Un mois après avoir décidé de prendre la formation d’un gouvernement bruxellois à son compte, Georges-Louis Bouchez n’y parvient pas. Le Montois, démontant les erreurs stratégiques de ses interlocuteurs, assure qu’il a encore deux ou trois cartouches en poche. Après quoi, «il y aura une proposition qui tombera, et ce sera à prendre ou à laisser».
Le maillot du RSC Anderlecht pendu à une poignée de porte de son bureau témoigne de l’intérêt que Georges-Louis Bouchez porte à Bruxelles, la mission qu’il s’est donnée de former un gouvernement pour la ville-région, aussi. Problème: pour le Sporting comme pour le président du MR, cette fin de printemps se termine un peu en eau de boudin, avec une série de scénarios cul-de-sac. Pour les mauves comme pour les bleus, il reste quelques jours pour ne pas perdre la face: Anderlecht disputera une finale de coupe dimanche, pendant qu’un scénario d’un gouvernement bruxellois sans le MR débarque sur les tablettes de leur ennemi local, le Parti Socialiste.
Dans le cadre d’un gouvernement majoritaire à Bruxelles, le PS vous a dit non si c’était pour y aller avec la N-VA. Pareil pour Ecolo. Alors, vous avez voulu composer un gouvernement minoritaire côté francophone avec DéFI… Qui vous dit non à son tour si c’est pour «y aller» avec la N-VA. On fait quoi, maintenant ?
Georges-Louis Bouchez: Je vais être très clair avec vous, je ne veux pas retourner vers le PS. Un âne ne bute pas deux fois sur la même pierre. Très franchement, qu’est ce qui a changé aujourd’hui qui ferait qu’on se remette à palabrer? Je n’ai jamais considéré que le PS était en capacité de faire un accord. Et donc aujourd’hui, on fait une proposition claire d’une majorité plus homogène sur le plan idéologique pour faire les réformes dont Bruxelles a besoin. L’alternative, c’est quoi? La tutelle fédérale, on ne veut pas l’entendre, mais elle va arriver. Deuxième alternative: le gouvernement bruxellois actuel prend des mesures. Là, ça va devenir très intéressant parce que je voudrais quand même bien voir les mesures d’économies que le PS et Ecolo sont capables de prendre aujourd’hui pour rassurer les marchés financiers…. Je rappelle que nous ne bloquons rien, Rudi Vervoort est toujours Ministre-Président de Bruxelles, donc il peut quand même déposer un budget, où est le problème? La troisième possibilité, c’est qu’à un moment donné, les gens deviennent un peu plus raisonnables et se mettent d’accord autour d’un projet. On va proposer des éléments de projet, et on verra si les gens préfèrent Bruxelles à leurs calculs stratégiques.
Tout ça ressemble tout de même à un gouvernement minoritaire…
On n’arrête pas de l’appeler gouvernement minoritaire… Mais si on a un gouvernement minoritaire à la Cocof, on n’a qu’un problème, c’est Bruxelles-Formation. On peut très facilement le contourner, et on pourrait avoir une reprise de Bruxelles-Formation par Actiris. Qu’est-ce qu’il y a d’autres dans la Cocof ? Les subsides aux associations. Vous pensez vraiment que PS et Ecolo ne voteront pas les subsides à leurs associations chéries?
Mais au Parlement bruxellois, c’est la gauche qui a la main. Regardez l’exemple, la semaine dernière encore, de l’encadrement des loyers abusifs qui a été voté par une majorité alternative de gauche.
La gauche n’a pas la main au parlement. S’ils l’avaient, pourquoi ne forment-ils pas un gouvernement ? Posez la question à Vooruit et à Groen pour voir s’ils veulent gouverner avec le PTB. Le problème, au parlement bruxellois, c’est qu’on a un bloc de gauche, gauche radicale, de 42 ou 43 sièges. Et il y a un bloc du centre droit de 40 ou 41 sièges. Donc quand on dit les Bruxellois votent à gauche, ce n’est pas vrai.
Mais ce bloc de «gauche radicale»ne semble pas si complexe à désintégrer: ne montez pas avec la N-VA dans le gouvernement bruxellois.
Ce n’est pas nous qui disons qu’on ne monte pas sans la N-VA, c’est le VLD. Deuxièmement, le problème n’est pas sur la N-VA mais sur la capacité à mettre en place des réformes à Bruxelles, et le PS n’a jamais démontré savoir le faire. Troisième élément, qui n’est pas mince, c’est l’exclusive ridicule du PS à l’égard de la N-VA. Surtout que nous sommes les seuls à avoir proposé un compromis, celui du commissaire de gouvernement. Un bon compromis à la belge: personne n’était content, mais personne n’était mécontent non plus. La crainte du PS de voir la N-VA bloquer Bruxelles était totalement neutralisée, puisque la N-VA ne serait pas en mesure de pouvoir bloquer les décisions gouvernementales. Le problème d’Ahmed Laaouej, c’est qu’il est incapable de faire un compromis.
Et quand il a proposé David Leisterh comme ministre-président au vote du Parlement?
Ca, c’était une évidence, pas un compromis. Qui souhaiterait remplacer David Leisterh aujourd’hui ? Personne. Sa légitimité est indiscutable. Le compromis d’Ahmed Laaouej, c’est de placer David Leisterh à la tête d’un gouvernement à ligne majoritairement socialiste. Donner un bureau et un titre, mais pas l’inclinaison politique, ça on ne peut pas l’accepter. Dans la note de juillet (NDLR: base des négociations entre MR, PS et Engagés avant le blocage relatif à la majorité néerlandophone), le PS n’a même pas été capable d’admettre qu’il fallait renforcer l’activation des chômeurs.
Il y a plein de gens du PS qui me disent ne pas comprendre l’attitude d’Ahmed Laaouej. Sa stratégie, c’est d’attendre.
On lit depuis quelques jours qu’il y a des stratégies de recrutement histoire de conforter les groupes politiques. Latifa Aït-Baala vous a quittés pour rejoindre le PS, le MR a cherché à attirer les défections du PTB ou du Vlaams Belang. Ca n’a pas marché, visiblement…
Ca, vous n’en savez rien. Si je dis qu’avec DéFI on a un gouvernement, c’est qu’avec DéFI, on a un gouvernement…
Donc, vous allez avoir des arrivées.
Des parlementaires, et pas spécialement ceux auxquels on pense, me disent que cette situation est intenable. Il y a plein de gens du PS qui me disent ne pas comprendre l’attitude d’Ahmed Laaouej. Sa stratégie, c’est d’attendre. Moi, je regrette cette mission d’information (NDLR: entamée par Christophe De Beukelaer et Elke Van Den Brandt fin février) après la démission de David Leisterh. Personne n’aurait dû prendre cette mission tant qu’Ahmed Laaouej ne l’assumait pas. C’est la tradition institutionnelle dans notre pays, quand le premier n’y arrive pas, de passer au deuxième.
Vous dites ça parce que la mission d’Elke Van den Brandt et Christophe De Beukelaer s’est soldée sur des conclusions qui ne vous plaisent pas. Ils sont pourtant d’accord pour dire que la seule option est un gouvernement à sept, sans la N-VA…
Mais le VLD ne vient pas, et le CD&V dit que dans ces conditions, ce n’est pas sûr qu’il vienne. Ce ne sont pas des conclusions. Il faudra un jour que je fasse un one-man show sur la fin de cette mission d’information. Si c’était une conclusion, pourquoi il n’y a pas de formateur à la fin? Parce qu’il n’y a pas de majorité néerlandophone, et que dans ce contexte, les partis flamands ont dit qu’aucun d’entre eux ne laisserait se mettre en place un gouvernement bruxellois. Et le PS dit l’inverse. Il ne fera pas obstacle à un gouvernement minoritaire francophone au parlement. Moi, je fais avec les éléments que j’ai, et je peux me permettre de ne pas avoir une majorité francophone tant que je l’ai sur l’ensemble du parlement. C’est le cas avec DéFI.
Mais il y a un épouvantail de l’autre côté du parlement !
Mais quel est le plus grand danger de Bruxelles ? Les fusillades ou Cieltje Van Achter (NDLR: présidente de la N-VA à Bruxelles)? Je suis plus à droite qu’elle, le MR est plus à droite que la N-VA bruxelloise.
Quoiqu’il en soit, Christophe De Beukelaer (Les Engagés) a dit qu’on ne pouvait pas arriver au 1er mai dans cette situation. Il n’y a aucun risque qu’il se tourne vers d’autres partenaires, sans vous ? (NDLR: quelques heures après l’interview, le PS a affirmé être prêt à provoquer une majorité bruxelloise sans le MR, invitant Les Engagés au moins pour voter un budget.)
Je ne peux pas le croire. Ce ne serait pas une erreur, mais une faute. Mes relations avec Les Engagés ne sont pas de cet ordre là. Mais Christophe a raison, l’encéphalogramme plat n’est pas une solution. Donc à la fin, il faudra venir au parlement avec un projet, et vote qui a envie de voter. Chacun se fera une opinion. Si on n’est pas capable de se mettre d’accord sur une ligne politique, on va amener un projet et faire en sorte que les gens se positionnent dessus. Il reste deux ou trois initiatives possibles avant… Il y a quand même un game changer que beaucoup de francophones n’ont pas vu, c’est que la N-VA a pris le Seize.
Ce sera ça ou la tutelle? Tout le monde sauf vous dit pourtant que c’est impossible de mettre Bruxelles sous tutelle.
Si la note de Bruxelles (NDLR: par Sandard&Poors, attendue en juin) se dégrade, cela a un impact sur les taux d’intérêts futurs, mais aussi en cours. Si je suis une banque, pour prêter à Bruxelles, je vais demander des garanties à l’Etat fédéral. Ce sera peut-être même l’Etat fédéral qui empruntera directement pour Bruxelles. La tutelle arrivera pas l’assèchement financier, qui est incontournable. A partir de ce moment-là, le fédéral mettra ses conditions pour que Bruxelles fasse les réformes nécessaires. Une disposition de la loi spéciale le prévoit.