jeudi, décembre 12

Les revenus ont augmenté ces dernières années, sans pour autant que la satisfaction par rapport au travail suive la même courbe ascendante. «Se focaliser sur le seul revenu est dépassé», estime Frederic Vermeulen, professeur d’économie.

En moyenne, le Belge gagne 4.318 euros brut par mois. Quant au salaire médian, il est de 3.850 euros. Ces montants ont fortement augmenté ces dernières années, y compris chez les plus hauts niveaux de revenus. C’est ce que montre le baromètre des salaires de Jobat, auquel 62.000 personnes ont participé cette année. Mais dans le même temps, de plus en plus de personnes expriment leur insatisfaction par rapport à leur travail et à leur salaire. L’année dernière, 61% des personnes interrogées avaient déclaré être satisfaites par leur situation professionnelle, tandis que cette année, elles ne sont plus que 55%.

Cette baisse de la satisfaction est-elle due à notre grande sensibilité à l’inflation? Même si nous commençons à gagner plus, des prix de plus en plus élevés peuvent-ils influencer notre humeur?

Frederic Vermeulen, professeur d’économie à la KULeuven: C’est très difficile à dire, car l’impact de l’inflation varie beaucoup d’une personne à l’autre. C’est ce que nous apprennent les enquêtes sur les budgets des ménages. Il y a aussi bien des pauvres que des riches qui souffrent de l’inflation, mais il y a aussi des pauvres et des riches qui sont beaucoup moins touchés. Les fluctuations sont plus importantes qu’on ne le pense, et cela tient aux habitudes de consommation des gens. Il y a des personnes qui dépensent beaucoup plus d’argent pour l’énergie que d’autres, ou qui ont un régime alimentaire dont les prix des produits qu’ils consomment ont beaucoup augmenté.

Comment se fait-il que certaines personnes se disent plus insatisfaites qu’auparavant alors que leur salaire a augmenté?

Il s’agit d’un bon exemple du paradoxe d’Easterlin, du nom de l’économiste Richard Easterlin. Dans différents pays, on observe clairement une corrélation entre le revenu et le bonheur: plus le revenu est élevé, plus les gens sont heureux. Au sein d’un même pays, on observe la même corrélation chez les personnes en particulier: une personne ayant un revenu plus élevé est, en moyenne, plus heureuse qu’une personne gagnant moins d’argent. Le paradoxe, c’est que si l’on compare les pays dans le temps, on ne constate pas cette corrélation. Ce n’est pas parce que le revenu d’un pays et de ses habitants augmente au fil du temps que ces personnes deviennent nécessairement plus heureuses. Pour en revenir aux chiffres de l’étude, ce n’est pas parce que les gens ont vu leur revenu augmenter qu’ils sont nécessairement plus heureux. Ils s’habituent à un niveau de vie plus élevé.

Et ils deviennent même encore plus malheureux. La pensée décliniste peut-elle expliquer ce phénomène? Pour l’instant, nous gagnons tous de mieux en mieux notre vie, mais de sombres nuages pèsent sur l’économie, et aussi sur le moral…

Regardez les élections aux États-Unis. Les chiffres montrent que l’économie s’est bien portée sous Joe Biden, alors que la perception de nombreuses personnes était complètement différente. Je peux imaginer que les gens ont peur de l’avenir, et je dois avouer que c’est pareil pour moi. L’impact du changement climatique ou les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient sont également source d’anxiété.

Selon vous, quelle doit être l’importance de la rémunération pour être satisfait au travail?

Il y a bien d’autres facteurs que celui-là qui entrent en compte, comme l’autonomie dont les gens disposent dans leur travail. Plus ils sont autonomes dans leurs décisions, plus leur bien-être croît. Les personnes qui peuvent organiser leur emploi du temps elles-mêmes font état d’un plus grand bien-être que les personnes qui ne disposent d’aucune autonomie.

Pour de nombreuses personnes, d’autres facteurs deviennent-ils progressivement plus importants, comme le temps libre?

En effet. Je n’ai pas fait de recherches à ce sujet, mais nous constatons que certaines générations voient les choses différemment. Les Millenials, par exemple, accordent peut-être moins d’importance à l’argent que les gens de ma génération. Depuis la crise financière, la qualité de vie est plus importante pour eux.

Il y a quelques années, vous avez coécrit un livre sur ce que c’est d’être heureux. Qu’en avez-vous retenu du notre rapport au bonheur et à l’argent?

Se focaliser sur le seul revenu est dépassé. D’autres facteurs déterminant notre bonheur sont aujourd’hui mieux pris en compte, y compris par les politiques, comme l’accès aux soins de santé et à un logement de qualité. Le revenu n’est finalement qu’une facette de la question, il ne dit pas tout.

Mais beaucoup de personnes pauvres sont-elles encore heureuses?

Certainement. Il y a même des gens qui ont peu d’argent, qui sont en mauvaise santé et qui sont heureux. D’un autre côté, il y a aussi des gens riches et qui n’ont pas de problèmes de santé qui ne sont pas heureux. Généralement, le bonheur augmente avec le revenu, mais ce n’est pas toujours le cas.

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