Le cancer colorectal est-il une maladie infectieuse chronique? Les probiotiques sont-ils bénéfiques? Et pourquoi le nombre de jeunes patients augmente-t-il? L’expert Luc Colemont partage les dernières découvertes sur une maladie qui cause encore trop de victimes évitables.
L’attention médiatique autour de patients célèbres atteints d’un cancer colorectal, comme récemment l’acteur de Dawson’s Creek, James Van Der Beek (47 ans), donne l’impression que de plus en plus de quadragénaires et même de trentenaires reçoivent ce diagnostic. Est-ce réellement le cas?
Les chiffres du Registre belge du cancer ne montrent pas encore d’augmentation significative dans le groupe des patients plus jeunes, mais des études menées dans certains pays européens prévoient une tendance à la hausse. Aux États-Unis ou encore en Australie, cette augmentation est déjà observable.
«Ce n’est qu’une question de temps avant que cela devienne également notre réalité», avertit le Dr Luc Colemont, fondateur de l’ASBL Stop Cancer Côlon, dans son nouveau livre De Grote Boodschap (Le grand message, non traduit). «Nous faisons face à une avalanche de cancers colorectaux, non seulement à cause du vieillissement de la population, mais aussi en raison du rajeunissement de cette maladie. Allons-nous vraiment attendre que les chiffres se confirment dans les prochaines années?»
Luc Colemont a fait de la sensibilisation et de l’information sur l’importance du dépistage son combat de vie. Comme la maladie touche davantage de patients plus jeunes, l’expert plaide pour abaisser l’âge de dépistage à 45 ans, comme c’est déjà le cas aux États-Unis et en Australie. «Nous observons de plus en plus de polypes chez les jeunes adultes. Si nous les retirons à temps, le cancer colorectal n’a aucune chance de se développer. Certaines entreprises proposent déjà un test de dépistage gratuit à leurs employés dès l’âge de 45 ans.»
Depuis des années, des indications démontrent que l’utilisation régulière de faibles doses d’aspirine réduit le risque de cancer colorectal.
Comment expliquer cette hausse de cancers colorectaux chez des patients plus jeunes?
Nous ne connaissons pas la cause exacte. Est-ce lié à l’alimentation, à l’activité physique, à la pollution de l’air, aux microplastiques ou aux changements dans la flore intestinale? Le cancer colorectal est une maladie complexe. Il est probable que l’évolution du mode de vie joue un rôle important. Les jeunes sont plus sédentaires et consomment davantage de fast-food. Il y a dix ans, les livreurs Deliveroo n’existaient pas encore ; aujourd’hui, ils font partie intégrante de notre quotidien.
Pourquoi un dépistage n’est-il plus organisé pour les personnes de plus de 74 ans, alors que les cas de cancer colorectal augmentent également dans cette catégorie d’âge?
C’est une de mes préoccupations. Un tiers des patients atteints de cancer colorectal ont plus de 74 ans. Les personnes âgées qui ne sont plus invitées nous écrivent parfois qu’elles se sentent «humiliées» ou qu’elles ont l’impression de ne plus compter dans la société. Cependant, il faut bien fixer une limite: impossible de dépister tout le monde jusqu’à 100 ans. Par ailleurs, est-il utile de dépister une personne déjà atteinte de plusieurs maladies graves ou fortement dépendante? La règle générale est la suivante: si une personne de 75 ans est encore très active et a une espérance de vie d’au moins dix ans, le dépistage reste pertinent. Il est important de rappeler que ceux qui ne sont pas invités au dépistage gratuit peuvent toujours demander un test via leur médecin généraliste. Ils peuvent également acheter un autotest en pharmacie, qui est tout aussi fiable que le dépistage gratuit.
Ces dernières années, certaines bactéries ont été associées au développement du cancer colorectal, comme une souche spécifique de la bactérie E. coli, présente chez une personne sur cinq dans les intestins, et la bactérie buccale Fusobacterium nucleatum. A quel point est-ce préoccupant?
Je préfère utiliser le terme «fascinant» plutôt que «préoccupant». Nous savons que notre microbiome contient une multitude de microbes. Je suis convaincu que la flore intestinale est l’un des organes les plus importants de notre corps et joue un rôle crucial dans de nombreuses maladies. Hippocrate disait déjà il y a plus de 2000 ans: «Toutes les maladies commencent dans l’intestin.» C’est ainsi que la bactérie buccale Fusobacterium nucleatum, qui peuple bon nombre de gencives et qui peut parfois migrer vers le côlon, commence à dévoiler ses secrets.
Il existe également des études intéressantes suggérant que, dans un nombre limité de cas de cancer colorectal, la bactérie E. coli pks+, qui produit une substance toxique appelée colibactine et l’injecte dans les cellules intestinales, joue un rôle très important. Il devient de plus en plus évident que le cancer colorectal présente des caractéristiques de maladie infectieuse chronique. Mais nous ne savons pas encore si nous pourrons lutter contre ces bactéries pathogènes en les traitant avec des antibiotiques. Notre corps est la machine la plus complexe du monde.
Si une flore intestinale saine est essentielle, est-il intéressant de prendre des probiotiques, soit des bactéries vivantes ayant un effet positif sur les intestins
Le problème avec les probiotiques, c’est qu’il existe une offre extrêmement large. Des pharmacies au Kruidvat, on y trouve jusqu’à 60 sortes différentes, chacune avec des compositions et des quantités variables. Aujourd’hui, nous ne savons toujours pas exactement quel probiotique donner et quand, que ce soit pour la diarrhée ou le syndrome de l’intestin irritable. La recherche en la matière en est encore à ses débuts. Ce sur quoi nous sommes presque tous d’accord, c’est qu’un probiotique est recommandé pendant une cure d’antibiotiques pour une infection. En effet, cela permet de restaurer en partie l’équilibre de la flore intestinale, qui est perturbé par les antibiotiques.
L’aspirine peut également jouer un rôle dans la prévention du cancer colorectal. Comment cela fonctionne-t-il?
Il existe depuis des années des indications selon lesquelles l’utilisation régulière de faibles doses d’aspirine réduit le risque de cancer colorectal. L’aspirine agit en supprimant les inflammations, considérées comme un facteur important dans le développement du cancer, y compris du cancer colorectal. Ce qui est encore plus intéressant, c’est que les personnes ayant déjà eu un cancer colorectal ont également moins de risques de récidive. Toutefois, il faut la prendre sur une longue période. Mais affirmer «une aspirine par jour éloigne le cancer colorectal» serait simpliste.
Comment maintenir notre microbiome aussi sain que possible?
Les fibres alimentaires sont surtout importantes dans la prévention du cancer colorectal. Il est essentiel de consommer entre 20 et 25 grammes de fibres par jour en mangeant suffisamment de légumes, fruits, légumineuses, produits céréaliers complets, noix et graines. Ce n’est pas facile, mais avec une cuillère à soupe de graines de chia et une cuillère à soupe de graines de lin, vous atteignez déjà dix grammes. Il n’existe pas de régime miracle, mais plusieurs études ont montré que le régime méditerranéen réduit jusqu’à 50% le risque de cancer colorectal. Je dis toujours aux gens: «Lorsque vous êtes au supermarché, fermez les yeux et imaginez que vous êtes en vacances dans le sud. Achetez ces aliments. Votre panier deviendra plus coloré et plus sain.»
Vous rêvez d’un monde sans cancer colorectal, mais malheureusement, nous en sommes encore loin. Y a-t-il néanmoins des signes encourageants?
Grâce au développement de nouveaux médicaments au cours des dernières décennies, j’espère que d’ici cinq à dix ans, nous pourrons stabiliser l’état d’un patient, même chez ceux ayant des métastases dans le foie et les poumons. Nous avons vu cela par le passé avec la tuberculose et le VIH. À l’époque, c’était une sentence de mort, aujourd’hui ce sont des maladies chroniques. J’espère que ce sera pareil pour le cancer colorectal. À ce sujet, je suis optimiste. L’intelligence artificielle sera sans aucun doute un allié dans la lutte contre le cancer colorectal, que ce soit pour le dépistage, le diagnostic ou le traitement.
Les conseils de Luc Colemont
1. Quels sont les signaux d’alarme à surveiller ?
Les changements dans les habitudes intestinales, la présence de sang dans les selles, une perte de poids inexpliquée, des douleurs abdominales ou des crampes persistantes, et le besoin urgent de selles sans pouvoir en avoir sont autant des signaux d’alarme. Il faut en discuter avec un médecin, même celles et ceux qui pensent être trop jeunes pour s’en inquiéter. La détection précoce peut faire la différence entre un traitement réussi et des conséquences plus graves.
2. À quoi devez-vous prêter attention en matière d’alimentation ?
Les aliments riches en fibres jouent un rôle clé dans le maintien d’une fonction intestinale saine. Ils favorisent la digestion et aident à réguler le transit intestinal. Plus vite les substances nuisibles quittent le système digestif, mieux c’est.
Remplacer les aliments riches en graisses saturées (et en soi-disant graisses trans), comme les aliments frits ou les produits laitiers entiers, par des graisses plus saines comme les huiles insaturées, les noix et les graines.
Opter pour des aliments frais et non transformés lorsque c’est possible. Le poisson gras figure également parmi les aliments les plus sains. Le maquereau, le saumon, le hareng, les sardines et la truite sont riches en acides gras oméga-3, qui jouent un rôle protecteur contre le cancer colorectal. C’est aussi une excellente source de calcium et de vitamine D, qui jouent tous deux un rôle important dans le maintien d’une fonction intestinale saine.
3. Que faut-il absolument faire ?
Si le cancer colorectal est détecté tôt, les chances de guérison montent à 90 %. Peu importe l’âge, il est donc primordial de se faire dépister.