue encore la rareté des produits sur le marché. «Combinée à une demande croissante de nouveaux publics, comme les Chinois et les Indiens qui se mettent aujourd’hui à boire du café, l’offre mondiale ne suit tout simplement plus», analyse François Delahaut, administrateur des Cafés Delahaut.
La Belgique, troisième plus grand importateur de café vert en Europe, subit évidemment cette crise de plein fouet. La hausse des prix a un impact sur l’ensemble de la chaîne, à commencer par les torréfacteurs. «On a ressenti cette augmentation principalement pour les grains utilisés dans nos mélanges de café, qu’on appelle les blends, explique Benoît Desmaretz, confondateur de la torréfaction bruxelloise Boo. Alors que, cet été, on les achetait à environ 7 ou 7,50 euros le kilo au Brésil, on ne trouve aujourd’hui plus rien en dessous de 10 euros.» Une flambée des coûts «qui fait mal» à la jeune marque, lancée il y a à peine huit mois. «En tant que nouveaux venus sur le marché, on misait surtout sur nos prix –globalement plus compétitifs que la concurrence– pour démarcher des clients», poursuit Benoît Desmaretz. Une stratégie qui s’est heurtée aux nouvelles réalités financières. A contre-cœur, Boo a ainsi décidé d’augmenter ses prix début février, passant de 22 euros à 25 euros le kilo pour son café de base. «Ça a fait l’objet de beaucoup de discussions avec mon associé, explique le torréfacteur. On a réfléchi à d’autres possibilités, mais nos stocks diminuant à vue d’œil, on a été forçés de prendre cette décision pour rentrer dans nos frais.»
Café: le bras de fer avec les supermarchés
Pour les propriétaires de coffee shops, l’impact se fait également ressentir, dans une moindre mesure. Contrairement aux torréfacteurs, ces commerçants vendent «principalement des boissons (du café préparé), souvent avec du lait et d’autres ajouts, rappelle Petty De Sloovere. Par conséquent, l’augmentation du prix du café a un effet légèrement moins direct sur leur produit final.» Mais la situation reste malgré tout délicate. «Mon fournisseur principal a malheureusement augmenté ses prix en janvier», relate Chloé Maquet, fondatrice de Tulipe Specialty Coffee, implanté à Montgomery. Une hausse que la gérante, qui s’est lancée en juillet, a pour l’instant décidé de ne pas répercuter sur ses clients. «Je viens à peine d’ouvrir, donc ça aurait été un mauvais signal. Et puis j’étais déjà relativement chère par rapport au reste du marché. Ça a clairement rongé ma marge, mais j’en assume aujourd’hui les conséquences».
Les acteurs bien installés sur le marché, eux aussi, ne sont pas insensibles aux effets de la crise. Début février, les Cafés Delahaut, institution namuroise depuis 1864, ont également décidé de revoir leurs prix à la hausse, d’environ 3 euros supplémentaires par kilo. «On n’avait jamais augmenté autant en une seule fois, donc la décision a été assez terrifiante à prendre, reconnaît François Delahaut. Mais c’était inévitable pour continuer à couvrir nos coûts et payer dignement nos collaborateurs, sans céder à la tentation d’acheter des grains de qualité inférieure.» Même son de cloche du côté de Café Liégeois, qui a été contraint d’augmenter ses prix en janvier.
Dans les supermarchés, le prix des dosettes et du café moulu a également augmenté de 29% en 3 ans, selon Testachats. Rien qu’en février, l’inflation sur l’or noir a atteint 9% dans les rayons. Pourtant, la grande distribution est généralement très exigeante dans ses relations avec les torréfacteurs. Café Liégois, qui commercialise sa marque Charles Liégeois et fournit les grandes chaînes en Private Label, en a fait les frais. «Les négociations sont toujours extrêmement tendues avec les supermarchés, qui comprennent rarement nos réalités, regrette Christophe Deharre. Or, nos marges y sont ridicules. Augmenter nos prix, c’est une question de survie, pas de bénéfices.» Les contrats se négociant annuellement, la volatilité actuelle des prix plonge d’autant plus les torréfacteurs dans la précarité. Les contrats pour l’année 2024 ont d’ailleurs seulement été bouclés en février 2025, après plusieurs menaces de cessation de livraisons.
«Beaucoup s’y attendaient»
Pour faire comprendre l’augmentation de leur prix, les entreprises misent généralement sur une communication transparente. Tant à destination des particuliers, en magasin ou via les réseaux sociaux, que des professionnels. «Je suis allé voir un par un les clients que je fournis, plutôt que de leur annoncer notre décision par mail ou par téléphone, relate Benoît Desmaretz. En leur détaillant nos chiffres et nos difficultés, la nouvelle est mieux passée. Et puis, beaucoup s’y attendaient.» Un choix également payant pour les Cafés Delahaut: «Les client comprennent qu’il devront continuer à mettre le prix pour conserver une certaine qualité. On n’a d’ailleurs pas vu de diminution dans nos ventes, ce qui est vraiment rassurant.»
Enfin, les torréfacteurs appellent également à relativiser cette augmentation de prix. «Il faut ramener ça au prix de la tasse, insiste Christophe Deharre. Avec un kilo de café, on peut faire entre 120 et 140 tasses. Une augmentation de trois ou cinq euros le kilo représente donc à peine une hausse de 3 ou 4 centimes la tasse. Ce n’est pas grand chose pour garantir de meilleures conditions aux producteurs.» Globalement, la filière rassure: le café ne va pas devenir un produit réservé aux riches. «S’offrir un café de qualité reste bien plus abordable qu’un verre de vin, voire un coca, insiste François Delahaut. Ce n’est pas un produit de luxe.» Après l’eau, le café (comme le thé) reste en effet la boisson la moins chère sur le marché.