Une dispute en public peut créer un gros malaise, certainement auprès des personnes qui y assistent. Mais les principaux protagonistes, ceux qui s’enguirlandent, ont parfois des raisons de prendre des «spectateurs» à partie. Explications.
Une dispute en public. Chacun peut se faire une idée de la scène. Un couple, ou des collègues, voire des amis se crêpent le chignon devant d’autres personnes. Et forcément, l’altercation crée le malaise. Certaines personnes regarderont leurs chaussures, priant pour que l’orage passe au plus vite, tandis que d’autres monteront sur le ring. Ou, dans le meilleur des cas, contribueront à désamorcer la querelle et à en sortir par le haut.
Bien des cas de figure peuvent survenir, celui du couple se déchirant autour de la table familiale, pourquoi pas à l’occasion des fêtes de fin d’année, étant peut-être l’exemple le plus évocateur. La situation se présente-t-elle régulièrement? «Je ne dispose pas de données scientifiques précises sur le sujet, mais je dirais que la dispute en public n’est pas si récurrente qu’on peut le penser», tempère Sarah Galdiolo. En effet, explique la professeure de psychologie clinique à l’UMONS, «selon différentes études, environ un couple sur trois se trouve en difficulté. Or, si on fait le compte, on ne connaît sans doute pas une telle proportion de couples autour de nous qui se disputent en public. Le fait est que, lorsque la situation survient, cela marque les esprits.»
Au demeurant, ajoute la psychologue Delphine Landenne, la dispute en public, a fortiori la dispute en général, ne doit pas nécessairement être perçue comme grave dans tous les cas. «Certains couples se disputent en permanence, d’autres une fois par mois, d’autres encore deux fois par an. Mais ce n’est pas nécessairement révélateur d’un problème profond, la dispute pouvant même faire avancer le couple, lorsque c’est constructif.» A l’inverse, l’absence totale de dispute (ouverte) peut aussi être le signe de dysfonctionnements, explique la psychologue.
Il existe bien entendu quelques «cas extrêmes, mais qui restent l’exception», comme l’indique Patrick De Neuter, psychothérapeute et professeur émérite de psychopathologie du couple à l’UCLouvain. On peut spontanément songer à la figure du pervers narcissique, un concept parfois galvaudé, cependant. «Le pervers narcissique n’est pas scientifiquement bien établi, indique Sarah Galdiolo. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas des personnalités problématiques, avec des niveaux d’empathie plus faibles, une prise de pouvoir sur l’autre, des formes de violence et d’écrasement. Ce sont alors des aspects très unidirectionnels, qui restent moins fréquents que les situations de bidirectionnalité. La plupart du temps, dans les couples en souffrance, des formes d’agressivité peuvent venir des deux côtés, qu’il s’agisse d’agressivité directe ou passive.» Pour autant, insiste Sarah Galdiolo, il ne faut pas minimiser la souffrance des personnes victimes de partenaires véritablement problématiques.
«On ne se dispute pas devant n’importe qui. On utilise la présence symbolique de l’autre, on cherche des appuis.»
Concernant la question de la dispute en public, une des questions qui se posent est celle du «pourquoi»? Que recherchent les personnes qui s’engagent dans ce type de conflit, en présence de tiers, en quelque sorte?
Parce qu’il existe des personnes plus impulsives
«Le premier facteur est individuel et relève de la capacité d’inhibition sociale», explique Sarah Galdiolo. En d’autres termes, «il existe des personnes plus ou moins impulsives» et cela peut varier selon le moment et le contexte, ajoute Delphine Landenne. Certaines personnes éprouveront plus de difficultés à contenir leurs émotions ou auront plus que d’autres tendance à s’exposer. «Cela ne signifie pas que des personnes peu impulsives n’entreront pas en conflit. Cela peut péter dans la voiture au retour du dîner, par exemple.»
L’environnement, voire l’éducation peuvent également intervenir, suggère la psychologue liégeoise. Une personne ayant grandi dans une famille où le conflit ouvert est récurrent verra moins de difficulté à vivre une dispute en public. Le contexte importe, naturellement, la querelle pouvant plus ou moins éclater selon que l’on se trouve dans un environnement familial, professionnel, social ou autre.
Parce qu’on s’influence mutuellement
A propos des couples, en particulier, un deuxième facteur pèse dans la balance. Il s’agit, selon Sarah Galdiolo, du niveau de synchronisation entre les personnes. Il arrive qu’un comportement spécifique chez un membre du couple entraîne rapidement un comportement similaire chez l’autre membre, y compris lorsque les émotions sont négatives. «Un couple fortement synchronisé sur le plan comportemental, émotionnel et même physiologique (au niveau du rythme cardiaque par exemple).»
Parce qu’on cherche du soutien
Un autre facteur, ensuite, est directement lié à la nature même de la dispute en public. Si le conflit se déroule devant d’autres personnes, c’est précisément parce qu’un protagoniste cherche à prendre les tiers à partie, en recherchant «une forme d’acquiescement», comme le formule Sarah Galdiolo. «Ainsi, on ne se dispute pas devant n’importe qui. On utilise la présence symbolique de l’autre, on cherche des appuis.» Une amie, des parents, un frère ou une sœur peuvent alors être placés dans ce rôle, par la personne qui cherche la validation. Là, le lien des personnes présentes avec celles qui sont en dispute est évidemment déterminant.
Parce qu’on veut se singulariser
Selon Patrick De Neuter, «l’idée est alors de chercher un appui dans le public, voire un juge, par rapport à un choix, une position, une opinion». Au sein de certains couples, il peut même s’agir d’une façon de marquer sa différence, de signifier aux autres qu’on se singularise par rapport à sa moitié, qu’on ne partage pas le même point de vue, que le couple ne forme pas une entité parfaitement homogène.
«Je différencierais le conflit d’idées et le conflit relevant de la vie amoureuse ou sexuelle. Les deux sont de natures différentes. Par conflit d’idées, je pense par exemple aux opinions politiques, à des sujets tels que le conflit israélo-palestinien, l’écologie, etc.», illustre encore Patrick De Neuter.
Pour les spectateurs, une question subsiste cependant: comment réagir? Entre le silence gêné et l’intervention, il peut être difficile de trouver un équilibre, d’autant plus lorsqu’on ne veut pas donner l’impression de prendre parti.
Libre à chacun d’intervenir, au risque d’alimenter l’escalade. En fonction des situations particulières, tant Patrick De Neuter que Delphine Landenne et Sarah Galdiolo recommandent une forme de transparence par rapport au malaise ressenti. «Mentionner le fait qu’on se sent mal à l’aise est peut-être le plus sain. Cela ne nous concerne pas, nous n’avons pas à assister à cette dispute en public, il serait peut-être préférable de voir cela avec une personne apte à aider le couple, etc.», suggère cette dernière.
«Plusieurs formules sont possibles. Vous pouvez évoquer la trêve de Noël, sous forme de trait d’humour, ou inviter à passer au dessert, voire recommander une discussion constructive à un moment plus approprié», recommande Patrick De Neuter. Mais une dispute devant la belle-famille n’est pas tout à fait comparable à une engueulade au bureau. «Tout dépend du contexte. Au travail, un chef d’équipe ou la direction devrait peut-être prendre de la hauteur et mettre fin au conflit d’initiative», explique Delphine Landenne, alors que des sujets sensibles autour de la table familiale ou lors d’une soirée entre amis demanderont sans doute d’autres attitudes.















