jeudi, décembre 26

La communication sur la présence de PFAS dans l’eau «potable» wallonne a été défaillante à plusieurs niveaux, tant politiques qu’administratifs. Le débat est loin d’être clos, au Parlement wallon.

«Je ne suis pas attachée au pouvoir, je ne l’ai jamais été, je ne le serai jamais. Mais je me suis engagée pour changer les choses en profondeur. Cela prend parfois du temps, on peut parfois manquer de vigilance», concluait, le 14 novembre, la ministre wallonne de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo), auditionnée en commission parlementaire à propos du scandale PFAS. Elle continuera à se battre pour assurer «de meilleures conditions de vie et de santé aux Wallonnes et aux Wallons». Et ce, affirmait-elle, «jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière minute de cette législature».

Justifier de la sorte pourquoi on ne jettera pas l’éponge laisse entrevoir la pression qui s’était exercée sur elle les jours précédents. Les minutes précédentes, même, tant elle a eu à répondre aux nombreuses interrogations des députés régionaux, avec des invitations à la démission à peine voilées émanant de l’opposition – PTB et Les Engagés –, mais aussi du MR, dans la majorité.

Les révélations sur la présence excessive de PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées), les «polluants éternels», en Wallonie a ébranlé la ministre et l’ensemble du monde politique régional. Le dossier s’apparente à un cas d’école de dysfonctionnements en matière de principe de précaution et de communication entre administrations, organismes publics, niveaux de pouvoir, cabinets et ministres, le tout avec une dimension interrégionale. Les auditions en commission parlementaire des différents intervenants devraient permettre d’y voir plus clair.

Le pavé dans la mare, pour rappel, a été lancé le 8 novembre par le magazine Investigation de la RTBF, qui s’est penché sur la question de la pollution aux PFAS en Wallonie. L’enquête au long cours a mis au jour des niveaux de contamination particulièrement élevés, avec ce que cela comporte comme risques pour la santé, singulièrement en Hainaut occidental, mais aussi une absence de communication auprès des populations concernées.

Pas de norme sur les PFAS, pas de problème?

Le manque de cadre en Wallonie se trouve également au cœur des questionnements, puisque ce n’est qu’en janvier 2026 qu’entrera en vigueur une norme fixant un seuil d’alerte pour l’eau potable à la présence de cent nanogrammes cumulés d’une vingtaine de substances PFAS, conformément à une directive européenne. Faute de norme, la réalité du risque pour la santé humaine de l’ingestion d’eau (ou d’aliments) comportant d’importantes quantités de PFAS semble ne pas avoir percolé à différents niveaux administratifs et politiques.

L’enquête d’Investigation a pourtant révélé la présence de ces composés chimiques dans des quantités bien supérieures à la norme. C’est le cas d’un puits situé dans l’entité de Chièvres et alimentant en eau potable environ douze mille personnes dans la région, qui s’est retrouvé au-devant de l’actualité. En mars dernier, la Société wallonne des eaux (SWDE) y a installé un système de filtrage à base de charbon actif qui a, entre-temps, permis d’y réduire sensiblement la présence de PFAS. Mais les éléments d’information dévoilés établissent qu’entre octobre 2021 et mars 2023, les relevés effectués mesuraient en moyenne une présence de PFAS nettement supérieure au seuil fixé par la future norme européenne. A aucun moment, la population locale n’a été avertie.

Le dossier est un cas d’école de dysfonctionnements en matière de principe de précaution et de communication.

Les alertes, pourtant, n’ont pas manqué, comme l’ont martelé plusieurs députés en commission mardi. Mais jamais, affirme Céline Tellier, une information faisant état de niveaux de contamination problématiques ne lui est parvenue. C’est cette absence d’information qui est au cœur des interrogations qui, désormais, fait l’objet de vives critiques de l’opposition, mais aussi ce qui ressemble à une rupture de confiance du MR.

De nombreuses alertes

Dès 2017 et 2018, l’armée américaine, implantée dans la caserne Daumerie à Chièvres, a fait part à la SWDE et à l’administration wallonne d’un dépassement des normes US. Pendant qu’elle prenait la décision de fournir des bouteilles d’eau à ses soldats, à l’échelon wallon, en l’absence de normes, l’eau était considérée comme potable. Carlo Di Antonio (Les Engagés, CdH à l’époque) était alors ministre de l’Environnement.

En 2021, le député Jori Dupont (PTB) déterrait ces alertes du Pentagone. Cette même année, un autre scandale lié aux PFAS, autour des contaminations engendrées par l’usine 3M en région anversoise, mettait la problématique au jour. Autres alertes: une série de courriers envoyés par la ministre flamande de l’Environnement, Zuhal Demir (N-VA), aux ministres wallonnes Céline Tellier (Ecolo) et Christie Morreale (PS) et à leurs homologues bruxellois Alain Maron (Ecolo) et Elke Van den Brandt (Groen), sur le fait que l’eau distribuée à Hal par l’organisme bruxellois Vivaqua, mais captée en Hainaut, n’était pas conforme aux normes flamandes. C’est à ce stade que l’affaire prend une tournure interrégionale.

Dans le dossier des PFAS, opposition et majorité par les voix de François Desquesnes (Les Engagés), Olivier Maroy (MR) et Jori Dupont (PTB), n’ont pas manqué d’égratigner la ministre Tellier. © belgaimage

Alerte supplémentaire, qui met Céline Tellier en difficulté: un courriel adressé le 10 janvier 2022 par le Service public de Wallonie à son cabinet, reprenant des informations communiquées par la SWDE sur des taux de PFAS anormalement élevés à Chièvres. «Un e-mail brut qui ne comprend aucune analyse de données, aucune alerte et aucune proposition d’action ni de suivi», se défend Céline Tellier. Le fonctionnaire wallon détaché au sein de son cabinet, ayant reçu cet e-mail, a cependant été débarqué en début de semaine, faute d’avoir fait «preuve de vigilance» politique.

En définitive, ce n’est qu’en mai 2023, après installation d’une solution technique, que les communes concernées par le puits de Chièvres – Chièvres, Beloeil, Ath, Leuze-en-Hainaut et, dans une moindre mesure, Jurbise – ont été informées par la SWDE.

Bien que, techniquement, aucune norme ne poussait les protagonistes à considérer l’eau comme non potable, les nombreuses questions qui se posent désormais consistent à savoir qui savait exactement quoi, et à quel moment. Entre les alertes de l’armée américaine, d’une ministre flamande et les informations dont disposaient la SWDE, l’administration wallonne et les cabinets et ministres concernés, les défauts de communication donnent lieu à de nombreuses suspicions, chacun se renvoyant la balle.

Les bourgmestres eux-mêmes déplorent ne pas avoir été mis au courant, ou l’avoir été très tardivement, ne pouvant de la sorte pas prévenir leurs administrés. Mais cette posture irrite du côté de la SWDE, où l’on indique qu’il a été suggéré au bourgmestre de Chièvres de communiquer sur le sujet, en mai dernier. Ce dernier, Olivier Hartiel (PS), estime que c’était à la SWDE, «qui a toujours livré des messages rassurants», d’avertir les riverains, bien plus tôt. Au niveau local aussi, donc, on tend à se renvoyer la responsabilité de l’absence de communication à la population qui, une fois encore, n’aura été avertie de rien.

PFAS et jeu de rôles politique

En définitive, puisque l’affaire revêt une dimension politique, il apparaît que chacun cherche certes à faire la lumière sur les dysfonctionnements, mais aussi à tirer son épingle du jeu comme il le peut.

Céline Tellier, ministre écologiste, autrefois à la tête d’Inter-Environnement Wallonie, affirmant volontiers qu’elle promeut le principe de précaution, a évidemment beaucoup à perdre dans un scandale mêlant pollution environnementale et santé publique. Elle a annoncé, mardi 14 novembre, tirer les leçons de la séquence et vouloir mettre en place une série de mesures pour répondre aux inquiétudes des populations concernées, déplorant l’approche trop «légaliste» et insuffisamment «préventive» qui a prévalu jusqu’alors. Entre la mise sur le marché de substances, la découverte de leurs méfaits et l’instauration de normes, il existe une «zone grise» dans laquelle il est malaisé d’agir pour les responsables publics, estiment-elle. Il s’agira aussi d’instaurer des seuils de vigilance beaucoup plus restrictifs.

Pendant ce temps, l’armée américaine distribue de l’eau en bouteille à ses soldats.

Elle n’a pas non plus manqué d’épingler le mal originel, selon elle: la mise en circulation de substances nocives par l’industrie (l’eau ne représente qu’une source parmi tant d’autres de contamination), le manque de normes et de volonté d’interdire les PFAS à la racine, la responsabilité d’un secteur de la chimie qui doit se réinventer, le rôle des lobbies, l’indulgence des «conservateurs» en politique.

Au parlement de Wallonie, l’opposition – Les Engagés et le PTB – a elle aussi joué son rôle en dénonçant les défaillances qui ont pu survenir dans le dossier, tout en pointant la responsabilité personnelle de la ministre. Le parti d’extrême gauche, dont le député Jori Dupont avait soulevé le problème dès 2021, a habilement fait savoir que, plutôt que la seule Céline Tellier, c’est pour lui l’ensemble des partis auxquels il s’oppose qui sont mouillés, depuis l’ancien ministre de l’Environnement, Carlo Di Antonio (Les Engagés), qui œuvrait sous la houlette du ministre-président Willy Borsus (MR), jusqu’aux représentants socialistes, libéraux et écologistes de la tripartite actuelle. Ce dossier permet de ratisser large.

Le MR, par la voix du député Olivier Maroy notamment, alors qu’il est dans la majorité, se montre incisif à l’égard de la ministre Tellier. L’occasion est belle d’égratigner le partenaire écologiste qui, arithmétiquement, n’est pas indispensable à la coalition wallonne. Le PS déplore notamment l’absence de communication aux bourgmestre concernés, certains étant d’ailleurs socialistes, mais se montre plus solidaire d’une partenaire de gouvernement avec laquelle Christie Morreale pourrait, le cas échéant, partager une part de responsabilité.

Chacun s’en tire comme il le peut, dont les riverains qui – c’est une des seules certitudes à ce stade – n’ont pas été informés que l’eau qui sortait de leurs robinets durant de longs mois était contaminée.

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