lundi, novembre 25

Additifs, antibiotiques, microplastiques, métaux lourds, perturbateurs endocriniens, PFAS, pesticides: le corps absorbe, via l’air, l’eau et l’alimentation industrielle, un grand nombre de substances dont il serait préférable de se passer. Quand est-ce trop, et comment endiguer le problème?

Au début des années 1980, le médecin généraliste Staf Henderickx avait déjà tiré la sonnette d’alarme au sujet des métaux lourds. Aujourd’hui, après 44 ans d’exercice de la médecine générale, notamment au sein du groupe de pratique de la médecine pour le peuple de Lommel, il constate une nouvelle forme de violence chimique sur la santé: l’alimentation ultratransformée.

En 2022, Staf Henderickx a supervisé l’expérience d’une douzaine de journalistes de Knack, lesquels ont éliminé, durant un mois, tout produit industriel de leur alimentation. Le médecin a été surpris par les résultats des analyses sanguines de chacune de ces personnes.

«Les sempiternels conseils tels que « ne mangez pas trop de graisse, de sel et de sucre » et « compter vos calories » ne suffisent plus, il est également important de souligner le danger latent que représente l’alimentation industrielle. Or, les gens en sont encore trop peu conscients. Je vois des patients qui affirment carrément boire une bouteille de Coca par jour. Presque personne ne sait que le Coca zéro n’est pas une bonne alternative, et beaucoup pensent également que manger une tartine de pâte à tartiner est bon pour la santé. Le grand problème est que les jeunes, en particulier, considèrent ce mode d’alimentation comme tout à fait normal aujourd’hui. Les diététiciens et les médecins généralistes peuvent jouer un rôle important dans la diffusion des connaissances à ce sujet.»

Vous qualifiez les fabricants de produits alimentaires de «marchands» et mettez les aliments industriels sur le même plan que le tabac. Des déclarations fortes…

Il a été démontré que les aliments ultratransformés créent une forte dépendance. Il est inscrit dans notre ADN que nous aimons ce qui est sucré, salé et gras. Ces aliments sont également pathogènes et parfois même mortels. Nous constatons clairement une augmentation de l’obésité, des maladies cardiovasculaires, du cancer, des maladies auto-immunes, des troubles gastro-intestinaux, de la dépression et des allergies, et le lien avec les aliments ultratransformés a été scientifiquement prouvé. Pendant 250.000 ans, l’Homo sapiens s’est nourri de la nature, mais aujourd’hui la nourriture est transformée jusqu’à ce qu’elle ne soit plus de la nourriture.

L’industrie alimentaire est devenue une industrie chimique. On démonte, on cultive, on recrée les différents composants, on les transforme chimiquement et on leur ajoute toutes sortes d’additifs artificiels. Nous ne nous rendons pas compte de la nocivité de tout cela. D’accord, les fameux ingrédients « E » sont testés à haute dose sur des souris et sont considérés comme sûrs, et les additifs, dont l’innocuité est mise en doute, font l’objet d’une surveillance attentive. Mais il s’agit d’expositions chroniques au cours d’une vie. Nous ne savons rien de l’effet cocktail. Par exemple, la vitamine C combinée à l’acide benzoïque forme le cancérogène benzène. Cela se produit-il également dans notre corps? Nous n’en savons rien.

Les États-Unis autorisent beaucoup plus d’additifs que l’Europe. Devons-nous nous estimer heureux de vivre en Europe ?

Aux États-Unis, les hormones de croissance sont autorisées pour le bétail. Là-bas, nous constatons que l’espérance de vie diminue pour la première fois en raison d’un manque flagrant de réglementation. Cela risque de se produire chez nous aussi. Heureusement, l’Europe reconnaît que les choses ne peuvent pas continuer comme cela, avec une industrie agro-industrie telle qu’on la connaît actuellement. Mais nous avons affaire aux monopoles les plus puissants du monde.

Dans quelle mesure sommes-nous les jouets de grands groupes comme Nestlé, Heinz et Unilever?

En 2015 déjà, la journaliste d’investigation Joanna Blythman dénonçait les pratiques louches de l’industrie agroalimentaire, qui est très opaque sur le processus de production. Peu de choses semblent avoir changé depuis. Attention, je n’accuse personne. Celles et ceux qui travaillent dans l’industrie alimentaire ne font que gagner leur vie. C’est le résultat d’un système totalement biaisé qui implique d’immenses quantités d’argent. Mais en tant que médecin, je dois défendre la santé des gens, et aujourd’hui, cela va à l’encontre des intérêts de « Big Food ». C’est au gouvernement qu’il incombe d’élaborer des mesures de santé contraignantes.

Achetez-vous encore, de temps à autre, des produits industriels?

Le cake aux pommes produit industriellement me tentait autrefois, mais aujourd’hui, je n’en mange plus. Le pot de pâte à tartiner a également disparu de notre table, à la maison. Un pot de Nutella contient 56 % de sucre et 20 % d’huile de palme, riche en acides gras saturés. J’ai soigné une patiente qui a réussi à faire baisser son taux de cholestérol rien qu’en perdant l’habitude de tartiner quotidiennement son pain de chocolat. Les monocultures intensives de noisettes de Nutella sont, par ailleurs, un désastre pour le sol, l’eau et la biodiversité. La production nécessite 130.000 tonnes de pesticides et 20 milliards de litres d’eau par an.

Une agriculture saine, durable et biologique est-elle possible si nous devons nourrir 10 milliards de personnes à l’avenir?

Les études montrent que oui. Il n’y a pas d’autre solution. Les engrais chimiques et les pesticides détruisent les sols humifères fertiles. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, tous les produits étaient biologiques. Si nous continuons ainsi, il y aura d’énormes crises alimentaires. Je ne suis pas spécialement favorable aux petites fermes, mais nous devrions employer et subventionner toutes les techniques durables possibles afin que la production biologique de masse devienne possible. C’est encore trop peu le cas aujourd’hui. Il est aussi très important que nous consommions beaucoup moins de viande à l’échelle mondiale.

Selon vous, il est possible d’adopter de meilleures habitudes alimentaires sans changer radicalement de mode de vie. Si oui, comment faire?

Manger sainement, c’est revenir à l’essentiel. Cuisiner soi-même avec des produits frais de base. Certes, cela prend du temps, mais nous ne pouvons pas échapper à la réalité de l’évolution. Nos lointains ancêtres tiraient 20 % de leurs calories de la viande, du poisson et des œufs, et 80 % d’aliments riches en fibres végétales comme les fruits, les tubercules, les graines et les noix. Nous ne devrions pas revenir à ce régime paléo, cependant il est préférable de ne pas trop s’en éloigner. Je dis souvent que nous venons des forêts et que nous devrions essayer, au moins en partie, d’à nouveau vivre comme nous le faisions dans les forêts. C’est-à-dire en pratiquant de l’exercice, en contact avec la nature, en dormant suffisamment, avec des contacts sociaux positifs, et enfin, avec une alimentation naturelle et saine.

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