dimanche, novembre 24

Trois cents milliards de dollars par an, dans dix ans: les pays développés se sont engagés dimanche à Bakou à financer davantage les pays pauvres menacés par le changement climatique, au terme d’une chaotique conférence de l’ONU en Azerbaïdjan dont le monde en développement repart déçu.

Le financement promis pour 2035 « est trop faible, trop tardif et trop ambigu« , a regretté le Kényan Ali Mohamed, parlant au nom du groupe africain. Son homologue du Malawi, représentant les 45 pays les plus pauvres de la planète, Evans Njewa, a dénoncé un accord « pas ambitieux ». « Le montant proposé est lamentablement faible. C’est dérisoire », a dénoncé la déléguée indienne Chandni Raina en éreintant la présidence azerbaïdjanaise de la COP29.

Cet engagement financier de pays européens, des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie, du Japon et de la Nouvelle-Zélande, sous l’égide de l’ONU, est d’augmenter de 100 milliards aujourd’hui à « au moins 300 milliards de dollars » annuels d’ici 2035 leurs prêts et dons aux pays en développement. De l’argent pour s’adapter aux inondations, aux canicules et aux sécheresses. Mais aussi pour investir dans les énergies bas carbone au lieu de développer leurs économies en brûlant du charbon et du pétrole, comme les pays occidentaux l’ont fait pendant plus d’un siècle.

Les petits Etats insulaires ont déploré « le manque de volonté de répondre aux besoins des pays en développement vulnérables« , par la voix du Samoan Cedric Schuster, une nouvelle fois déçu d’un processus multilatéral auquel il s’est toutefois dit attaché.

Les Occidentaux dont les Européens, premiers bailleurs mondiaux de finance pour le climat, n’étaient pas prêts à aller au-delà de ce montant, en période de resserrement budgétaire et de secousses politiques. Mais estiment avoir contribué à un résultat historique.

Joe Biden a salué l’accord comme un « pas important » dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et « si certains cherchent à nier ou à retarder la révolution des énergies propres (…) personne ne peut revenir dessus – personne », a souligné le président américain, dans une référence apparente à l’attitude climatosceptique de son successeur, Donald Trump.

Le commissaire européen chargé des négociations sur le climat Wopke Hoekstra a émis des regrets: les Européens auraient « aimé voir plus d’ambition » sur la baisse des gaz à effet de serre dans tous les pays. Le renvoi de ce débat à l’année prochaine « est un échec », a estimé Kévin Magron, ambassadeur français pour le climat.

« Montagne de travail »

Mais l’accord de la COP29, scellé pendant la seconde nuit de prolongation d’une conférence commencée le 11 novembre, laisse un goût amer à de nombreux participants. Les pays les plus pauvres de la planète et les îles du Pacifique, des Caraïbes ou d’Afrique demandaient le double ou plus. Et il a été adopté à près de 03H00 du matin après d’épuisantes tractations et rebondissements.

« Aucun pays n’a obtenu tout ce qu’il voulait, et nous quittons Bakou avec une montagne de travail à accomplir. Ce n’est donc pas l’heure de crier victoire », a déclaré le chef de l’ONU Climat, Simon Stiell.

L’Azerbaïdjan s’était battue pour décrocher l’organisation de la conférence, le plus grand événement international organisé par le pays, face à l’Arménie. Mais les déclarations de son président contre la France, les arrestations de militants environnementaux et le harcèlement de parlementaires américains à Bakou ont alourdi l’atmosphère.

Sa gestion des négociations est sévèrement jugée. L’Allemagne lui a reproché sa proximité avec des pays pétroliers, et les délégués de dizaines de pays en développement ont claqué la porte d’une réunion samedi, estimant n’avoir pas été pleinement consultés. Bakou fut une « expérience douloureuse », a dit Marina Silva, la ministre de l’Environnement du Brésil, qui accueillera la prochaine COP dans un an. Autre couac: l’un des autres textes prévus pour adoption ici, censé approfondir la sortie des énergies fossiles lancée par la COP28 de Dubaï, n’a pas pu être adopté.

« Les gens doutaient que l’Azerbaïdjan puisse réussir. Ils doutaient que tout le monde puisse s’accorder. Ils ont eu tort sur les deux comptes », a pourtant déclaré en conclusion le président de la COP29, Moukhtar Babaïev, ministre et ancien cadre de la compagnie pétrolière nationale, Socar.

Un « accord mitigé » pour Khattabi

C’est « un accord mitigé« , notamment sur les volets portant sur l’atténuation du changement climatique, le genre et les droits humains, estime la ministre fédérale du climat, Zakia Khattabi (Ecolo).

« Dans un contexte géopolitique tendu où les engagements en matière de climat sont mis à rude épreuve, alors que les effets de la crise climatique se font toujours plus dévastateurs, il fallait un accord. L’enjeu central de cette COP29 portait sur l’augmentation du financement climatique pour les pays en développement. Un engagement de 300 milliards de dollars par an d’ici 2035 a ainsi été pris », déclare la ministre, qui a emmené la délégation belge à Bakou.

« Nous voulions plus sur la mitigation. Les négociations ont été particulièrement difficiles, mais l’Union européenne a réussi à sauvegarder le consensus de Dubaï. Il est regrettable de devoir perdre une année supplémentaire, il faudra mettre les bouchées doubles l’an prochain au Brésil où chacun devra arriver avec des contributions déterminées au niveau national (plans d’action nationaux visant à réduire les émissions pour préserver la limite des 1.5°C) », souligne Zakia Khattabi dont c’était plus que probablement la dernière COP en tant que ministre fédérale du climat.

Bras de fer sur les fossiles

L’arrière-plan inédit de cette 29e COP était une année 2024 qui sera vraisemblablement la plus chaude jamais mesurée. Et, neuf ans après l’accord de Paris, qui vise à limiter à 1,50°C le réchauffement de la planète par rapport à l’ère pré-industrielle, l’humanité va encore brûler plus de pétrole, de gaz et de charbon que l’année passée.

En deux semaines de réunions en Azerbaïdjan, des tempêtes ont tué des Philippines au Honduras, l’Espagne panse ses plaies après des inondations meurtrières, l’Equateur a déclaré l’urgence nationale à cause de la sécheresse et des incendies.

La déception était anticipée depuis plusieurs jours, ce qui n’a pas atténué les réactions des ONG, très négatives pour la plupart. « Le résultat offre de faux espoirs à ceux qui subissent déjà le poids des catastrophes climatiques », estime Harjeet Singh, militant de l’initiative pour un traité de non-prolifération des fossiles. L’accord de Bakou « n’est pas aussi ambitieux que le moment l’exige« , a estimé Laurence Tubiana, architecte de l’accord de Paris, qui a quand même relevé un motif de satisfaction: « le multilatéralisme est vivant et plus nécessaire que jamais ».

« Douloureusement insuffisant » pour Greenpeace Belgique

« C’est à peine plus que le montant acquis en 2009 indexé. C’est beaucoup trop peu, beaucoup trop tard », fustige même Nadia Cornejo, représentante de Greenpeace Belgique à la COP. « Les pays riches sont arrivés à la COP sans intention de mettre la main au portefeuille, et ont imposé leur volonté aux pays en développement », déplore-t-elle encore. 

« Cet objectif n’est assorti d’aucune garantie sur le type de financement, ce qui ouvre la porte aux prêts et aux financements privés, alors que c’est de financements publics dont nous avons absolument besoin. En outre, ce nouvel accord de financement n’instaure rien pour faire payer l’industrie des énergies fossiles, qui est pourtant responsable de cette crise, et continue à faire des profits colossaux », explique encore la militante. L’ONG pointe dans une réaction après l’accord que « le sommet a également entériné les mécanismes de marchés du carbone, offrant une inacceptable échappatoire aux pollueurs ». 

Une bouée de sauvetage à l’énergie fossile

Greenpeace retient quand même une note positive du sommet à Bakou: « Malgré la présence massive de lobbyistes de l’industrie des énergies fossiles lors du sommet, et des négociations qui laissaient présager le pire, l’abandon des énergies fossiles, validée l’an dernier à Dubaï, n’a pas été remise en cause« .

L’ONG note cependant que ce qui fait l’objet d’un accord sur les marchés du carbone n’est rien d’autre qu’ »une bouée de sauvetage offerte à l’industrie des énergies fossiles« .  « Les pollueurs devraient être contraints à diminuer leurs émissions et à payer pour les dommages qu’ils ont causés, au lieu de cela, ils obtiennent un passe-droit pour continuer à émettre des gaz à effets de serre », critique Mme Cornejo.  Selon la branche belge de l’ONG environnementale, notre pays doit présenter d’urgence un nouveau plan climat alors qu’il « n’a pas brillé » à la conférence à Bakou.

L’organisation pointe que les régions flamande et wallonne  » n’ont rien fait » pour que la Belgique soutienne une position européenne ambitieuse en matière de financement climat. Surtout, Greenpeace met à l’index le gouvernement wallon qui a par ailleurs « annoncé cyniquement pendant cette COP une réduction de près de 75% de son budget alloué à la biodiversité ». « Les régions flamande et wallonne prennent des directions totalement irresponsables en matière d’environnement et de climat« , conclut Nadia Cornejo. Elle enjoint aux gouvernements des divers échelons de « prendre leurs responsabilités, de cesser les cadeaux fiscaux aux industries les plus polluantes de notre pays et de prendre des mesures climatiques à même d’assurer à chaque citoyen belge un avenir ».

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