lundi, mai 20

Ces dernières années, les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) ont drastiquement diminué leur consommation d’énergie tout en sensibilisant leurs élèves à tout ce qui touche au développement durable. Grâce à certains projets lancés aux plus hauts échelons du pouvoir (un peu) et à des initiatives au sein de leur établissement (beaucoup).

Branle-le-bas de combat à l’athénée royal de Soumagne, en ce lundi d’avril. Pendant huit heures, l’école secondaire se transforme. Ni français, ni math, ni géographie au menu. A la place, des ateliers sur les collations saines ou la biodiversité, des conférences sur le changement climatique, la projection du film Animal… Ce n’est là qu’un tout petit échantillon du programme de cette 3ᵉ édition de la «Journée du développement durable» organisée par l’athénée. En tout, plus d’une vingtaine d’asbl s’affairent auprès d’un bon millier d’adolescents.

Dans une classe du premier étage, deux animatrices d’EFDD (Education et formation au développement durable) détaillent à des élèves de deuxième le processus de fabrication du jeans. Histoire de la culture du coton imprégnée d’esclavagisme, présence de plastique dans le vêtement, trajets XXL entre continents, prix fixés par la «bourse internationale»: tout y passe.

«L’objectif est de leur faire comprendre que c’est une problématique complexe et globale, explique Valérie Mania. Bien sûr, ils ne peuvent pas avoir prise sur tout et il faut qu’on le leur dise. Mais on essaie qu’ils se sentent concernés en tant que citoyens, afin qu’ils puissent envisager des pistes d’action. En adoptant par exemple certains comportements plus respectueux de l’environnement.»

A l’issue de l’atelier, certains élèves semblent marqués. «Ce qui m’a choqué, c’est que je pensais qu’on avait évolué par rapport à l’époque de l’esclavage. Mais quand je vois à quel point certains travailleurs sont exploités à l’autre bout du monde, je me dis que pas grand-chose n’a changé», s’inquiète Clémence, 13 ans.

Ensemble, les élèves terminent l’atelier en proposant des solutions: mettre moins souvent son jeans à la machine, le donner aux nécessiteux quand il est devenu trop petit, acheter des vêtements de seconde main, etc. Forcément, certains s’impliquent davantage que d’autres. «On les sent très dépendants des influenceurs, constate Sarah Robinet, l’autre animatrice d’EFDD. Ils veulent porter les mêmes vêtements qu’eux et ils accordent une grande importance à leur image, en vue d’être accepté par le groupe. La chaîne du jeans, c’est assez délicat, car ça touche à leur identité.»

Des élèves aux manettes

Changement d’ambiance dans le bâtiment voisin, avec un atelier sur le thème de l’eau. Ici ce ne sont pas des pros qui sont aux commandes, mais des élèves. Les plus grands apprennent aux plus jeunes comment les bouteilles d’eau arrivent dans leur cartable. Ils leur font également deviner l’impressionnante quantité d’eau consommée en moyenne chaque jour par les ménages belges (104 m3 pour une famille de trois personnes). Ces animateurs d’un jour n’ont pas été choisis par hasard. Ils font partie de l’écoteam de l’école: un groupe d’élèves et d’enseignants qui tentent, avec l’aide de l’asbl GoodPlanet, de sensibiliser à l’écologie les élève de l’athénée tout au long de l’année.

«On vit dans un monde qui change énormément. Si on n’agit pas, ce sera bientôt foutu, estiment Lucas, Alexandre et Loïs. Ici, on a l’occasion de sensibiliser des gens de notre âge. On est là pour essayer de leur apprendre de manière ludique pourquoi l’écologie est importante

L’athénée de Soumagne n’est pas le seul à disposer d’une écoteam. GoodPlanet en épaule une bonne dizaine à travers la Wallonie. «Mais il en existe beaucoup d’autres qui ne sont pas encadrés officiellement, précise Sophie de Staercke, de l’asbl. C’est vraiment quelque chose dans l’air du temps. Si bien que c’est impossible à quantifier.» L’école soumagnarde fait aussi partie de la soixantaine d’établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) à être labellisés «école durable» par l’asbl Coren.

Le soutien financier aux abonnés absents

Si cette journée existe à Soumagne, c’est surtout parce qu’une poignée d’enseignantes s’y dévouent depuis plusieurs années. L’appui au niveau politique est inexistant, estime Catherine Stans, l’une des chevilles ouvrières du projet.

«Une journée comme celle-ci coûte cher, signale la professeure de latin. Ici, on est à environ 2.500 euros la journée. Et encore, on se démène pour trouver des associations qui acceptent de venir gratuitement, car subsidiées. Mais elles ne sont pas nombreuses et sont donc très prisées. Pouvoir faire venir tout le monde le même jour demande un an de préparation. C’est extrêmement chronophage. Heureusement, on a une direction qui nous soutient. Ce n’est pas le cas partout…»

«J’ai parfois l’impression que les politiques vivent dans une bulle.»

Catherine Stans,

professeure de latin à l’

Catherine Stans dénonce un total déséquilibre entre ce qui est demandé aux écoles et ce qui est mis à leur disposition. En théorie, de nombreuses initiatives sont lancées par le monde politique. C’est notamment le cas de Cantines Durables, présentes dans une bonne centaine d’écoles de la FWB. «Il faut remplir énormément de documents administratifs pour obtenir un logo… sans aucun argent en retour, dénonce l’enseignante. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut tendre vers des cantines locales et bios, mais ça coûte cher. On a la chance de tout de même proposer une cantine de qualité à nos élèves, mais quand les prix de l’énergie ont explosé, on a failli devoir abandonner le bio. Sans soutien financier, on est contraint de choisir ses combats.»

La professeure de latin donne des exemples à la pelle. «Pour obtenir quelques arceaux de vélo, on doit monter un dossier sur deux ans, déplore-t-elle. Au parlement wallon, avec l’écoteam, la ministre nous a demandé pourquoi il n’y avait pas de fontaine à eau dans les écoles. Mais sait-elle combien ça coûte ? J’ai vraiment l’impression qu’ils vivent dans une bulle.»

Débloquer des fonds grâce aux concours

L’initiative viendrait donc souvent de quelques enseignants. Un discours que l’on retrouve également à l’école Sainte-Marie de Seraing. Dans cet établissement primaire spécialisé aussi, on déplore un manque de moyens. Mais là non plus, cela n’empêche pas un noyau dur d’organiser des ateliers de sensibilisation au développement durable – avec, ici encore, un soutien marqué de la direction.

«Si on n’essaie pas nous-mêmes d’améliorer notre école, ce n’est pas de plus haut que viendra l’impulsion, confirme Julien Jacques, instituteur. Un bon moyen d’accéder à des budgets, ce sont les concours et appels à projets. Si on veut élaborer un projet répondant aux attentes, on doit travailler au-delà de notre boulot d’enseignant. Cela demande pas mal d’énergie de notre part, mais on le fait pour les enfants

«Cela demande pas mal d’énergie de notre part, mais on le fait pour les enfants.»

Julien Jacques,

instituteur à l’école Sainte-Marie de Seraing.

Les élèves de Sainte-Marie sont pour la plupart issus de milieux (très) défavorisés. A l’école, ils se retrouvent lancés dans des projets visant à végétaliser leur cour, trier efficacement les déchets ou privilégier les fruits aux snacks. «On veut leur transmettre ces notions, car on sait que ce n’est pas le premier sujet de conversation dans leur famille, explique Florian Klassen, éducateur et enseignant. Le critère principal de leurs parents pour faire les courses, ce n’est ni l’écologie ni la santé, mais bien l’argent. On en est conscient et on ne veut pas tout révolutionner d’un coup.»

«On tient aussi compte de leurs envies, ajoute Alice Lemperez, leur collègue. On ne veut pas leur dicter une marche à suivre. On tente de les impliquer au mieux dans ces projets.» La recette fonctionne. L’école sérésienne vient tout juste de voir sa candidature retenue par GoodPlanet – encore elle – dans le cadre de la cinquième édition de son action «Ose le vert, recrée ta cour». «Quand les enfants l’ont appris, ils étaient fous de joie», se réjouit l’enseignante.

Pas d’emballement pour autant: pour l’heure, l’école n’a aucune idée du montant qui lui sera alloué pour verdir ses espaces extérieurs. «Nos dossiers sont très suivis. Cela peut aussi se comprendre, car ils ne veulent pas distribuer de l’argent n’importe comment», nuance Florian Klassen.

Les élèves de l’école Sainte-Marie, à Seraing, sont aussi impliqués dans la création de quatre potagers dans la cour de récréation. © DR

Des efforts qui paient

Si toutes ces intentions sont louables, il est plus difficile d’en mesurer les effets réels. A Sainte-Marie, on projette de jeter les déchets dans des silos transparents pendant quelques semaines afin de visualiser la quantité produite par l’école. Et de rééditer l’opération un an plus tard, après avoir fait des efforts sur ce plan, pour montrer aux élèves que les silos sont nettement moins remplis.

Il existe aussi des outils plus complets… et plus complexes. Coren, par exemple, met à disposition des écoles un programme leur permettant de calculer leur bilan carbone. Rien que ça. Pas de quoi pouvoir en tirer de grandes conclusions pour autant. «Les données disponibles ne sont pas représentatives, répond Thierno Ndiaye, secrétaire général de l’association. Elles ont été collectées auprès d’une quinzaine d’écoles, qui ont rendu des données incomplètes pour certains postes. Le bilan carbone Coren n’a pas pour finalité de quantifier avec exactitude mais de donner une impulsion à partir d’un outil exploité directement par les élèves.» On n’en saura pas plus…

Du côté du SPW Energie, on se félicite tout de même d’une évolution statistique implacable. Entre 2010 et 2020, la consommation de combustibles a été réduite de moitié dans les écoles. Elle est désormais de 62 kWh/m2, tous réseaux confondus. Alors qu’il comptait encore pour 14% de la consommation d’énergie du secteur tertiaire, l’enseignement n’en représente plus que 8%. Constat tout aussi réjouissant dans la capitale : entre 2010 et 2021, la consommation de gaz des bâtiments scolaires de la Ville de Bruxelles a diminué de 38%.

A priori, ces chiffres devraient continuer de s’enjoliver dans les années à venir. L’an dernier, la FWB s’est engagée à consacrer un milliard d’euros à la rénovation de ses écoles. Tout récemment, le secrétariat général de l’enseignement catholique (Segec), en collaboration avec Belfius et la Banque européenne d’investissement (BEI) a dressé un premier bilan positif d’un programme de soutien à l’installation de panneaux photovoltaïques sur le toit des écoles. Septante établissements ont déjà pu s’équiper depuis septembre 2022 et 250 pouvoirs organisateurs ont ouvert un dossier.

«Parfois, l’effet de nos ateliers peut se ressentir 10 ans plus tard.»

Valérie Mania

Educatrice à l’

Des écoles qui évoluent sur le plan énergétique, c’est une chose. Mais les initiatives comme celles portées par les enseignants de Soumagne et Seraing, en collaboration avec les ASBL, en sont une autre. Est-il vraiment possible de savoir si elles portent leurs fruits auprès des principaux concernés ? «On ne sait jamais mesurer exactement à quel moment vont germer les graines que l’on vient semer dans les écoles, reconnaît Valérie Mania, d’EFDD. Cela peut se produire dix ou quinze ans plus tard : quand ils commenceront à acheter eux-mêmes leurs vêtements, certains se souviendront peut-être de notre atelier sur le jean.»

Parfois, l’effet peut être beaucoup plus rapide. Pour le plus grand bonheur de Catherine Stans, à Soumagne. «On avait une élève très introvertie qui ne semblait pas du tout réceptive à nos ateliers, se souvient-elle. Elle nous a totalement surpris en fin d’année, en réalisant son TFE autour du développement durable. C’est là qu’on voit que nos efforts ne sont pas vains. Et c’est ce qui me rend hyper-optimiste pour l’avenir.»

Par Olivier Daelen

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