Le gouvernement français s’apprête a tripler la taxe sur les billets d’avion. Résultat: les compagnies crient à la catastrophe. Au niveau européen, la taxe sur le kérosène reste un dossier épineux. Les ONG mettent la pression.
La nouvelle taxe de solidarité sur les billets d’avions est dans les cartons du gouvernement Barnier, en France. Elle devrait tripler et rapporter un milliard d’euros à l’exécutif qui cherche, par tous les moyens, à renflouer les caisses de l’Etat très endetté. Le projet a évidemment créé beaucoup de remous au sein des compagnies hexagonales, puisque cette taxe s’applique à tous les vols au départ de la France. «Il faut s’attendre au pire», clament les patrons de l’aérien qui préviennent que la taxe sera répercutée sur les passagers. Les Belges qui prennent leur envol depuis les aéroports français seront donc concernés.
Le ministre délégué des Transports, François Durovray, qui doit gérer ce dossier chaud, s’est défendu dans les colonnes de La Tribune en expliquant, comme l’avait fait le Premier ministre, que cette hausse de taxe s’inscrit dans un contexte où il faut lutter contre la dette budgétaire et la dette climatique. «Je ne pense pas que, pour les vols en Europe, une taxe de 9,50 euros (Ndlr: le montant auquel le triplement aboutirait pour les billets en classe économique) remette en cause les équilibres, a-t-il ajouté. De même que 120 euros sur un Paris-New York en classe affaires, proposé à plusieurs milliers d’euros.»
Ce remue-ménage franco-français remet sur le tapis le régime fiscal très avantageux dont bénéficie toujours le secteur aérien, pourtant responsable de 2,5% des émissions de CO2 totales, malgré les progrès techniques apportés aux appareils (efficacité des moteurs, matériaux de construction plus léger, etc.) depuis 30 ans. L’an dernier l’ONG européenne Transport et Environnement a calculé combien les gouvernements de l’Union perdaient chaque année en raison de la faible taxation, en calculant le manque à gagner dû à toutes les exemptions fiscales accordées aux compagnies du continent. Celles-ci ne paient pas de taxe sur le kérosène, peu ou pas de taxes sur les billets ou de TVA et un prix du carbone sur les vols intra-européens uniquement. Le gap fiscal est de 34,2 milliards d’euros par an (calculé pour 2022, une année encore marqué par le Covid).
Les pays les plus concernés sont sans surprise le Royaume-Uni (un gap de 5,5 milliards), la France (4,7 milliards), l’Espagne (4,6 milliards) et l’Allemagne (4 milliards). Dans ce tableau, la Belgique, dont le manque à gagner s’élève à 700 millions d’euros, n’est pas en reste et arrive en onzième position. On recense deux types de taxe pour l’aérien belge, qui compte environ 30 millions de passagers annuels. La TVA sur les billets d’avion pour les vols domestiques, à 6%, soit un taux très bas par rapport au reste de l’Europe (19% en Allemagne, 10% en France, en Italie ou en Espagne, 21% aux Pays-Bas, 24% en Grèce et même 27% en Hongrie). Et une taxe à l’embarquement selon la distance parcourue, soit 10 euros pour les vols de moins de 500 kilomètres (depuis avril 2022), 2 euros pour les vols au sein de l’Europe et 4 euros pour les vols qui quittent l’Europe. C’est moins que la France et les Pays-Bas, mais davantage que nombre de pays qui ne prélèvent pas de taxe à l’embarquement sur les vols intra et extra Europe.
Une exonération vieille de 70 ans
Mi-octobre, une ONG (Stay Grounded), qui rassemble plusieurs associations militant pour réduire le trafic aérien, a avancé une proposition dans laquelle elle demande à l’UE d’imposer une taxe européenne sur les «grands voyageurs», à partir d’un troisième vol aller-retour annuel. Pour l’ONG, il serait plus équitable que les voyageurs qui prennent plus souvent l’avion contribuent davantage fiscalement. Le montant de la taxe serait au départ de 50 euros pour un troisième vol, puis augmenterait progressivement de 100 jusqu’à 400 euros pour les vols suivants, avec une majoration pour les long-courriers et la classe affaire. Avec cette taxe, le nombre de voyages de passagers diminuerait de 25% d’ici 2028, et les émissions de CO2 liées aux vols baisseraient de 20%. En outre, cela rapporterait à l’Union européenne 51 milliards d’euros de plus que les taxes aériennes actuelles.
Si le secteur de l’aviation est privilégié au niveau des taxes sur le carburant, c’est en raison d’un vieil accord multilatéral signé il y a 70 ans par 52 chefs d’Etat et aujourd’hui par 193 pays: la fameuse Convention de Chicago posant les fondements de la coopération internationale en matière d’aviation civile, qui, entre autres points, exonère fiscalement le kérosène. A l’époque, l’aviation commerciale se développait à grande vitesse. Cet accord, qui date de décembre 1944, était censé aider à «préserver entre les nations et les peuples du monde l’amitié et la compréhension» et «la coopération dont dépend la paix du monde».
Pour la petite histoire, l’accord se limitait à une exonération du «carburant en transit», soit le kérosène contenu dans le réservoir de l’avion lors de son atterrissage dans un état lié par l’accord. En d’autres termes, elle autorisait la taxation des carburants par le pays où les réservoirs sont remplis et mais voulait éviter la double imposition en empêchant les pays où l’avion atterrit de taxer les carburants encore en réservoir. Mais très vite, des accords bilatéraux ont été signés – il y en a plus de 3.000 – pour exonérer également le carburant embarqué. Taxer le kérosène est donc aujourd’hui compliqué dans le chef d’un seul état, pour des raisons de concurrence. Cela ne peut qu’être envisagé à un niveau international.
L’Union européenne y réfléchit depuis trois ans, dans le cadre la révision de la Directive sur la taxation de l’énergie et du Green Deal qui doit permettre d’atteindre les objectifs de réduction de CO2. La Commission a déposé un projet prévoyant la suppression de l’exonération pour le kérosène. Selon les calculs, un droit d’accise de 0,1 euro/litre de kérosène (qui serait le scénario a minima) permettrait de récolter 6 milliards d’euros. Si on appliquait un droit d’accise de 0,33 euro/litre, conformément à la Directive réglementant les droits d’accise en particulier sur les carburants qui fixe un taux minimal à 0,33 euro, cela rapporterait 20 milliards d’euros, à comportement inchangé des voyageurs potentiels.
Mais, pour l’instant, le projet patine. En avril dernier, peu avant les élections, le principal négociateur de ce dossier au sein du Parlement UE, Johan Van Overtveldt, l’ancien ministre des Finances N-VA et membre du groupe de droite ECR, a choisi de bloquer le vote en commission des Affaires économiques. Il appartient désormais au Conseil de prendre une décision. Mais, selon un document divulgué en septembre, la Hongrie voudrait reporter la taxe sur le carburant d’aviation à… 2049. Or la fiscalité reste un domaine pour lequel toute législation doit être adoptée à l’unanimité des Vingt-Sept. La position hongroise est «totalement absurde», a réagit Transport & Environnement. Cela reste donc épineux, mais la politique climatique de l’UE rend cette taxe inéluctable.