vendredi, octobre 25

A l’échelle du globe, les «zones bleues», où vivent quantité de nonagénaires et centenaires en grande forme, se comptent sur les doigts d’une main.

Les montagnes escarpées d’Ogliastra en Sardaigne, l’île grecque d’Icarie en mer Egée, l’île japonaise d’Okinawa et la péninsule de Nicoya au Costa Rica: quatre régions de haute longévité, baptisées blue zones parce qu’y vit une proportion hors du commun de nonagénaires et centenaires en grande forme. En mars 2023, une cinquième a été identifiée par le démographe belge Michel Poulain, dont les travaux, menés avec l’épidémiologiste Gianni Pes, sont à l’origine du concept. Elle se situe en Martinique, où le nombre de centenaires explose: sur les 350.000 habitants de l’île, au 1er janvier 2023, on recense 400 centenaires, soit deux fois plus qu’en France.

Cinq heureuses élues donc, et beaucoup de recalées: la Barbade, l’île de Rodrigues (à l’est de Maurice), Cuba, ou encore le parc des Madonies, en Sicile, et le village d’Acciaroli, dans le sud de l’Italie.

Le secret des zones bleues est devenu une obsession. Depuis les années 2000, les colloques sur le sujet se succèdent. Un Américain a déposé la marque. Et deux villages belges s’inspirent déjà des premières conclusions de Michel Poulain. Sur le terrain, les démographes, médecins, biologistes du monde entier étudient minutieusement l’alimentation, les gènes ou encore le microbiote de ses habitants. Leur premier avantage: ces individus ont toujours eu une solide santé durant la plus grande partie de leur vie. La génétique influence donc la longévité, mais elle intervient très peu, à raison de… 11% à 16%. L’influence des gènes n’apparaîtrait d’ailleurs qu’après la soixantaine. Avant cet âge, le patrimoine génétique serait moins important encore. «L’explication serait d’ordre épigénétique. En fonction de notre mode de vie, nos gènes ne s’exprimeront pas de la même façon, commente Jean-Marc Lemaitre, directeur de recherche à l’Inserm, codirecteur de l’Institut de médecine régénératrice et de biothérapie (Montpellier). Les comportements, l’alimentation, le niveau de stress ou l’exposition aux polluants modifient ainsi le fonctionnement des gènes hérités des générations antérieures.»

Une personne centenaire sur 1.000 atteindra l’âge de 110 ans.

Le reste, dès lors, relève de l’environnement et des habitudes de vie. Une alimentation, locale et saisonnière, joue évidemment un rôle. Même si elle est différente selon les régions, elle comprend des ingrédients complets et non transformés, peu de viande et de produits à base de lait de vache, beaucoup de légumes et de légumineuses, de l’huile d’olive. Autrement dit, ce que beaucoup de médecins recommandent et que peu de patients respectent.

Tout ne dépend pas (que) de la nourriture. Les experts relèvent en effet une accumulation de facteurs favorables. Partout, les peuples ultranonagénaires en bonne santé ont pratiqué et conservent une activité physique régulière et de basse intensité, parce qu’ils vivent dans un milieu ne laissant guère de place à la sédentarité. En Sardaigne, les chemins abrupts des villages obligent les habitants à gravir et à dévaler les côtes pour leurs trajets quotidiens. Sur l’île d’Okinawa, les maisons ne sont équipées que de très peu de meubles. En s’asseyant et se levant plusieurs fois par jour, les locaux ont ainsi pris l’habitude de faire des exercices similaires à des squats, à renforcer leurs muscles profonds, leur souplesse et leur sens de l’équilibre.

Une vie plus calme que d’ordinaire, préservée du stress, dans un environnement souvent isolé, loin des sollicitations, a également été observée dans chacun de ces territoires plutôt modestes. Les habitants entretiennent avec soin des relations sociales de proximité. Car les zones bleues, relativement limitées dans l’espace, sont avant tout des communautés, au sein desquelles les liens sociaux sont extrêmement forts. La solidarité locale assure ainsi un soutien indéniable aux individus les plus faibles et les plus démunis et contribue ainsi à une plus grande longévité. Pas de maison de retraite et très peu de démence sénile. Une envie de vivre, un optimisme à toute épreuve et des objectifs sont d’autres traits marquants.

En résumé, ces zones bleues seraient de véritables écosystèmes où la nourriture, mais surtout l’environnement, la culture, la protection sociale, l’histoire ou encore la qualité de l’air et de l’eau sont des facteurs qui interagissent pour créer un microenvironnement favorable à la longévité. Malgré ces facteurs identifiés, les scientifiques ignorent comment leur action commune induit cette longévité exceptionnelle dans les zones bleues.

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personnes âgées de 100 ans ou plus ont été recensées un jour donné en Belgique. Trois ont vécu jusqu’à 112 ans, huit jusqu’à 111 ans et neuf jusqu’à 110 ans.

Elle pourrait cependant s’avérer temporaire, émerger puis disparaître. Alors que l’étonnante espérance de vie semble se maintenir en Sardaigne, la courbe s’inverse à Icarie et à Nicoya. Le développement de la restauration rapide et de la nourriture ultratransformée pourrait en partie l’expliquer. Un phénomène qui n’inquiète pas les chercheurs. «Nous avons saisi les facteurs qui mènent à la longévité et ils peuvent déjà nous inspirer pour prolonger notre espérance de vie en bonne santé», note Jean-Marc Lemaitre, citant un essai clinique, paru en 2021 dans la revue médicale Journal of Aging and Health. Dans cette étude, 43 hommes âgés de 50 à 72 ans, en bonne santé, ont été séparés en deux groupes: un groupe contrôle, sans modification aux habitudes de vie, et un groupe d’intervention, soumis à un programme préconisant une alimentation équilibrée, au moins sept heures de sommeil, une activité physique régulière et une gestion du stress par des exercices de respiration. Après huit semaines, en suivant ces conseils, ils ont gagné jusqu’à trois ans d’âge biologique, et donc probablement autant d’espérance de vie. Répété en 2023 au sein d’un groupe, restreint, de femmes, l’essai confirme ces résultats…

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