Benjamin Netanyahu est, officiellement, devenu l’ennemi public numéro 1… ou presque. La Cour Pénale Internationale a délivré ce jeudi un mandat d’arrêt à l’encontre du Premier Ministre israélien, ce qui implique qu’il devra être arrêté s’il foule le sol de l’un des 123 pays membres de l’institution. De même pour son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef de la branche armée du Hamas, Mohamed Deïf. Ce n’est pas pour autant que l’on verra «Bibi» derrière les barreaux de La Haye. Frédéric Dopagne, professeur de droit international à l’UCLouvain, décrypte.
Cette procédure est-elle classique ? On sait que Poutine est lui aussi visé par un mandat d’arrêt, sans conséquence. C’est la même chose ici ?
Frédéric Dopagne: C’est en effet la même procédure. Comme pour Poutine, le Procureur demande à la Cour de délivrer un mandat d’arrêt international car ils ont considéré qu’il y avait de sérieux motifs de croire que des crimes ont été commis au regard du droit international. Ici, on parle de crimes de guerre et de crime contre l’humanité. En entravant notamment les services humanitaires de l’ONU à travailler dans les territoires touchés par le conflit, la Cour estime qu’il y a une utilisation de la famine en tant que méthode de guerre. C’est assez rare.
Concrètement, comment est-ce qu’on arrête une personne visée par un mandat d’arrêt de la CPI ? Arrête-t-on Benjamin Netanyahu comme n’importe qui ?
Comme pour Poutine, il va sans doute limiter considérablement ses déplacements. Le principe, c’est que dans les 123 Etats membres de la CPI, il peut être arrêté pour qu’il soit remis à la Cour et jugé. Attention que ce n’est pas le cas pour les Etats qui ne sont pas membres de la CPI, comme les Etats-Unis. L’ancien président du Soudan, Omar Al Bachir, qui était aussi visé a continué à voyager dans des Etats dont certains étaient membres de la CPI. Ils ne l’ont pas arrêté car ils l’ont considéré comme protégé par son immunité diplomatique.
La question de l’immunité diplomatique n’est pas totalement claire. En tant que chef de gouvernement, Netanyahu ne peut en principe pas être arrêté. Cette immunité est en conflit avec le mandat d’arrêt de la CPI. Pour celle-ci, le mandat doit être exécuté quoiqu’il en soit. Si Benjamin Netanyahu se fait arrêter, il n’est pas exclu qu’il invoque son immunité. Dans un tel cas, il faudra voir ce que les juges nationaux et la CPI décideront. Mais on n’en est pas là, il ne prendra pas le risque.
Et quand bien même, la Hongrie qui est pourtant membre de la CPI, vient d’inviter Benjamin Netanyahu.
C’est une manière pour ceux de «ce camp là» d’affirmer leur discours. Pourtant, la CPI a fait preuve de courage. Elle était souvent qualifiée de Cour Pénale occdidentale qui ne poursuivrait que des dirigeants Africains, ou Poutine… Hier, elle a montré qu’elle n’hésitait pas, s’il fallait, de s’occuper de dirigeants israéliens, pourtant rangés dans le camp occidental. C’est une marque d’indépendance et d’efficacité, alors même que la CPI et le Procureur ont été à l’épreuve de beaucoup de pression de la part d’Israël.
A vous entendre, l’arrestation de Netanyahu est plus proche de la fiction que de la réalité. Admettons que cela arrive tout de même, que se passe-t-il ? Existe-t-il une détention provisoire ? Garde-t-il ses statuts ?
La procédure, c’est un transfert à La Haye pour être jugé devant la CPI. Il sera sans doute déchu de ses fonctions et devra être remplacé par un cabinet transitoire en Israël avant des élections anticipées. Bien qu’on peut être sûr, que sa stratégie juridique sera de marteler qu’Israël ne reconnaît pas la Cour Pénale Internationale et qu’il a une immunité.
Pour ce qui est de la procédure à La Haye, cela peut prendre des années. Ce qui est normal, car il s’agit de procédures très complexes avec des accusations extrêmement graves. Il vaut même mieux que ça ne soit pas précipité. Les enquêtes sont compliquées car les équipes du Procureur de la CPI ne peuvent pas enquêter partout et tout le temps. Ce sont des enquêtes qui se déroulent dans plusieurs Etats, qui durent forcément des années. C’est le prix à payer pour qu’il y ait une vraie justice pénale internaitonale.