vendredi, avril 11

La hausse des droits de douane décidée par Donald Trump vise à réindustrialiser l’économie américaine. L’Union européenne hésite entre négociation et rétorsion. Faut-il aider VW à tout prix?

Dans l’arsenal des hausses de taxes douanières annoncé le 2 avril par Donald Trump, celle de 25% frappant les voitures et les pièces détachées qui les composent a ébranlé le secteur. Elle touche en premier lieu deux partenaires majeurs des Etats-Unis dans le domaine, le Mexique et le Canada, où, en vertu de la pratique opérée ces dernières années du «nearshoring», plusieurs constructeurs, y compris américains, s’y sont implantés pour être au plus près du juteux marché américain, tout en bénéficiant de conditions, notamment salariales, avantageuses par rapport aux standards des Etats-Unis.

«Le plus déstabilisant pour l’ensemble du secteur automobile nord-américain, c’est le fait que la zone de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, en place depuis longtemps et dont personne ne pensait qu’elle serait remise en cause, le soit, analyse Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux. Cela signifie que le Canada et le Mexique, les deux principaux hubs auxquels s’alimente le marché états-unien, seraient menacés ou coupés.»

«Le plus déstabilisant est que la zone de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique soit remise en cause.»

Relocalisation à tout prix

Le spécialiste met en avant cette nouvelle donne (la remise en cause de l’accord de libre-échange nord-américain et le niveau plus élevé de la surtaxe douanière appliquée aujourd’hui) pour expliquer que ce qui n’a pas réussi lors du premier mandat de Donald Trump entre 2017 et 2021 pourrait éventuellement produire des effets. Mais quel est le principal objectif de la stratégie américaine dans le secteur automobile?

«Ces droits de douane sont là pour tordre le bras à l’ensemble des constructeurs présents sur le marché américain afin de les amener à localiser leurs chaînes d’assemblage aux Etats-Unis, précise Bernard Jullien. Une même pression s’exerce sur les équipementiers. Donald Trump met la barre très haut pour obtenir quelques décisions de relocalisation. Il est possible qu’une fois ce résultat obtenu, il proclame avoir gagné et qu’il allège les contraintes parce que, dans le cas contraire, elles généreront à la fois une très forte déstabilisation des organisations industrielles de tous les pays concernés et éventuellement d’assez importants renchérissements du prix des produits proposés aux consommateurs.»

Il n’empêche, une délocalisation d’une usine automobile ne s’opère pas dans un délai court. «Quand les droits de douane sont durables, ils peuvent conduire les entreprises à « sauter » les barrières commerciales et à investir dans le pays qui les impose, avance Malorie Schaus, maître de conférences à l’ULB et spécialiste du commerce international. Mais on n’est qu’au début du processus. Ces hausses de tarifs douaniers vont nécessairement engendrer des mesures de rétorsion de la part des partenaires commerciaux qui sont touchés. Elles concernent les importations d’automobiles mais aussi de pièces détachées. Elles touchent donc vraiment des chaînes de valeurs très intégrées entre les Etats-Unis, l’Union européenne et le monde. On ne peut pas opérer une relocalisation du jour au lendemain. Cela prendra beaucoup de temps; on peut compter en années, voire en une décennie.» «La décision d’implanter un modèle ici ou là se prend toujours en début de programme, complète Bernard Jullien. On ne peut pas, alors que la voiture est déjà en vente depuis un an ou deux, décider d’un coup qu’on l’assemblera sur un autre site. Déjà le constructeur pourrait ne pas avoir la place pour le faire. Accessoirement, une partie de l’organisation logistique, des outillages manqueront… Ce n’est pas parce que Donald Trump décide d’une hausse des droits de douane le 2 avril que le 10 ou même un an plus tard, un assemblage sera déplacé. Cet objectif est assez hors d’atteinte», avertit même le maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux.

«La tentation des Européens d’être fermes sera contrecarrée par tous ceux qui ont le plus à perdre.»

Désunion européenne?

Après le Mexique et le Canada, les principaux pays affectés par la vindicte tarifaire de l’administration américaine sont le Japon, la Corée du Sud et, en Europe, principalement l’Allemagne. A quelle réplique peut-on s’attendre de la part de l’Union européenne? Bernard Jullien doute qu’elle puisse dégager une position unanime. «L’accord des Européens entre eux est fort improbable. Les intérêts des Etats sont assez contrastés. La tentation d’être fermes sera contrecarrée par tous ceux qui ont le plus à perdre. En l’occurrence, il s’agit d’exportations de véhicules vers les Etats-Unis qui concernent clairement l’Allemagne et ses « satellites » où sont assemblés certains modèles allemands, comme la Slovaquie, et un tout petit peu d’autres pays comme la Suède, l’Italie Se mobiliser fortement en Europe contre les droits de douane dans le secteur automobile, c’est le faire pour l’Allemagne et cela risque de s’effectuer au détriment, par exemple, du Cognac français. Dès lors, trouver une unité européenne sera compliqué.»

Une autre hypothèque pèse sur l’avenir de l’industrie automobile européenne. Le contexte difficile amènera-t-il les Européens à être moins regardants sur les réglementations environnementales? Malorie Schaus et Bernard Jullien en doutent. La première parce que «le deuxième pilier du Plan d’action industrielle pour le secteur automobile européen publié par la Commission au début du mois de mars reste la mobilité verte». Et cela, même si on assiste à «un mouvement de recul, qui crée d’importantes tensions entre la Commission et le Parlement européen». Le second parce que «l’Union européenne est dans une configuration politique –Ursula von der Leyen a été élue avec des voix des écologistes– qui fait que l’on n’en est pas encore à remettre en question ce qui a été voté en 2023, et parce que ce serait une grossière erreur puisque le retard face à la Chine s’accentuerait».

Partager.
Exit mobile version