Un nouveau scandale d’espionnage a éclaté au sein de l’Union européenne. Les smartphones de députés européens ont été infiltrés. Une situation qui se répète depuis des années, selon plusieurs eurodéputés belges, qui dénoncent l’inaction de la Commission.
L’Union européenne (UE) est une passoire et ne prend pas la mesure de la menace que représente l’utilisation de logiciels espions pour nos démocraties et notre sécurité. On leur ouvre nos portes et on dit ‘entrez, venez nous espionner’ ». L’eurodéputée belge Saskia Bricmont (Ecolo) s’inquiète des nouvelles révélations d’espionnage de membres de la sous-commission Défense et sécurité du Parlement européen. Sur leurs téléphones, des logiciels espions ont été retrouvés, révèle Politico.
Le GSM de Tom Vandenkendelaere (CD&V), seul représentant belge de cet organe, a été épargné. Il n’en reste pas moins choqué. « Nous abordons des sujets comme l’approvisionnement d’armes à l’Ukraine. Dans le cas de dossiers sensibles, les réunions se font à porte fermée. Mais certains n’hésitent plus à prendre des risques pour nous espionner, s’inquiète le député européen. On l’a vu avec le Qatargate, l’influence des pays tiers sur notre travail ne cesse de s’accroître ».
« Le rôle de l’Union européenne au niveau géopolitique va grandissant, donc ça ne m’étonne pas », témoigne Philippe Lamberts, eurodéputé depuis 2009 (Ecolo). En filigrane, la proximité des élections européennes du 9 juin prochain multiplie les tentatives d’espionnage. « Est-ce que la responsabilité avérée d’Israël et du Maroc dans des affaires d’espionnage empêche les institutions de prendre leurs responsabilités ? Ce sont des pays vis-à-vis desquels l’UE a du mal à se positionner« , s’interroge Saskia Bricmont.
« Les faits d’espionnage sont avérés et graves, mais on dirait que la Commission européenne a des œillères »
Saskia Bricmont
Pegasus, le logiciel espion qui gangrène l’UE
Ce n’est pas la première fois qu’un scandale d’espionnage touche l’UE. En 2016, une enquête journalistique de grande ampleur avait révélé « l’affaire Pegasus« . Le logiciel espion israélien avait alors touché plusieurs centaines de politiques, journalistes, militants et chefs d’entreprises. Le logiciel, qui infiltre les smartphones à distance, est considéré comme une arme de guerre. Pegasus peut (quasi) tout faire: écouter les appels, activer le micro, la caméra, la géolocalisation, et même allumer le GSM s’il est éteint.
Depuis ces révélations, une commission d’enquête s’est réunie au sein du Parlement européen pour plancher sur le sujet. Saskia Bricmont en était la coordinatrice pour les écologistes du groupe Verts/ALE. « Les faits d’espionnage sont avérés et graves, mais on dirait que la Commission européenne a des œillères. Je ne m’explique pas l’omerta qui règne sur ce sujet« . Pourtant, certains hauts gradés comme la présidente du Parlement européen Roberta Metsola ont également été touchés. Sans oublier des (ex-) chefs d’Etat comme Emmanuel Macron et Angela Merkel.
« Accéder aux téléphones des eurodéputés est relativement facile »
Marc Botenga (PTB)
Les eurodéputés belges interrogés s’accordent à dire que les institutions européennes ne sont pas assez protégées contre les logiciels espions. « Accéder aux téléphones des eurodéputés est relativement facile, déplore Marc Botenga (PTB). Ce qui se passe est grave. En tant que membre de la Commission de l’Industrie, je ne suis pas à l’abri de l’espionnage industriel« .
L’an dernier, le député européen d’extrême gauche s’est rendu en Israël (avant l’attaque terroriste du Hamas), lors d’une mission organisée par le Parlement européen. « Lors de telles visites, nous devons prendre des précautions. J’ai changé de téléphone avant de partir. Sur place, je n’utilisais pas de WiFi public, ou n’importe quelle entrée USB pour brancher mes appareils ».
« En Israël, je devais laisser mon téléphone à la maison »
Eviter les griffes des logiciels espions installe une pression mentale quotidienne pour certains. « En Israël, la prudence me poussait à laisser mon téléphone à la maison. Il faut se dire que tout est cartographié, enregistré, et se montrer particulièrement prudent lorsqu’on touche à des documents confidentiels. Même une fois à l’hôtel, je ne pouvais pas me relâcher ».
Philippe Lamberts, de son côté, gère la situation autrement. « Je n’ai rien à cacher: l’essentiel de mon travail est consultable publiquement, donc si on veut savoir ce que je pense il suffit d’écouter ce que je dis ». L’eurodéputé fait toutefois davantage attention lorsqu’il s’entretient avec des chefs d’Etat ou leaders d’institution. « Dans ces cas-là, je laisse carrément mon téléphone à la porte« .
UE: un ‘tech-lab’ pour plus de sécurité ?
Dans ses conclusions, la commission d’enquête Pegasus recommande la création d’un ‘tech-lab européen’. Cet organe imposerait des normes de sécurité plus strictes pour les appareils des eurodéputés, qui pourraient les faire contrôler. « Pour le moment, on n’est pas à niveau point de vue technologie, conclut Saskia Bricmont.