L’épilation définitive, au laser ou à la lumière pulsée, séduit de plus en plus dans les salons d’esthétique. Mais sans précautions d’usage ni formation adaptée, elle peut entraîner de sévères brûlures. Pourtant, contrairement aux injections de botox, la pratique n’est pas considérée comme un acte médical invasif.
«J’ai dû puiser dans mes ressources pour ne pas sombrer». Deux ans après le drame, le traumatisme de Nadège est encore palpable. En 2023, la trentenaire s’est livrée à des séances d’épilation au laser pour se débarasser définitivement de sa pilosité aux membres inférieurs. Elle en est ressortie avec de sévères brûlures, colorant ses jambes d’innombrables lésions bordeaux de forme rectangulaire. «Je n’ai pas pu porter autre chose que des pantalons pendant deux ans, même l’été, confie-t-elle sur un forum. Aujourd’hui, je vois enfin le bout du tunnel.» Ses stigmates se sont en effet légèrement dissipés, mais elle reste marquée psychologiquement par l’incident.
L’expérience de Nadège est loin d’être un cas isolé. Dans son cabinet dermatologique, Muriel Creusot voit régulièrement défiler des patients présentant des brûlures à la suite d’une épilation définitive. «Il faut les rassurer, bien les encadrer et surtout évaluer d’emblée la manière dont on va pouvoir les prendre en charge médicalement, soit via des lampes LED, un traitement laser ou des crèmes», précise celle qui est également vice-présidente de la Société française des lasers en dermatologie. «C’est surtout au niveau psychologique que c’est le plus dur, confirme Lauren Quinet, fondatrice de MesoSkin, qui prodigue des soins naturels pour apaiser les cicatrices. Heureusement, les douleurs liées aux brûlures passent rapidement et se traduisent surtout par des picotements et des irritations. Mais derrière, il y a toute une reconstruction de la texture et de la coloration de la peau à prévoir.»
La majorité de ces brûlures surviennent en raison d’une mauvaise identification du type de peau du patient. «La première chose à faire, c’est toujours d’évaluer le phototype de la personne, insiste Muriel Creusot. Si on a un phototype plus foncé, c’est-à-dire une peau mate voire une peau noire, il y a des lasers qu’on ne peut absolument pas utiliser. Si la personne fait du vitiligo, on risque aussi d’aggraver la situation en utilisant un laser. Il faut impérativement respecter tout ces principes de précaution avant de se lancer.» L’épilation est interdite aux patients bronzés, tout comme l’est l’exposition au soleil après une séance, au risque de développer des hyperpigmentations post-inflammatoires, complète la dermatologue installée à Lasne.
«Très problématique»
L’épilation au laser ou à la lumière pulsée nécessite en outre une anamnèse complète pour éviter les contre-indications, rappelle Laurence Wuylens, présidente de l’Union Nationale de l’Esthétique et du Bien-être (UNEB). «Il faut vérifier s’il y a un problème médical, une grossesse, un allaitement, si la peau est abîmée, si elle comporte des grains de beauté ou des zones qui ont été tatouées, insiste-t-elle. Tout ça rentre en ligne de compte.» La prise de médicaments photosensibilisants ou de compléments alimentaires peuvent en outre interférer avec les longueurs d’onde, et donc de provoquer des brûlures, indique Muriel Creusot. Enfin, une adaptation du traitement à la maturité hormonale du patient et son type de poil (dru, fin, noir, roux,…) est indispensable. «Si le praticien ne pose pas ces questions, il vaut mieux fuir et se tourner vers quelqu’un d’autre», avertir Lauren Quinet.
Au-delà du profil du patient, il faut aussi prendre en compte les différents types de traitement. Pour Muriel Creusot, la lumière pulsée représente le plus grand risque de brûlures. «C’est le plus dangereux car le spectre lumineux est relativement large et n’est pas adapté à tous les phototypes, met-elle en garde. Il faut donc être très prudent.» Mais les accidents ne sont pas non plus à exclure avec les lasers, notamment avec les lasers diodes. «Il y a des lasers qu’on ne peut pas mettre dans les mains de tout le monde, parce que ça nécessite vraiment une formation complète.»
En Belgique, l’épilation définitive au laser et à la lumière pulsée est autorisée tant par des médecins que par des esthéticiennes. Seule l’utilisation de laser dans le cadre d’actes plus invasifs comme le détatouage ou le traitement de problèmes vasculaires est interdite aux secondes. «La majorité des esthéticiennes suivent une formation alliant théorie et pratique (via une septième professionnelle ou l’enseignement pour adultes), ce qui leur donne des connaissances scientifiques adéquates, notamment sur les phototypes, explique Laurence Wuylens. Sauf que la profession est également accessible par le biais du jury central, dont les exigences sont plus faibles. Vous pouvez réussir l’examen en achetant des questions-réponses sur internet et devenir esthéticienne sans avoir jamais touché quelqu’un de votre vie. C’est très problématique.»
Label et consentement
Résultat: par appât du gain, de plus en plus de pseudo-diplômés achètent des machines à laser en ligne ou chez des distributeurs peu scrupuleux et se lancent du jour au lendemain sans formation adéquate. «Ils fonctionnent à la logique du « tiroir-caisse », sans se rendre compte de l’outil qu’ils ont entre les mains et de tous les dangers qu’il représente», déplore la présidente de l’UNEB. Or, pour utiliser correctement ces appareils, il faut aussi en connaître la programmation et le paramétrage: quelles longueurs d’onde utiliser pour tel type de poil ou tel phototype? «Normalement, il en va de la responsabilité du fournisseur de donner cette formation, insiste Laurence Wuylens. C’est aussi à lui de s’assurer de la conformité de l’appareil.» Ce qui est loin d’être toujours le cas.
En Belgique, ces machines doivent être inscrites auprès de l’AFMPS en tant que dispositif médical. En outre, comme partout en Europe, elles doivent disposer du label «CE médical», qui certifie leur conformité aux réglementations européennes sur la sécurité et les performances cliniques. «En matière d’assurances, il faut aussi prouver qu’on a fait un entretien annuel ou bisannuel selon le type d’appareil», complète Muriel Creusot.
Enfin, pour se prémunir de tout risque, les praticiens (dermatologues ou esthéticiennes) doivent faire signer un formulaire de consentement éclairé au patient/client. «Ce dernier doit être avisé du fonctionnement du laser, des potentiels effets secondaires, des contre-indications et des consignes post-séance à respecter, précise la dermatologue. Et puis surtout, on doit être capable d’assurer le service après-vente, c’est-à-dire de prodiguer les soins médicaux adéquats en cas d’incident.» Ce qui n’est pas toujours le cas des esthéticiennes.
«Exercice illégal de la médecine»
Dans un avis rendu en 2022, le Conseil Supérieur de la Santé préconisait d’ailleurs d’autoriser l’usage de la lumière pulsée et des lasers de type 3 et 4 (plus invasifs, contrairement au type 2 largement utilisé par les esthéticiennes) uniquement par des médecins. Globalement, il alertait sur les frontières parfois trop floues entre les activités médicales et esthétiques et recommandait un programme de formation plus solide pour les esthéticiennes, ainsi que des contrôles plus stricts dans les centres «quant à la compétence du personnel et l’utilisation des équipements».
Un avis partagé par Muriel Creusot, qui met en garde contre un «exercice illégal de la médecine» dans le chef de certains acteurs. Elle alerte notamment sur les injonctions de botox (toxine botulique), de plus en plus réalisées par des esthéticiennes alors que la loi l’interdit. «Or, c’est criminel d’injecter ce médicament à quelqu’un si on n’est pas médecin et pas correctement formé, insiste la dermatologue. Les conséquences peuvent être désastreuses et aller de la nécrose aux risques artériels et à l’embolie. Il faut être extrêmement prudent.»
De son côté, Laurence Wuylens appelle à éviter les amalgames entre les esthéticiennes correctement formées et les pseudo-diplômées qui nuisent à la profession. L’UNEB plaide en outre pour une certification spécifique pour toutes ces nouvelles technologies (injections de toxine botulique, acide hyaluronique, épilation définitive) pour garantir la qualité des soins aux patientes.




