mercredi, janvier 22

Les cinq partis de l’Arizona se sont mis d’accord pour en finir avec les listes de suppléants et l’effet dévolutif du vote en case de tête. Mais une plus grande réforme électorale est encore possible…

N-VA, MR, Les Engagés, Vooruit et CD&V ont acté la suppression des listes de suppléants et de l’effet dévolutif de la case de tête qui était au menu des discussions institutionnelles, menées par le N-VA Sander Loones, de l’Arizona. Samedi 18 janvier, les négociateurs de l’Arizona se sont repenchés sur la note «institutionnelle», celle que porte le fidèle Sander Loones, à la tête du groupe de travail «Fédéralisme de réforme et renouveau démocratique». Le 21 janvier après-midi, ils s’y sont remis. Avec le relâchement qui est, sur ces sujets, le leur depuis quelques mois.

Car le gros de la question fédérale, disent-ils, est contenu dans les notes sur la fiscalité, les pensions et le marché du travail, sièges de l’affrontement idéologique le plus franc. Et Sander Loones, nationaliste flamand de la plus pure essence, sait que la grande réforme de l’Etat de ses rêves, la dernière ou la pénultième avant la scission, est impossible dans la configuration actuelle. Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez l’ont dit et répété. Ils ont même demandé et obtenu du formateur qu’il modère ses menées flamingantes, qu’ils retrouvaient à chaque paragraphe de chaque note préparatoire de chaque groupe de travail. Alors, comme son président Bart De Wever annonce des «progrès communautaires concrets», comme Theo Francken les promet lui aussi, Sander Loones et la N-VA en sont réduits à faire du communautaire sans drapeau.

Les aspects les plus évidemment communautaires (la scission de la SNCB ou la fusion des zones de police bruxelloises, même si elle est en suspens en raison de la situation politique dans la région capitale) de sa note de travail ont déjà été retoqués. Le MR et Les Engagés ne sont pas opposés à davantage de «responsabilisation» des Régions dans des matières socioéconomiques, certes. Mais de sources francophones, il ne restera plus grand-chose d’inchangé parmi les mesures contenues dans la trentaine de pages de sa version originale, datée de l’automne dernier. Le «fédéralisme de renouveau» n’amènera guère de conquête symbolique à la Flandre flamingante.

Le «renouveau démocratique», en revanche, portera des mesures perçues positivement, à la fois par la population et par les électorats concernés. Une de celles-là agite la réflexion depuis des décennies, et elle est présentée au chapitre «renforcement du système électoral»: la suppression de la case de tête et de son effet dévolutif, et la fin des suppléants.

La première impulsion de Sander Loones était plus large, la N-VA souhaitant instaurer, pour l’élection des députés de la Chambre des représentants, un système électoral couplant une circonscription régionale à la proportionnelle à plusieurs petites circonscriptions uninominales dans lesquelles chaque député serait choisi au scrutin majoritaire, un peu sur le modèle allemand. A cette différence notable qu’en Allemagne, la répartition des sièges à la proportionnelle se calcule à l’échelon national et pas à celui des Länder, et c’était une manière pour la N-VA de faire là encore un peu de communautaire sans drapeau.

Tous deux sont présentés comme une torsion de la volonté de l’électeur et un adjuvant à la particratie.

Le CD&V bloque

La proposition s’approchait de celle qui figure au programme 2024 des Engagés, qui prônait, assez vaguement, de s’inspirer «du système électoral allemand». La N-VA était de longue date favorable à l’introduction d’une dose de scrutin majoritaire, prélude à une grande explication confédérale, puisque cela aurait renforcé, comme premier parti en Flandre, donc aussi dans la plupart des éventuelles circonscriptions, son poids parlementaire à la Chambre. Dans les années 1990, les libéraux francophones s’étaient prononcés en faveur du passage à un scrutin majoritaire, mais la revendication ne figure plus parmi celles du MR. Les partis de l’Arizona restent attachés à la représentation proportionnelle, et l’ampleur des bouleversements électoraux qu’une telle réforme impliquait a, aux dernières nouvelles du moins, réduit l’amplitude des modifications envisagées. Le CD&V, surtout, s’opposait à cette réforme à l’allemande, qui le désavantagerait si la proportionnalité du scrutin était trop drastiquement réduite, et personne n’avait l’air de vouloir imposer ça coûte que coûte aux démocrates-chrétiens flamands (mais on ne sait jamais, dans la dernière ligne droite).

L’accord de gouvernement wallon MR-Les Engagés prévoit aussi la fin des suppléants et de l’effet dévolutif de la case de tête. Une vieille revendication des deux partis.  © BELGA

En l’attendant, l’introduction d’un tel système à l’allemande, précisait la note de l’automne, aurait, en outre, permis d’en finir avec la case de tête et son effet dévolutif, ainsi qu’avec les listes de suppléants. Et sur cette conséquence les cinq formations ont su se mettre d’accord (même si là non plus, on ne sait jamais, dans la dernière ligne droite). L’effacement du petit carré noir en haut de nos vénérables listes et la disparition des suppléants sont donc inscrits dans les astres fédéraux. Une réforme plus large est encore possible, mais ce petit pas est déjà acté par les négociateurs.

Il faut dire qu’il y a bien longtemps que suppléants et effet dévolutif de la case de tête ont mauvaise presse. Tous deux sont présentés comme une torsion de la volonté de l’électeur et un adjuvant à la particratie. L’effet dévolutif de la case de tête avait déjà été divisé par deux sous le premier gouvernement Verhofstadt, et cette disposition était à l’époque poussée par les libéraux comme un moyen de renouvellement démocratique. Côté francophone, il n’y en a plus aux élections communales, en Wallonie comme à Bruxelles depuis déjà plusieurs législatures. Et à Bruxelles, les listes de suppléants ont disparu des bulletins de vote régionaux depuis dix ans. La toute fraîche Déclaration de politique régionale wallonne (DPR) prévoit que les prochaines élections régionales de 2029 se disputent sans ces «mécanismes qui entravent la représentativité de notre modèle démocratique, comme l’effet dévolutif de la case de tête et la liste des suppléants». Et puisque cette même DPR annonce la fin des actuels arrondissements électoraux, les circonscriptions régionales auront à l’avenir la taille des provinces, comme pour les élections fédérales. L’électeur wallon votera donc exactement sous les mêmes modes de scrutin au régional et au fédéral en 2029 (enfin, on verra ça dans la dernière ligne droite de l’Arizona, on ne sait jamais).

Le politiquement correct prétend qu’ils empêcheraient le renouvellement du personnel politique. C’est en réalité l’inverse.

Volonté des électeurs et volonté des présidents

Il faut dire qu’il y a bien longtemps que suppléants et effet dévolutif de la case de tête ont disparu des programmes des centristes comme des réformateurs. «En 1999, le poids de la case de tête a déjà été diminué de moitié, à la demande des libéraux. Le MR est favorable à la suppression de l’effet dévolutif de la case de tête pour tous les scrutins, à tous niveaux de pouvoir», disaient les seconds le 9 juin. «L’électeur doit voir son pouvoir renforcé au détriment des partis politiques, ce qui implique que le poids de son vote doit davantage peser sur les mécanismes partisans», précisaient les premiers lors de la même campagne.

Parfois, ces deux éléments de contrainte institutionnelle ont orienté le parcours des rédacteurs des programmes. Ainsi Georges-Louis Bouchez est-il devenu parlementaire en 2014 grâce à la suppléance, lorsqu’il devint député régional à la place de Jacqueline Galant, désignée ministre du gouvernement Michel. Et ainsi ne l’était-il pas devenu en 2019, lorsque, depuis sa quatrième place, il avait obtenu plus de voix de préférence que la troisième, Caroline Taquin, mais que l’effet dévolutif de la case de tête avait permis à cette dernière de siéger, et pas lui, à la Chambre des représentants. Et le large renouvellement des effectifs parlementaires réformateurs n’est pas dû qu’à la victoire du 9 juin, mais à une savante confection des listes, et d’habiles protections allouées à des candidats effectifs placés haut, ou à des suppléants au talent crucial, donc à faire impérativement siéger. A Bruxelles spécialement, c’est grâce à cet effet dévolutif que plusieurs jeunes candidats dits «de la diversité», disposés assez haut sur les listes régionale (surtout) et fédérale (l’ancien PTBiste Youssef Handichi n’aurait pas été élu s’il n’avait été troisième dans l’ordre de présentation réformateur: la très expérimentée Viviane Teitelbaum aurait siégé et pas lui) peuvent poursuivre ou entamer leur parcours politique. Dans la circonscription de Liège, la première suppléance offerte à Mathieu Bihet a permis à ce talentueux ministrable –il est le plus proche conseiller énergie de son président de parti– d’être assuré de poursuivre sa carrière, au moins comme parlementaire, et plus si affinités. Ses voix de préférence n’auraient pas suffi. Ils sont traditionnellement entre 10% et 15% à la Chambre à avoir été élus alors qu’un ou plusieurs camarades avaient engrangé davantage de voix de préférence.

Et c’est un des éléments matériellement contradictoires de cette affaire. Le politiquement correct, de nos jours et depuis longtemps, prétend que les suppléants et l’effet dévolutif de la case de tête empêchent le renouvellement du personnel politique en contrecarrant les voix de préférence. C’est en fait l’inverse. Les voix de préférence freinent le renouvellement des parlements, car elles accordent une prime à ceux qui y sont déjà et qui ont eu le temps de se faire connaître. Elles vont en effet plutôt systématiquement aux sortants, ou aux fils de, ou aux célébrités attirées en politique, qu’aux jeunes promesses qui partent de rien ou de presque rien. Ce n’est que de la volonté des partis, et de leurs présidents, souvent, celle qui fait placer les jeunes plutôt que les vieux, les modernes plutôt que les anciens, que dépend, en réalité, la régénération des parlements. Davantage même que de la volonté des électeurs eux-mêmes.

Les électeurs socialistes votent moins en case de tête

Le vote en case de tête est une tradition belge que les électeurs perpétuent différemment selon le parti pour lequel ils votent. On pourrait se dire, par exemple, qu’un électeur libéral, d’inclination plus individualiste, serait plus enclin à voter pour un ou plusieurs candidats que dans l’ordre présenté par le parti. Pourtant, ce sont les électeurs socialistes qui ont le plus voté pour un ou plusieurs candidats, et le moins en case de tête, choix posé par seulement 38% d’entre eux. Quarante-trois pour cent des électeurs du MR et 49% des électeurs des Engagés ont coché la case de tête, tandis que plus de la moitié de ceux du PTB (55%), d’Ecolo (55%) et de DéFi (56%) ont semblé préférer la marque partisane à celles et ceux qui la portaient.

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