mercredi, janvier 15

Les complications liées à des actes de médecine esthétique réalisés par des personnes non habilitées explosent en Belgique. Deux personnes sont décédées. Les professionnels de la médecine esthétique dénoncent un vrai problème de santé publique.

Il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour s’en apercevoir, la mode est aux lèvres pulpeuses, bien souvent obtenues à coup d’injection. Cette obsession pour les diktats de la beauté n’est pas sans danger, surtout lorsque les traitements esthétiques ne sont pas réalisés par des professionnels, mais généralement des esthéticiens ou esthéticiennes. Deux personnes sont décédées en Belgique ces dernières années à la suite d’interventions esthétiques illégales, alerte la Société royale belge de chirurgie plastique et réparatrice (RBSPS).

Loi du marché oblige, face à la forte demande d’injections de botox, d’acide hyaluronique ou autres fillers pour gommer les marques de l’âge sur le visage, les centres esthétiques offrent ces actes qui devraient être cantonnés à la médecine. La loi du 23 mai 2013 édicte que les actes invasifs, qui traversent la peau, doivent être réservés aux médecins (chirurgiens plasticiens, dermatologues, médecins esthétiques…).

Il n’existe pas de chiffres officiels sur les ratés, puisque ces coups d’aiguille ont lieu hors des radars légaux, mais les professionnels de la médecine esthétique constatent «une explosion des complications et des insatisfactions de résultat venant des patientes», confirme le docteur Pascal Castus, chirurgien plastique et président du RBSPS. «J’en vois toutes les semaines». Et les conséquences sont parfois dramatiques.

Les traitements de médecine esthétique sont sûrs, c’est le fait de ne pas les réaliser correctement qui pose problème

Des complications «gravissimes»

Les risques résident d’abord dans le choix des produits. Si le médecin esthétique professionnel travaille avec des toxines botuliques ou de l’acide hyaluronique accessibles seulement par prescription, il est possible «d’acheter de tout et n’importe quoi sur internet», se désole le docteur Jean Hébrant, président de la Société belge de médecine esthétique (SMBE). «Les produits injectables doivent aussi être choisis en fonction de la localisation, il ne faut pas injecter la même chose dans un nez ou dans une bouche».

Au-delà des produits à l’origine douteuse, c’est aussi la réalisation qui pose problème. Certains esthéticiens injectent de trop grandes quantités de produit ou au mauvais endroit: «J’ai déjà eu deux patients auxquels on a injecté quatre ou cinq seringues», illustre Pascal Castus. Encore plus dangereux: certains patients achètent des produits qu’ils s’injectent eux-mêmes. Le tout peut provoquer des infections ou des réactions allergiques.

Le visage est une zone à risque, c’est la partie la plus vascularisée du corps humain. Une injection de tout produit dans une veine ou artère peut entraîner des nécroses de la peau ou la lésion d’un autre organe. Des cas de perte de la vue ont été recensés, indique aussi le chirurgien plastique. Les deux décès sont survenus à cause du produit injecté dans les lèvres qui a migré vers le crâne et provoqué une thrombose (caillot obstruant la circulation du sang dans une veine).

Le docteur Hébrant signale aussi des cas de brûlures induites par des appareils de radiofréquences, censés rafermir la peau.

Les chirurgiens plastiques peuvent corriger certaines complications esthétiques, mais celles qui touchent à la santé sont irréversibles. «On ne peut agir qu’au niveau esthétique et diluer les produits avec d’autres produits», précise Pascal Castus, qui tient à souligner que «les traitements de médecine esthétique sont sûrs, c’est le fait de ne pas les réaliser correctement qui pose problème».

Le business juteux des injections

«Il n’y a pas de formation reconnue dans les universités belges», déplore Jean Hébrant. Ainsi, n’importe quel médecin peut pratiquer des actes esthétiques, sans être assuré d’avoir la bonne formation. «Certains font cela en plus de leur spécialisation, dans un but purement lucratif», dénonce le président de la RBSPS, qui milite pour la mise en place d’une formation officielle encadrée et pour que les praticiens qui choisissent la médecine esthétique s’y dédient à 100 %. Il y a aussi des médecins étrangers qui viennent donner des formations dans les centres esthétiques à Bruxelles, et s’en vont ensuite sans assurer de suivi, regrette encore son homologue de la SMBE.

Ce dernier pointe un véritable «problème de santé publique dont les jeunes sont les premières victimes». Les deux médecins recensent des cas de complications en majorité sur des patientes de moins de 23 ans, séduites par les prix attractifs des centres esthétiques, qui peuvent faire de la publicité contrairement aux médecins. Depuis 2019, les 18-34 ans ont plus recours à des actes de chirurgie ou de médecine esthétique que les 50-60 ans jusqu’ici patientèle historique, révèlaient les journalistes Elsa Mari et Ariane Riou dans leur ouvrage Génération bistouri : Enquête sur les ravages de la chirurgie esthétique chez les jeunes, paru en février 2023. «Le patient doit toujours se méfier des prix trop bas et des praticiens diffusant des publicités alléchantes sur les réseaux sociaux (la publicité est interdite pour les médecins), souvent synonymes de pratiques douteuses», prévient la RBSPS, qui invite le futur gouvernement fédéral à se pencher sur le problème.

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