Les réactions outrées aux propositions du PS sur le salaire minimum et la réduction du temps de travail à 32 heures arrangent bien Paul Magnette. C’est pourquoi elles sont très bêtes, et aussi très fausses.
C’était ce que les socialistes voulaient, et ça n’a pas raté. Tous les bien-pensants de Belgique et de Flandre se sont réunis dans une coalition de furie. Il se sont jetés tout énervés pour décerner au Parti socialiste wallon un brevet de subversion qu’il ne mérite pas plus qu’un imam pakistanais au front bas n’a droit à une médaille d’intégration sociale.
L’imposture qui réhabilite lui est offerte par ses plus caricaturaux ennemis, et voilà le vieux parti ouvrier endormi par des décennies de pouvoir, engourdi par un siècle d’embourgeoisement, avili par des lustres de prévarications, subitement redevenu ce cool épouvantail de l’establishment qu’il fait tous les cinq ans semblant d’être. Tout ça parce qu’en une semaine, il est apparu que le PS souhaitait, premièrement, augmenter les bas salaires, à 2800 euros pour le salaire minimum, et, deuxièmement, réduire le temps de travail, à 32 heures par semaine, souhaits si sincères qu’ils sont au programme socialiste depuis toujours, mais requêtes d’une violence telle et, semble-t-il, d’une innovation si ébouriffante qu’éditoriaux en toutes langues et patrons de tous secteurs s’en sont montrés soufflés. Ils ont dit, les prescripteurs du politiquement correct, que c’étaient des mesures dignes de pays communistes, et c’était très faux parce que dans les régimes communistes, les gens ont toujours travaillé beaucoup trop, et toujours pour beaucoup trop peu. Mais c’était surtout très bête, parce que se faire traiter de communiste par de tels adversaires est le plus grand délice du socialiste en campagne.
Et ils ont écrit, les apôtres du penser comme il faut, que c’étaient des mesures utopiques, irréalistes, impossibles et fantaisistes, et c’était très lassant parce qu’ils le font à chaque fois. Mais surtout parce que c’est très faux.
Il est en effet beaucoup plus simple pour un gouvernement d’imposer aux entreprises de hausser les salaires et de réduire le temps de travail de ses employés, que pour un gouvernement de s’imposer des mesures d’économie de 27 milliards en sept ans. L’obstacle est politique, donc surmontable, d’un côté, matériel, donc indépassable, de l’autre. Dans leur théorie à eux, comme dans sa pratique à lui, le service public porte dans sa raison sociale une lourdeur qui le rend gourd. Quand il s’adapte, il bafouille et dysfonctionne, il s’effondre et parfois des gens meurent, ça ne marche jamais et les gouvernements reviennent toujours sur leurs intentions. Il suffit de se rappeler des économies dans les soins de santé avant le Covid, des économies dans les services de sécurité avant les attentats et des économies dans les chemins de fer après Jacqueline Galant.
Une entreprise, elle, est agile dans leur théorie à eux et dans sa pratique à elle, parce que si elle ne s’adapte pas, elle meurt, et une entreprise qui ne veut pas mourir s’adaptera, quitte à s’en aller, quitte à licencier, quitte à détruire la création, à des salaires plus élevés et à des horaires plus légers, pour peu qu’un rapport de forces politiques le lui commande.
Pourtant, eux qui veulent toujours opposer le bon sens de l’observation et le pragmatisme du réel aux vicieuses sirènes idéologiques du biais politique, eux qui prétendent confronter les choses telles qu’elles sont au monde tel que les partis rêveraient qu’il soit, ils emploient le registre du réalisme pour ce qui est irréalisable en pratique, et de l’irréalisme pour ce qui n’est impraticable que dans leur théorie.
Nicolas De Decker est journaliste au Vif.