lundi, mars 24

Ulcéré par l’activisme belge contre la présence rwandaise au Congo, le pouvoir de Kigali a fini par rompre les relations diplomatiques. Mais se retrouve encore plus isolé.

Depuis le génocide des Tutsis en 1994, les relations entre la Belgique et le Rwanda ont été chaotiques, mais jamais elles n’avaient été rompues, comme cela vient de se produire à l’initiative de Kigali qui évoque des «tentatives pitoyables» de notre pays de «maintenir ses illusions néocoloniales». La raison? La Belgique, qui a exercé un mandat sur le Rwanda de 1923 à 1962, s’avère l’un des plus critiques à son égard depuis que la rébellion du M23, soutenue par Kigali, a lancé en décembre 2024 une offensive dans l’est du Congo, s’emparant des villes de Goma et Bukavu. Officiellement pour protéger les Tutsis congolais et le territoire rwandais.

Surtout, la Belgique plaidait depuis longtemps à l’Union européenne pour des mesures contre le Rwanda. En réponse, Kigali a suspendu les programmes belges d’aide au développement. La goutte qui a fait déborder le vase est tombée le 17 mars, avec l’adoption par le Conseil de l’UE de sanctions contre une dizaine de responsables rwandais et de membres congolais du M23 et de l’Alliance Fleuve Congo, bras civil de la rébellion. Le patron de Rwanda Mines, Petroleum and Gas Board (RMB) est également sanctionné, en lien avec le trafic illégal de ressources congolaises vers le Rwanda. Un véritable camouflet pour Kigali, qui a aussitôt coupé les ponts avec la Belgique.

La Belgique plaidait depuis longtemps à l’UE pour des mesures contre le Rwanda.

De nombreuses crises

Le torchon entre les deux pays brûlait depuis deux ans. En 2023, la Belgique refusait d’accréditer Vincent Karega comme nouvel ambassadeur du Rwanda en Belgique, après qu’il s’est fait expulser du Congo où il était en poste. C’était l’époque où le M23 venait de conquérir la ville de Rutshuru à la faveur d’une arrivée massive de troupes rwandaises sur le sol congolais. Avant d’être nommé à Kinshasa, Vincent Karega était en poste en Afrique du Sud. Là aussi, cela s’est mal passé. C’est sous son mandat qu’en 2014, Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements extérieurs rwandais, fut assassiné dans un hôtel à Johannesburg. L’enquête démontrera l’implication directe de Kigali.

La nomination de Vincent Karega avait donc tout d’une provocation. «Le Rwanda a commis une erreur d’appréciation, glisse une source aux Affaires étrangères belges. Le problème n’était pas notre refus d’accréditer Karega, mais la sous-estimation des Rwandais à l’égard de la Belgique.» Depuis lors, les relations diplomatiques se limitaient à des chargés d’affaires. Une mesure en entraînant une autre, Kigali a également refusé d’accréditer le diplomate Bernard Quintin (aujourd’hui ministre de l’Intérieur) comme envoyé spécial de l’UE dans la région des Grands Lacs.

Depuis 20 ans, les incidents n’ont pas manqué entre les deux pays. Exemple en 2006, quand la Belgique s’est insurgée contre le blocage d’un avion de Brussels Airlines à Kigali. Kigali répliquait ainsi aux mesures prises contre un avion-cargo de la compagnie rwandaise Silver Back, retenu au sol à Zaventem pour manquements aux conditions de sécurité. Signalée par la Belgique, la compagnie avait ensuite été inscrite sur la liste noire de la Commission européenne, ce qui avait suscité la colère du président Paul Kagame, l’homme fort du pays depuis 31 ans.

La dénonciation par la Belgique du soutien du Rwanda au M23 en RDC est à l’origine de la rupture entre Kigali et Bruxelles. © GETTY

Remuant diplomate

Jusqu’alors, la Belgique préférait faire profil bas plutôt que de l’affronter, par exemple sur les droits de l’homme ou le pillage du Congo. Quand elle intervenait, c’était de manière feutrée, eu égard à sa faute, reconnue, d’avoir abandonné le Rwanda durant le génocide. Le cas du père Guy Theunis a ainsi pu être résolu avec diplomatie. En 2005, ce père blanc avait été interpellé à l’aéroport de Kigali au moment de s’envoler vers Bruxelles. Inculpé pour incitation au génocide et révisionnisme, pour des écrits antérieurs à 1994, il était passible de la peine de mort. Finalement, Kigali a accepté son rapatriement, à condition qu’il soit poursuivi par la justice belge. Mais celle-ci n’a jamais rien trouvé dans son dossier… et le missionnaire n’a plus jamais été inquiété. Kagame ne l’a pas oublié.

Autre moment de tension, l’affaire Paul Rusesabagina. En 2021, ce Belgo-Rwandais, héros du film Hôtel Rwanda et critique virulent de Kagame, fut condamné à 25 ans de prison pour terrorisme. Libéré en mars 2023 grâce aux pressions américaines et belges, «Monsieur Paul» a repris ses propos virulents à l’égard du régime, affirmant que les Rwandais sont «prisonniers dans leur propre pays». Kagame, là aussi, a dû encaisser.

La personnalité de l’actuel ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, n’aide pas à apaiser les tensions. A l’époque où il était ambassadeur en Belgique, l’homme s’agitait fort sur les réseaux sociaux, préférant les propos agressifs et l’affrontement, au point que Jambo, la principale association de jeunes Belgo-Rwandais –dont le ministre assure qu’elle est infestée de l’idéologie génocidaire car composée partiellement de descendants de caciques de l’ancien régime–, a sollicité le roi Philippe pour qu’il ne lui accorde pas l’agrément. En vain. Le remuant diplomate ne s’est guère calmé après sa nomination aux Pays-Bas, où il s’est avéré qu’il possédait un compte anonyme sur X, qu’il utilisait pour intimider les opposants. L’affaire a pris une tournure politique à La Haye, et le diplomate fut discrètement rappelé par Kagame qui l’a nommé… ministre.

Olivier Nduhungirehe était repassé par Bruxelles ces dernier jours pour des rencontres européennes. Mais il a dédaigné l’invitation lancée par le ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot (Les Engagés) pour un entretien. «On peut supposer que le gouvernement rwandais a probablement préféré se contenter d’une vision unilatérale et biaisée de notre position», en a conclu Prévot, qui regrette la décision «disproportionnée» de Kigali. Une source belge ajoute: «Il est tout à fait faux de prétendre comme les Rwandais qu’on ne dit rien sur les FDLR (NDLR: les forces hutues émanant des anciennes milices génocidaires et basées dans l’est du Congo), et qu’on ne fait pas pression sur Kinshasa. Mais on ne transige pas avec le droit international ni avec les droits humains.»

« L’étau commence à se resserrer autour du président rwandais.»

Le rappel du passé colonial

Paul Kagame, lui, préfère une nouvelle fois convoquer le passé colonial. «L’ironie, c’est de constater que les responsables du problème sont ceux-là mêmes qui réclament des sanctions contre le Rwanda», a-t-il lancé face à la population rassemblée au BK Arena de Kigali, le 16 mars. «L’un de nos malheurs est d’avoir été colonisé par un petit pays, qui a divisé le Rwanda pour l’adapter à sa propre taille», a-t-il osé. Réplique de Maxime Prévot: «La Belgique ne cherche ni à punir ni à affaiblir le Rwanda, encore moins en fonction d’un passé colonial dont elle a pris ses distances depuis longtemps. Il s’agit d’une déformation totale des faits.»

En 2000, par la voix du Premier ministre libéral Guy Verhofstadt, la Belgique avait demandé pardon au Rwanda pour le rôle délétère qu’elle aurait joué avant et pendant le génocide. Kagame avait alors qualifié ces propos d’«héroïques», mais cet apaisement ne s’est pas traduit dans les faits. Ambassadeur belge au Rwanda durant les années tragiques, Johan Swinnen estimait dans Le Vif, en 2012, «qu’on s’est un peu humiliés cette année-là. [Guy Verhofstadt et le ministre des Affaires étrangères Louis Michel] ont donné l’impression qu’on disculpait le nouveau pouvoir et que nous étions les coupables de tous les maux du Rwanda. Or, la Belgique n’a pas à rougir.»

Les relations avec la Belgique sont-elles condamnées à rester houleuses tant que Kagame sera au pouvoir, lui qui vécut en exil en Ouganda du fait d’un régime hutu soutenu par notre pays? «Les relations diplomatiques, cela évolue en permanence, et parfois très rapidement, répond Nina Wilén, directrice du programme Afrique à l’Institut Egmont. Regardez la Belgique et le Congo, qui sont déjà passés par de nombreuses crises. Regardez aussi la France et le Rwanda, qui ont rompu leurs relations diplomatiques entre 2006 et 2009, et qui sont très proches actuellement. Tout cela dépend des contextes et des individus.»

«L’étau commence néanmoins à se resserrer autour du président rwandais», estime Nina Wilén, qui souligne le consensus grandissant au sein de l’UE, du Conseil de sécurité et du G7 pour le respect de l’intégrité territoriale du Congo: «En fin stratège, Paul Kagame préfère s’attaquer à la Belgique avec laquelle les enjeux sont moindres, plutôt qu’à la France, par exemple, car il a besoin du soutien de Paris pour poursuivre la lucrative mission au Mozambique de lutte contre les groupes djihadistes», et, au passage, protéger les installations du groupe pétrolier TotalEnergies. La Belgique s’est abstenue de participer à la reconduction de ce financement européen. Reste à voir jusqu’à quand le pouvoir rwandais sera en mesure de jouer un Etat contre un autre.

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